Dès 2006, je commentais ici la réglementation nouvelle concernant les Groupements de Coopération Sociale et Médico-Sociale (GCSMS). Après la loi du 2 janvier 2002, le décret N°2006-413 du 6 avril 2006 créant cette structure régementaire, suivi d’une circulaire en août 2007, proposait un support pour développer des coopérations entre organismes pour des projets communs ou des mutualisations de moyens. L’article L. 312-7 du Code de l’action sociale et des familles avait ainsi une traduction concrète. Chacun supposait à l’époque que nous assisterions à une ruée vers ce type de structure, tant la volonté de coopération faisait partie des incontournables de l’action sociale et médico-sociale. Plus de 5 ans après, où en est-on ?
Un colloque très intéressant sur le thème
J’ai eu la chance d’animer un colloque organisé le 14 mars 2011 par la Fédération d’Entraide Protestante (FEP) avec le soutien de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA) sur le thème. Ce colloque était le point d’orgue d’un programme mis en place par la FEP depuis deux ans, le programme Cooperact©. Le colloque s’est tenu dans les locaux de la Direction Générale de la Cohésion Sociale (DGCS), et sa directrice, Sabine Fourcade, qui venait d’être nommée, a introduit ses travaux.
Le colloque réunissait des témoins, structures ou associations, présentant des expériences de coopération ou de GCSMS, et des fédérations associatives : par exemple la Fédération des Établissements Hospitaliers et d’Aide à la Personne (FEHAP), la Fédération Nationale des Associations d’Accueil et de Réinsertion Sociale (FNARS), l’Union Nationale Interfédérative des Œuvres Privées Sanitaires et Sociales (UNIOPSS), la Fédération Nationale des Associations de Directeurs d'Établissements et services pour Personnes Âgées (FNADEPA), la Fédération Nationale des Institutions Sociales d’Inspiration Chrétienne (FNISASIC). Les actes de ce colloque ont été publiés et si vous le souhaitez, il est possible de les demander en s’adressant à la Fédération d’Entraide Protestante. Étant l’animateur de ce colloque, présentant également une synthèse des réflexions à la fin de la journée, je ne suis pas totalement objectif pour en présenter la richesse, mais il me semble important de l’utiliser pour répondre à la question de départ : où en est-on, 5 ans après le décret sur les GCSMS ?
Des ambitions fortes et des espoirs déçus
Le décret de 2006 et la circulaire d’août 2007, les incitations financières, les formations diverses sur le thème, les propos des pouvoirs publics, tout indique une ambition forte, un investissement public dans les futurs GCSMS. Il est question d’un outil essentiel pour soutenir des nouvelles formes de service : il peut soutenir la proximité à l’usager, des « paniers de services », la prise en charge et l’accompagnement des parcours individualisés, une continuité et une diversification des réponses. Il est aussi question d’un support de nouvelles dynamiques (contractualisation, coopération, réseaux) constituant « le cadre rénové » de l’action sociale et médico-sociale, avec responsabilisation et adhésion des acteurs. Enfin il est évoqué un outil de promotion de « gouvernances transversales », à travers de nouvelles organisations et processus décisionnels (diagnostics et objectifs partagés, mise en relation des acteurs) avec définition de projets communs conçus localement à proximité des besoins.
Mais la réalité des GCSMS est très en deçà : initiatives très peu nombreuses, certes utiles par leur qualité ou leur pertinence, mais rares. La DGCS elle-même convient de ce décalage ambition / réalité.
Une première explication
La relative désaffection pour la structure GCSMS peut trouver son origine dans deux phénomènes :
> Le sentiment que la structure GCSMS, apparemment simple, peut s’avérer complexe sur certains points, voire receler des chausse-trappes. Par exemple, l’assujettissement possible à la TVA (essentiellement pour des services rendus à des tiers ou pour la fourniture de biens). Autre exemple : les règles pour le calcul de la taxe sur les salaires sur les rémunérations correspondant à la part de recettes non assujetties à la TVA (avec des exceptions). Dernier exemple : l’exonération de l’impôt sur les sociétés (IS) et donc le règlement de cet IS par ses membres, avec néanmoins le choix par le GCSMS d’un assujettissement à l’IS, alors soumis, si son CA est supérieur à 400 000 €, à l’imposition forfaitaire annuelle (IFA). Ce sentiment est souvent lié à une paranoïa ambiante, plus qu’à des réalités objectives.
