Le sociologue Julien Damon nous propose son dernier ouvrage dans la collection Que sais-je ? (PUF). Son titre : Les classes moyennes.
- La collection Que sais-je ? reste un « must » (je la pratique depuis 45 ans, et même si quelques livres sont ratés, la collection présente des textes incontournables pour une vision complète sur un sujet).
- L’auteur lui-même est devenu une référence : sociologue, il enseigne à Sciences Po Paris, a été responsable des questions sociales au Centre d’Analyse Stratégique (organe placé auprès du premier ministre), a présidé en 2010 l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES) tout en claquant la porte quatre mois plus tard en raison de désaccords sur la configuration de ses missions et de son possible fonctionnement. Il a également fondé un cabinet de conseil (Éclairs : voir le site). C’est un auteur très prolixe, avec notamment des articles réguliers dans la presse sociale. On se rappellera également son ouvrage commenté dans ce blog (cliquer ici ), Questions sociales : analyses anglo-saxonnes. Socialement incorrect ?
- Le thème lui-même fait l’objet de nombreuses attentions, selon différents angles de vue : d’un côté la stabilité centrale des classes moyennes au cœur de la société, d’un autre un groupe qui se paupérise ou se fragilise. À l’appui de ce dernier angle de vue, j’avais fait part dans ce blog (cliquer ici) en 2007 des thèses de Louis Chauvel dans Les classes moyennes à la dérive (Seuil, 2006), et en 2009 de celles d’Éric Maurin (cliquer ici) dans La peur du déclassement (Seuil, 2009).
- Et surtout, les arguments politiques des opposants à la politique gouvernementale actuelle mettent en avant systématiquement les classes moyennes (qui seraient visées par la baisse des protections de l’État-Providence et par l’augmentation de la pression fiscale nouvelle).
Le livre ne prend pas directement position sur ces thèses, mais apporte des éclairages intéressants. Il revient sur la difficulté à définir les classes moyennes, tant les approches (critères sociologiques, économiques, subjectifs) divergent. Pour la catégorie de la population entre les 20 % les plus aisés et les 20 à 30 % les plus modestes, il n’y a ni déclassement ni paupérisation, ni même effritement inéluctable, et pourtant :
- les catégories inférieures et supérieures des classes moyennes s’éloignent (mais l’écartement grandissant ne vaut pas effacement),
- les catégories centrales des classes moyennes sont depuis 15 ans « objectivement » desservies par un système de transferts redistributifs davantage ciblés (vers les plus démunis) et par un système fiscal (favorable aux plus aisés),
- la tendance à la relégation vers des zones d’habitation périurbaines existe, mais ne peut s’appliquer à l’ensemble des classes sociales, et n’est pas généralisable,
- l’émiettement / fractionnement des catégories constituant les classes moyennes est réel.
Les conséquences / perspectives sont évidentes pour l’auteur : le souci politique pour les classes moyennes va continuer à croître, mais les réalités mises en avant par les responsables politiques seront davantage soumises à discussion (l’identification unitaire perdant en puissance).
Le regard sur les situations internationales relativise encore plus les thèses définitives sur le déclin ou la stabilité des classes moyennes : aux Etats-Unis, une érosion réelle (ce que l’auteur appelle une démoyennisation) de la middle class, dans les pays émergents une explosion (ce que l’auteur appelle une moyennisation) en cours et à venir de la classe moyenne (la MOP, Middle Of the Pyramid). La France est entre les deux.
L’originalité de l’ouvrage vient du dernier chapitre : les portes d’entrées (économiques, sociologiques, par les modes de vie, par les représentations subjectives) étant insuffisantes, Julien Damon en propose une nouvelle, celle de la voiture. L’indicateur « possession d’une voiture » pourrait devenir un véritable outil de lecture …
- pour avoir une idée de la taille des classes moyennes dans les pays émergents, il suffirait de compter le nombre de voitures par ménage,
- pour avoir une idée des évolutions (déclassement ou embourgeoisement, et donc fractionnement) des classes moyennes dans des anciens pays industrialisés comme la France, il suffirait de regarder non pas l’équipement des ménages en voiture(s), mais leur évolution vers un équipement en voitures de luxe (catégories les plus aisées) ou en voitures low cost (catégories les plus modestes).
Pourquoi pas après tout ? Il faudrait alors aller plus loin.
Derniers intérêts de l’ouvrage :
- il met en avant, pour les catégories inférieures et centrales des classes moyennes, une vraie difficulté à comprendre le ciblage de l’action protectionnelle vers les personnes les plus démunies,
- il relativise les contre-arguments de l’opposition politique actuelle autour d’une fiscalité handicapante ou d’une diminution des redistributions vers les classes moyennes (alors qu’elles ne visent que les 10 à 15 % les plus riches, le revenu des classes moyennes se situant au-dessous de celui des 20 % les plus riches). J’ai par exemple été frappé par l’intoxication ambiante à travers le cri d’alarme, lors de l’émission Capital avec le Président Hollande, d’une mère de famille (son ménage gagne 5 700 € par mois, la famille ayant 3 enfants) qui assurait qu’elle allait payer davantage d’impôts avec la réforme du quotient familial, ce qui est faux évidemment.
Enfin, j’ajoute que cet ouvrage, qui relativise et apporte des données probantes, renforce encore l’idée d’une action sociale ciblée et juste, comme la nécessité d’une communication sur les priorités sociales et fiscales, et les choix en la matière. Tout un programme pour le changement ?
Daniel GACOIN
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