J’entame ici un regard en trois épisodes sur les évolutions de la Protection de l’Enfance. Premier épisode aujourd’hui… un billet généraliste présentant un récent numéro de la revue de la PJJ, Les Cahiers dynamiques. Deuxième épisode demain… une présentation des recommandations de l’ANESM en matière de secret et de partage d’informations en protection de l’enfance (elles viennent d’être publiées sur le site de l’ANESM et sont très intéressantes). Troisième épisode après-demain… un retour sur la polémique concernant la prévention précoce, notamment celle qui rebondit avec les écrits édités chez ERES, provenant du Collectif « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans ».
La Protection de l’enfance, un secteur particulier
La Protection de l’Enfance occupe un espace particulier : à peine 3 500 établissements et services spécialisés (sur les 38 500 établissements et services sociaux et médico-sociaux), mais pourtant près de 290 000 enfants accompagnés, avec leurs familles, et environ 5,8 milliards d’euros pour les finances publiques, essentiellement gérés par les Conseils généraux, ces chiffres provenant du rapport 2009 de la Cour des Comptes sur le sujet (cliquer ici pour y accéder). À côté des établissements ou services mettant en œuvre des mesures de protection ou d’accompagnement, existe l’ensemble du dispositif permettant de prendre en compte les situations de danger ou à risque (cellule de traitement des informations, services sociaux plus généralistes ou proches comme la Protection Maternelle Infantile, services judiciaires et magistrats, etc.) et de développer si nécessaire des actions de prévention.
Ce secteur est historiquement centré autour des situations d’abandon ou de maltraitance : accueils familiaux ou dans des hospices au Moyen Âge, dans des orphelinats spécifiques à partir du XVIème siècle, puis dans des maisons mélangeant accueil d’enfants victimes et accueil d’enfants difficiles. Les placements se réalisent au cours de la deuxième moitié du XXème siècle dans des Maisons d’Enfants à Caractère Social (MECS), des Foyers Éducatifs, des accueils familiaux (voir mon billet de septembre 2008 sur ces questions). À côté des placements, toute une batterie d’interventions se développe à domicile : mesures de protection (enquête, investigation et orientation éducative, action éducative en milieu ouvert) administratives ou judiciaires, actions de prévention (évaluations, interventions de soutien, etc.). De tout temps, cette intervention publique dans la vie privée des familles va subir des procès ou soutiens : « police des familles » normative et sécuritaire avec immixtion dans des situations privées… ou interventions bien nécessaires ? Intervention dans des règles de droit, validée par le judiciaire (avec le juge des enfants comme personnage central)… ou contrôle social plus global (le Conseil général et l’Aide sociale à l’enfance en première ligne) ?
La Protection de l’enfance, un secteur en cours de transformation
Le dispositif en place va vivre une réforme importante en 2007 à la suite de constats alarmants : budgets importants, mais sans contrôle ni coordination, dichotomie entre État (justice, éducation nationale, gendarmerie, police) et départements (enfance à protéger, établissements, placements, adoption, protection maternelle infantile), inégalités des pratiques d’un département à un autre, absence d’alternative entre intervention en milieu ouvert et placement, absence de cohérence dans le suivi des enfants en danger ou en situation à risque. Avec un relatif consensus au sein de l’ensemble des structures spécialisées dans le domaine (État, associations du secteur, professionnels, chercheurs), la loi du 5 mars 2007 voudra ainsi clarifier les dispositifs avec :
> Insertion de la Protection de l’Enfance dans la politique familiale, rattachée ainsi à des angles individuels (mineurs) et sociétaux (familles, parents, vie sociale), et reformulation des bénéficiaires qui deviennent, au-delà des mineurs en danger, les mineurs en situation de risque de danger (dont mineurs isolés et jeunes majeurs) et les détenteurs de l’autorité parentale rencontrant des difficultés porteuses de dangers potentiels,
> Développement des approches préventives et précoces autour des situations à risque, sans référence unique à la notion stigmatisante de « maltraitance »,
> Nouveau fonctionnement autour des signalements d’enfants en danger : recueil des informations préoccupantes par une cellule de signalement avec maintien des actions de coordination de l’autorité judiciaire, mise en œuvre d’une évaluation coordonnée (transmission à l’autorité judiciaire et évaluation judiciaire si l’évaluation de la cellule est insuffisante, ou se heurte au refus de la famille, ou est impossible à réaliser),
> Aménagement du secret professionnel avec le principe, limité, du secret partagé,
> Suppression de la notion de « retrait » de l’enfant, avec marginalité du placement judiciaire direct, organisation par le Président du Conseil Général du parcours en protection de l’enfance « en amont, en cours et en fin de mesure » avec « le projet pour l’enfant », obligation de rapport annuel fondé sur l’évaluation pluridisciplinaire, gradation des droits de visite ou d’hébergement des parents, limitation des mesures de placement à 2 ans avec reconduction,
> Développement de nouvelles formes d’aide : nouvelle prestation d’accueil de jour, accueil individualisé (à temps complet, partiel, modulable selon les besoins), nouvelles formules d’accueil d’urgence (dont accueil de 72 h pour des mineurs en fugue), soutien des entretiens et rencontres aménagées entre des parents et enfants.
