Nous sommes, nous dit-t-on, à l’heure du regroupement, présenté comme une nécessité, des Agences de l’État. Pour le secteur social et médico-social, quelques projets sont officiels : regroupement fonctionnel de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité dans les établissements sociaux et médico-sociaux (ANESM) avec la Haute Autorité de Santé (HAS), inclusion de l’Agence nationale pour la Cohésion Sociale et l’Egalité des chances (ACSÉ) dans un grand Commissariat général à l’égalité des territoires.
La simplification annoncée, les économies de structures, la fin de l’empilement de dispositifs seraient en marche ? Le défi est loin d’être réussi. Mais surtout, regardons de plus près les questions financières : en lisant les rapports d’activité d’agences liées au secteur social et médico-social (ANESM, HAS, ACSÉ et ANAP), il m’a semblé que les mesures de contrôle des sommes engagées étaient loin d’être exigeantes… D’où le titre de ce billet et son injonction : « rendez nous notre argent ! »
Le décor
Les agences de l’État s’inscrivent dans la stratégie globale du management public (via la théorie du New Public Management) :
- Séparation entre management stratégique et management de proximité,
- Multiplication d’entités plus autonomes, externalisées ou privatisées,
- Mises en concurrence,
- Contractualisation, entre l’État et chaque entité autonome, d’objectifs et de moyens avec des résultats régulièrement évalués.
Ces agences sont difficiles à circonscrire, y compris sur un plan quantitatif, qualitatif et financier et selon la définition retenue :
- Le Conseil d’État (rapport sur ce sujet en 2012) a recensé 103 agences selon la définition suivante : des entités autonomes (le pouvoir exécutif n’intervient pas dans sa gestion courante mais définit les orientations politiques qu’elle doit mettre en œuvre), exerçant une responsabilité structurante dans la mise en œuvre d’une politique publique, ne comprenant pas les opérateurs de l’État (établissements publics), ni les autorités autonomes indépendantes.
- L’Inspection Générale des finances (rapport en 2012) a recensé 1 244 agences (1 101 dotées d'une personnaliité morale) selon la définition suivante : elles gèrent une mission d’intérêt général et sont des entités publiques avec des statuts très différents, établissements publics administratifs (Epa), établissements publics industriels et commerciaux (Epic), autorités administratives indépendantes, groupements d'intérêt public, associations,
- Pour tous, les Agences sont censées constituer une alternative à une organisation pyramidale et hiérarchique de l’administration,
- Elles représentent un poids financier considérable : 50 milliards d’euros (soit près de 20 % du budget de l’État) selon l’IGF. Ce poids a augmenté de 15 % entre 2007 et 2012, soit 4 fois plus que les autres dépenses publiques,
- Elles rendent des services souvent incontournables, mais parfois incontrôlables et même totalement opaques, voire inutiles (la Cour des Comptes en a recensé plusieurs exemples).
La simplification et les regroupements
Beaucoup d’experts des politiques publiques, des organismes de contrôle de l’État, réclament un contrôle plus rigoureux de ces Agences et la recherche d’une optimisation des moyens financiers en jeu, avec diminution de leur nombre (faire des économies), simplification (contrôle plus direct), diminution du recours systématique à ces entités (réflexion stratégique de l’Etat avant tout recours), regroupement (élimination des doublons, rassemblement des entités proches).
Si pour le secteur social et médico-social, les perspectives existent (voir plus haut HAS, ANESMS, ACSÉ), c’est une goutte d’eau dans un océan (1244 agences !).
La question financière oubliée
Le raisonnement sur les économies par simplification et regroupement part d’une base évidente : moins d’agences, moins de budgets, moins de dépenses.
