J’évoquais dernièrement (voir mon billet du 1er avril 2013) une poussée de fièvre à propos des ESAT (Etablissements et Services d’Aide par le Travail) autour de leur rattachement possible, dans le cadre de la Décentralisation Acte III, à la tutelle des Conseils généraux. La question est d’importance puisque les 1 300 ESAT permettent un accès à une activité de travail pour 120 000 personnes handicapées.
Ce billet présentant une polémique et des réactions exacerbées, ne pouvait faire référence aux positionnements qui se sont amplifiés ensuite :
- l’Union Nationale Interfédérale des Œuvres Privées sanitaires et Sociales (UNIOPSS), principal représentant des organisations associatives du secteur social et médico-social, a ainsi, à l’occasion de la polémique, confirmé courant avril sa position contre le transfert de la responsabilité des ESAT vers les départements, souhaitant maintenir une implication forte de l’Etat via la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie et les Agences Régionales de Santé.
- Le Synéas, un des syndicats d’employeurs le plus impliqué sur le thème, a pris courant avril une position hostile au transfert, bien que plus mesurée, pour éviter une déstabilisation des ESAT, dans un contexte économique difficile, souhaitant que ces structures puissent, quoi qu’il arrive, poursuivre dans de bonnes conditions leur mission particulière.
Ce billet ne pouvait pas non plus, début avril, faire référence aux réactions des organisations associatives face à une circulaire ministérielle du 22 avril 2013 concernant la campagne budgétaire des établissements et services d’aide par le travail (ESAT). Ces organisations ont en effet constaté que les compétences de gestion des ESAT par l’Etat y étaient présentées comme transférées vers les départements, alors même que le projet de loi de décentralisation III n’est pas encore adopté par le parlement (le Sénat est en cours de réécriture complète du texte, réécriture qui est présentée par tous comme un véritable chemin de croix pour la ministre en charge de la question Marylise Lebranchu).
Mais toutes ces questions risquent de devenir inutiles si l’information, qui vient d’être publiée, est suivie d’effet.
De quoi s’agit t-il ?
- D’une véritable bombe révélée le 8 juin 2013 par Olivier Poinsot, avocat spécialisé du secteur, véritable connaisseur des questions sociales, sur son blog (une mine d’informations, cliquer ici pour y accéder). Elle a ensuite été reprise par le site TSA quotidien le 10 juin.
- Cette bombe, c’est une décision du 29 mai 2013 de la Cour de cassation de surseoir à statuer sur une question précise : une demande d’un travailleur handicapé en ESAT pour le paiement de congés payés non pris. Ce sursis à statuer est décidé au motif qu’il existe une indécision sur la qualité de « travailleur » des travailleurs handicapés d’ESAT. Certes, la jurisprudence en France est liée à l’application de la loi du 2 janvier 2002 (l'ESAT est un ESSMS, interdisant un contrat de travail entre l'organisme gestionnaire et le travailleur handicapé, mais prévoyant plutôt un contrat de soutien et d’aide : décret 2006-1752 du 23 décembre 2002 sur l’Annexe 3-9 du CASF). Mais le droit de la communauté européenne présente une application différente pour les structures de travail protégé, parlant d’une nécessaire « absence de discrimination au travail (qui) doit se traduire, y compris en établissement, par une égalité de droit avec les salariés ». Bref, plutôt que de statuer, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) de la question préjudicielle suivante : un travailleur handicapé d'ESAT est-il un travailleur au sens du droit communautaire ? La conclusion possible de cette saisine selon Olivier Poinsot ? Il y a tout à parier, selon lui, que la CJUE conclura à une qualité de travailleur au sens du droit communautaire, soumis donc à l’obligation d’un contrat de travail et à une égalité de traitement par rapport aux autres travailleurs (dont les jours de congés et de récupération).
- Les conséquences seront évidentes : la qualification de travail, avec contrat normalisé, des personnes handicapées, va réjouir une partie des personnes qui regardent cette question avec un filtre idéologique (les employeurs, même associatifs, restent iniques puisqu’ils sont des employeurs, donc de potentiels exploiteurs de la force de travail des personnes handicapées). Mais elle va irrémédiablement déstabiliser les ESAT : un statut salarié pour les travailleurs handicapés, un coût du travail transformé, une difficulté économique accrue. La question de savoir si l’accession des personnes handicapées, en ESAT, au statut normalisé de « travailleur » est un progrès ou au contraire une régression reste ambigüe…
- A terme, selon Olivier Poinsot (et il a raison), nous allons avancer vers la fin des ESAT. Il est donc temps de se mobiliser pour inventer de nouvelles approches afin de soutenir le travail protégé en France, dans le respect de la législation communautaire.
Merci Olivier de nous avoir alertés sur cette situation.
Daniel GACOIN
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