La revue « Les Cahiers dynamiques » et sa vision globale de la situation…
Le numéro 49 de décembre 2010 des Cahiers dynamiques (une revue mensuelle éditée par le Ministère de la Justice et la Protection Judiciaire de la Jeunesse, la PJJ), présente une vision d’ensemble de la réforme en cours, initiée par la loi du 5 mars 2007. Pour résumer, elle revient sur le nouvel équilibre édicté par la loi, transformant celui qui avait été initié en 1958 avec la fameuse ordonnance du 23 décembre (sur l’autorité parentale) faisant du juge des enfants la clé de voûte du système… Trois changements ont été ainsi développés :
> Le conseil général devenant la nouvelle clé de voûte du système, le juge des enfants devenant un intervenant subsidiaire,
> La différence devant maintenant être faite entre la mobilisation autour de situations préoccupantes (d’où la création d’une cellule de recueil des informations préoccupantes, la CRIP) et celle autour des situations graves ou de conflits entrainant signalement judiciaire (restant sous la responsabilité de l’autorité judiciaire, mais avec une place plus importante donnée au Parquet par rapport au Juge des enfants). Le juge « clinicien judiciaire », apportant aide et conseil, y devient essentiellement un juge « garant des droits », intervenant en dernier ressort,
> Le maintien d’une responsabilité de la Protection judiciaire de la jeunesse en protection de l’enfance (et non simplement sur les situations pénales, concernant l’enfance délinquante), mais avec un nouvel équilibre à trouver entre PJJ et conseils généraux.
… et des contenus plus ciblés
De nombreux et fort intéressants articles développent, dans ce numéro des Cahiers Dynamiques, des interrogations à de multiples niveaux.
Le premier est un article de Dominique Youf, directeur de la recherche à l’École Nationale de la PJJ. (*). Il présente le socle de références éthiques et déontologiques des professionnels de la PJJ : c’est à lire ! De « l’éthique de la sollicitude » (s’inspirant des théories du care sur lesquelles j’aurai l’occasion de revenir prochainement) à la « clinique éducative », de « l’éthique de la justice » à « l’éthique républicaine » (loyauté, neutralité, laïcité), l’auteur présente un ensemble de valeurs utiles, en cette période de relativisme et de managérialisme gestionnaire dans l’action publique.
Un deuxième article, plus politique, est proposé par Robert Lafore, professeur de droit public, revenant sur une évolution institutionnelle longue, allant de l’effacement des frontières entre l’action pour les enfants victimes et l’action pour les enfants coupables, jusqu’aux lois du 5 mars 2007 (de réforme de la protection de l’enfance d’une part, de prévention de la délinquance d’autre part) « dissociant le pénal et l’administratif/civil », avec « une inflexion préventive patente » (repérage le plus tôt possible des situations problématiques, développement de techniques de suivi et d’accompagnement souples et adaptables, intensification des logiques contractuelles entre familles et services). L’élément intéressant du propos, c’est que, selon l’auteur, « les réformes de 2007 ne font qu’accuser la logique héritée des institutions de la protection de l’enfance selon le modèle français » : renforcement de la prévention par des agences administratives, juridictions avec un rôle subsidiaire, appui sur un modèle familial centré sur les fonctions parentales, mais diluées dans la notion de « parentalité », davantage « symptôme d’incertitudes » que « solution ». Il n’y a donc pas rupture, selon lui, mais poursuite d’une dilution porteuses d’ambiguïtés.