Mais, je me suis amusé, pour aller plus loin, à rechercher quelques rapports d’activité des agences des secteurs social, médico-social, ou sanitaire (et notamment la constitution d'une cagnotte incontrôlée : les réserves cumulées) :
- Tout d’abord, l’HAS (Groupement d’intérêt public) et son rapport d‘activité 2013 : un budget annuel en dépenses de 55,6 millions d’euros (avec investissements), des recettes de 64,56 millions d’euros, une réserve en fonds propres (excédents cumulés chaque année) après intégration de l’excédent 2013 de 49,36 millions d’euros (89 % du budget de fonctionnement !),
- Ensuite l’ANESM (Groupement d’intérêt public) et son rapport d‘activité 2013 : un budget annuel en dépenses de 2,9 millions d’euros, des recettes de 3,19 millions d’euros, une réserve en fonds propres après intégration de l’excédent 2013 de 1,73 millions d’euros (60 % du budget de fonctionnement !),
- Puis l’ANAP (Groupement d’intérêt public) avec son rapport d‘activité 2013 : les données sont bien plus nébuleuses, puisqu’il n’est pas véritablement présenté un compte de résultat et un bilan, alors même que le chapitre consacré à ce sujet est intitulé « transparence sur l’utilisation des ressources » ( !). On voit néanmoins apparaître des dépenses de 33,79 millions d’euros, des recettes de 23 millions d’euros et une explication sur le financement du déficit (dépassement budgétaire) qui en résulté : « il est assuré par le niveau du fonds de roulement », précisément une donnée qui n’est pas accessible par non publication du bilan (notamment le passif),
- Encore, l’ACSÉ (Groupement d’intérêt public) et son rapport d‘activité 2013 : un budget annuel en dépenses de 400,12 millions d’euros (avec investissements), des recettes de 399,82 millions d’euros, un excédent de 28,7 euros, sans publication d’un bilan (donc sans vision des réserves),
- Et encore, l’ONED, Observatoire National de l’Enfance en Danger, et le GIPED, Groupement d’intérêt public pour l’Enfance en Danger : le rapport d’activité 2013 est introuvable. Seul est publié le rapport 2012 : un budget annuel en dépenses de 4,82 millions d’euros (avec investissements), des recettes de 4,85 millions d’euros, un bilan qui n’est pas publié (il est juste fait mention des 4 années antérieures à 2012, déficitaires),
- Enfin, l’ANSP, Agence nationale des services à la personne, (EPA, établissement public autonome, rattaché à la Direction générale de la compétitivité de l’industrie et des services) : le rapport d’activité 2013 n’est pas disponible (comme ceux des années antérieures malgré un site permettant officiellement d’y accéder).
« We are simply asking to have our money back »
J’approuve l’objectif de simplification et de regroupement : à condition de penser intelligemment les solutions et de les mettre en route rapidement.
Mais j’insiste aussi sur ces questions financières en reprenant surtout l’expression de Madame Thatcher dans les négociations avec la Communauté Economique Européenne du début des années 1980 : « nous demandons simplement à récupérer notre argent » (les médias lui ont fait dire « we want our money back », or son expression était plus policée). Et je formule quelques propositions :
- Ayons tout d’abord, et avec chaque publication des comptes de l’État, une annexe consacrée aux Agences, sous forme de tableau précis avec pour chacune des 1244 Agences : dépenses prévues, dépenses réelles, résultat, compte de bilan avec actif et passif. Il est en effet anormal de ne pouvoir y voir plus clair,
- Sanctionnons les Agences qui dépensent plus que prévu : le cas de l’ANAP est emblématique (d’autant plus que 55 % des dépenses sont sous-traitées dans le cadre de marchés publics avec des entreprises privées, la mieux servie semblant être CapGémini),
- Par ailleurs, si l’on veut tenir compte des chiffres à notre disposition (ANESM, HAS, ACSÉ, etc.), pensons bien à introduire un mécanisme budgétaire de récupération des excédents : après publication du compte de résultat d’une année N, intégration des excédents dans le budget N + 2 (de manière à pondérer les subventions allouées chaque année),
- Enfin, faisons en sorte de récupérer les sommes amassées en fonds propres (réserves) et qui, à mon sens, n’ont aucune raison de l’être, par une diminution ponctuelle mais précise des contributions publiques aux Agences qui sont dans ce cas. Elles n’ont en effet aucun besoin de se constituer un fonds de roulement démesuré. Sur ce dernier point, l’exemple de l’ANESM et de l’HAS montre qu’il pourrait être possible de récupérer entre 50 et 80 % d’un budget annuel. Si on extrapole, imaginez la projection possible, immédiate, par rapport aux 50 milliards d’euros gérés par ces agences : même en étant souple dans l’exigence, un potentiel de 25 milliards d’euros. Cela tomberait bien justement !
Daniel GACOIN
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