> Un sentiment, chez les organismes gestionnaires, que, s’ils entrent dans une structure GCSMS, ils pourront être victimes de stratégies de type « cheval de Troie » (un partenaire qui entre chez soi, pour ensuite combattre de l’intérieur).
La désaffection à l’égard des structures GCSMS reste pourtant étonnante tant - comme il a été rappelé par D. Causse, représentant la FEHAP au colloque du 14 mars 2011 - la coopération autour de projets ou de rencontres, de collaboration d’acteurs d’horizons différents est inscrite dans les gènes mêmes des associations d’action sociale et médico-sociale.
Un contexte qui embrouille
En réalité, il me semble que deux autres phénomènes expliquent l’origine de cette désaffection.
> Les discours des pouvoirs publics lient constamment leurs propos sur les nécessaires coopérations à d’autres, plus globaux, sur l’amélioration du service rendu, l’efficience des dispositifs (le meilleur coût possible), l’efficacité des actions, voire la performance des organisations. Ils lient les possibles GCSMS à une perspective de restructuration générale du secteur social et médico-social, à 10 ou 15 ans, de manière transversale (avec le sanitaire). Or, la bien nécessaire adaptation au réel ne signifie pas adhésion aux valeurs uniquement gestionnaires du secteur, d’autant que cette progression gestionnaire est souvent mise en œuvre sans discernement (l’application de normes générales, sans prise en compte de priorités). Mais c’est sur le fond que les organismes, associations notamment, pensent que « Le triptyque "performance / efficacité / efficience", certes nécessaire, ce n’est pas notre langage, notre raison d'être », comme le disait le 14 mars 2011, C. Auberger, représentant l’UNIOPSS.
> Il existe une très forte ambivalence dans les propos des pouvoirs publics autour de l’obligation de se regrouper. Ainsi la directrice de la DGCS, prolongeant des propos de son prédécesseur (pas d’obligation à des regroupements) disait encore le 14 mars 2011 que « la DGCS n'a pas comme objectif de réduire le nombre d'interlocuteurs. Notre objectif est d'assurer que la meilleure qualité sur le terrain soit mise en œuvre avec la meilleure efficacité possible, ce qui ne veut pas forcément dire réduire le nombre d'interlocuteurs ». Mais en parallèle, un témoin rappelait son expérience de 2009 : « la directrice de DDASS rencontre 4 organismes et pose un diktat : un regroupement pour bâtir ensemble un projet de coopération et arriver avant le mois de juin 2009 à une fusion de quatre établissements : mise en commun des habilitations d'établissements, CPOM (Contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens) commun et finalement une seule entité ». Le volontarisme en matière de fusions de structures peut avoir sa raison d’être. Ainsi le représentant de la FEHAP au même colloque disait : « je préfère mille fois cette phrase de M. Trégoat qui dit : "CPOM ou rassemblements ou coopérations, il faudrait que le secteur évolue vers 8 000 têtes de pont, en tout cas quelque chose qui rende la discussion ou la négociation contractuelle pluriannuelle et stratégique de qualité" au discours plus prudent, plus léché tenu depuis par la DGCS, indiquant que "on ne forcera personne, et que chacun fera à son rythme, mais pour les petites associations cela va être difficile" ». Globalement, il est légitime de penser que la dispersion actuelle d’organismes gestionnaires est une faiblesse du secteur social et médico-social : Attention ! Cela ne veut pas dire que je plaide uniquement en faveur de gros organismes, de possibles « administrations-bis ».