De nombreux autres articles sont proposés, et même des comptes-rendus de débats, autour du rôle nouveau des Conseils généraux (CRIP, évaluation, projet pour l’enfant, suivi du parcours de l’enfant) et de l’évolution des processus judiciaires.
> Un premier a retenu mon attention : l’interview d’une juge des enfants, sur la situation inégale entre régions (elle compare l’Alsace et la Guadeloupe).
> Un deuxième m’a, au départ, fait sourire, celui de Catherine Sellenet, universitaire-chercheur, son article portant un titre évocateur « L’art d’accommoder les parents » (pour paraphraser le célèbre « L’art d’accommoder les bébés, 100 ans de recettes française de puériculture » de G. Delaisi de Perceval et S. Lallemand, datant de 1980 et venant d’être réédité chez Odile Jacob). L’enseignement majeur de cet article : toute l’ambiguïté de la réforme de 2007 tient dans le fait que l’intervention sociale, devenant moins agressive et plus prévenante, est alors également plus englobante et intrusive. L’article reprend le thème de la participation des parents, objectif louable de la loi du 5 mars 2007, et l’absence de précision ou d’échelle de mesure de cette participation : les auteurs proposent d’utiliser une échelle de mesure (l’échelle de Sherry R. Arnstein sur la participation des citoyens : dommage que l’article l’ait si mal présentée d’ailleurs…) largement utilisée en dehors de la France, avec 8 niveaux (Manipulation, Thérapie, Information, Consultation, Consultation, Partenariat, Délégation de pouvoir, Contrôle citoyen) permettant de définir un état de participation qui peut-être par ordre croissant une non-participation, ou une coopération symbolique, ou enfin un pouvoir effectif. Dans une étude faite en France auprès de parents concernés par l’Aide Sociale à l’Enfance, ces derniers interrogés évoquent majoritairement une participation entre manipulation et participation symbolique. L’étude citée (thèse avec 18 interviews de parents en lien avec l’Aide sociale à l’enfance) ne me paraît pas statistiquement valable, mais la piste me semble vraiment intéressante : évaluer la loi de mars 2007 sur le thème de la participation des parents, avec des échantillons réellement représentatifs, répartis dans plusieurs parties du territoire français. Il existe en effet tant d’appréciations rapides, de fantasmes, que j’apprécierais une recherche plus rigoureuse.
> Un tout dernier article montre d’ailleurs, en l’absence d’études sérieuses, combien les appréciations sont parfois hâtives. Il s’agit d’un texte proposé par Christian Leclerc : il indique que la marchandisation du secteur social dépasse très largement la seule concurrence généralisée, elle va jusqu’à développer, dans les habits neufs de l’efficience ou du tout quantitatif, une classification, à partir de diagnostics socio-familiaux, des parents en catégories implicites (anormal, opposant, hors la loi). Il s’appuie pour sa démonstration sur l’évolution de la mesure d’investigation judiciaire qui est en cours. Étant critique à l’égard de cette évolution (voir mon article d’avril 2011 sur la PJJ), étant critique à l’égard des classifications des usagers et de l’entrée dans un régime concurrentiel (qui plus est, sans règle du jeu égalitaire), j’ai trouvé pourtant que le propos mélangeait tout, y compris en extrapolant sur des supposées catégories qui vont plus loin que les références officielles et, par prolongement, perdait en crédibilité. C’est un peu le risque : par manque de repères, en fonctionnant dans des approches softs, mais intrusives, se développent des fantasmes, fantasmes qui tuent les fondements positifs d’une réforme. Il existe pourtant des solutions… comme vous le verrez dans les 2 billets qui suivront.
En tous cas, merci aux Cahiers Dynamiques de nous donner une occasion de réfléchir sérieusement à des évolutions majeures. Je ne peux que vous conseiller de le lire : si vous n’êtes pas abonné, vous pouvez néanmoins acheter tout ou partie de ce numéro par l’excellent site Cairn.info (cliquer ici pour y accéder).
Daniel GACOIN
(*) Dominique Youf est également le rédacteur en chef de la revue "Les Cahiers Dynamiques". J'ai déjà fait part de plusieurs de ses ouvrages dans ce blog.
Les commentaires récents