Les confusions coopérations / fusions
Ce qui brouille le plus l’horizon, dans le contexte actuel, c’est la vision que les pouvoirs publics, ou parfois les acteurs de terrain, peuvent avoir des coopérations
La réalité en effet c'est que :
> Il existe tout d’abord une première approche : au niveau micro-opérationnel (intervenants) ou méso-organisationnel (structures), la coopération concerne des actions ou moyens articulés autour de situations et de professionnels engagés dans des prises en charge,
> Il existe également une deuxième approche : des coopérations consistent à mettre en commun des moyens ou à s’engager ensemble dans une action / un programme, que chacun ne pourrait réaliser seul.
> Il existe enfin une approche interinstitutionnelle : la coopération concerne alors des rapprochements et d’éventuelles transformations institutionnelles (fusion, union ou structure commune de type GCSMS avec maintien des identités propres).
Or, paradoxalement, l’élément qui émerge dans les discours sur les GCSMS, c’est le troisième horizon, comme l’indique le terme devenu courant de « fusion-coopération ». La paranoïa est alors importante… Si le premier texte qui parlait de diminution était un rapport parlementaire (rapport Bur), suivi d’expressions individuelles de membres de l’ancienne DGAS intervenues ensuite en écho, leurs propos n’évoquaient pas en tant que tel le nombre de structures. Ils désignaient la diminution du nombre de négociations budgétaires (c’est bien différent et cela passe essentiellement par les CPOM !) à diviser, lui, par dix, à terme. Étonnement, le mot d’ordre s’est transformé, avec de multiples variations (« ils veulent passer de 30 000 à 3 000 organismes gestionnaires », « les petites associations vont être regroupées, ou vont devoir fusionner »), au point d’ailleurs de rencontrer les pratiques effectives de certaines autorités de contrôle, au niveau territorial. Et l’exemple du secteur sanitaire est alors mis en avant pour évoquer une culture interventionniste et beaucoup plus jacobine des pouvoirs publics dans le pilotage à distance des structures.
Revenir à l’essentiel
Sans se centrer sur la question des fusions, il me semble, pour le dire rapidement, nécessaire de ne pas identifier les GCSMS à la perspective d’une fusion. Si celle-ci a de possibles vertus, autant l’aborder directement. Le plus important pour les coopérations, à mon sens, est ailleurs :
> D’une part, de plaider pour des approches (pourquoi pas alors une structure juridique comme le GCSMS ?) qui développent la mise en commun de pratiques, de moyens, de projets. C’est possible, c’est nécessaire.
> D’autre part, de mettre en valeur les initiatives existantes :
- collaborations / coopérations autour des accompagnements de parcours de personnes en difficultés (relais, accompagnements conjoints, temps de ruptures assumés par une autre structure, temps de réflexion soit sur les repères de pratiques, soit sur des résolutions de situations difficiles), allant parfois jusqu’à des réseaux coordonnés autour des personnes ;
- regroupements, autour d’instances ou simplement d’actions, pour favoriser une meilleure évaluation de situations afin de développer des orientations adaptées ;
- regroupements pour créer des moyens ou mutualiser des moyens : outils logistiques communs, outils de formation ou d’évaluation communs, démarches d’évaluation construites en commun, voire fonctions habituelles de siège social assurées en commun ;
- regroupement autour de projets expérimentaux ;
- associations d’associations, ou GCSMS, permettant de développer une lisibilité externe et une animation interne, en réseau.
> En outre, d'affirmer que pour ces approches bien différentes des fusions, des méthodologies spécifiques sont nécessaires et des moyens à mobiliser. Ils sont internes, et les structures concernées devraient apprendre à les construire, ou bien externes, et les pouvoirs publics devraient participer à leur développement.
> Enfin, d'indiquer que la formation à de nouvelles fonctions liées aux coopérations est encore insuffisante. Il est ainsi nécessaire de former les responsables aux fonctions stratégiques et organisationnelles : articulation entre une activité constante ou en développement et une forme organisationnelle (niveau politique, niveau stratégique, niveau organisationnel). Il est aussi important de former les acteurs du social aux métiers d’animation ou de coordination (animateur de réseaux autour de situations ; coordinateur et animateur d’acteurs techniques, au statut différent, au sein de groupements ou de structures de coopération).
Sortons donc des confusions, entrons dans les vraies questions, en phase avec les besoins…
Daniel GACOIN
Les commentaires récents