L’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) vient de publier des recommandations de bonnes pratiques professionnelles pour le secteur de la protection de l’enfance. Son titre est intéressant : l’évaluation interdisciplinaire de la situation du mineur / jeune majeur en cours de mesure (cliquer ici pour y accéder). J’ai fait partie des personnes ressources interviewées pour sa construction et j’ai retrouvé dans le groupe de travail, le groupe de cotation ou le groupe de lecture beaucoup de mes partenaires ou clients.
Le contexte
La mise en œuvre de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a mis en évidence la nécessité d’une plus grande exigence dans le suivi des mesures : association des parents, prise en compte du point de vue des mineurs, mesures de protection limitées dans le temps et soumises à une plus grande évaluation des besoins. La loi détaille dans ses articles 18 et 19 de nouveaux contenus pour l’article L.223 du Code de l’Action Sociale et des Familles :
- « L'attribution d'une ou plusieurs prestations prévues au présent titre est précédée d'une évaluation de la situation prenant en compte l'état du mineur, la situation de la famille et les aides auxquelles elle peut faire appel dans son environnement »,
- « Le service (NDLR : qui a été chargé de l'exécution de la mesure) élabore au moins une fois par an un rapport, établi après une évaluation pluridisciplinaire, sur la situation de tout enfant accueilli ou faisant l'objet d'une mesure éducative ». « Lorsque l'enfant est confié au service de l'aide sociale à l'enfance en application du 3° de l'article L. 222-5 du présent code et du 3° de l'article 375-3 du code civil, ce rapport est transmis à l'autorité judiciaire (…) le contenu et les conclusions de ce rapport sont portés à la connaissance du père, de la mère, de toute autre personne exerçant l'autorité parentale, du tuteur et du mineur, en fonction de son âge et de sa maturité. »
Le contenu des recommandations de l’ANESM
Le texte est destiné à tous les services mettant en œuvre des mesures de protection de l’enfance, services publics (foyer de l’enfance, services d’AED, de placement familial, les centres maternels, les services départementaux en lien avec les tuteurs et les conseils de famille, chargés du suivi des pupilles de l’État), services associatifs (Maisons d’Enfants à Caractère Social - MECS -, villages d’enfants, services d’accueil familial, d’AEMO et d’AED), services d’accueil de jour, maisons de l’adolescent, établissements et services relevant de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ)
Il présente globalement un contenu relativement classique en cinq chapitres :
- Chapitre 1 : Des positionnements initiaux
Des objectifs, des principes éthiques (l’intérêt de l’enfant, la dimension factuelle des observations, la distance nécessaire dans les observations), le repérage des normes et des représentations,
- Chapitre 2 : Des contenus et moyens pour ces évaluations
Une méthodologie, des contenus indispensables (avec 4 axes incontournables), des outils,
- Chapitre 3 : Une participation du mineur et de ses parents, ou du jeune majeur à cette évaluation
Une participation qui est un droit des personnes et une obligation institutionnelle, un processus global avec des temps pour le mineur / jeune majeur, pour les parents, et une articulation de ces temps,
- Chapitre 4 : Une construction collective en équipe et au sein de l’institution concernée
Une construction de l’équipe pluriprofessionnelle, une articulation avec les services du Conseil général, une association des partenaires, une structuration des temps d’élaboration et du contenu du rapport annuel
- Chapitre 5 : Une organisation institutionnelle au service de l’évaluation
L’intégration de cette dimension évaluative dans le projet institutionnel (cette approche est une mission et une prestation), la nécessaire formation des professionnels, l’organisation structurée des dossiers des usagers.
On le voit, le texte n’est pas révolutionnaire, il semble même, à la lecture, qu’il décline des pratiques largement répandues, voire « qu’il enfonce des portes ouvertes »… Toutefois, il a le mérite de reprendre des fondements incontournables.
Des originalités
Le texte comprend quelques pépites…
- la première est contenue dans le titre. Un petit glissement s’est en effet opéré entre les textes législatifs (voir plus haut) qui parlent « d’évaluation pluridisciplinaire » et le titre des recommandations qui parle « d’une évaluation interdisciplinaire ». Ce glissement fait partie des propositions que j’avais transmises à l’ANESM, permettant de passer d’une approche « pluri » (addition de points de vue), à une approche « inter » (construction d’un point de vue commun).
- la deuxième concerne les 4 axes d'une évaluation, repris dans un schéma global, indiquant la complexité des domaines mais aussi la nécessaire simplicité dans la structuration des grands contenus à travailler,
- les autres sont contenues dans les points de vigilance. Par exemple, les recommandations proposent une lecture interdisciplinaire des obstacles à une évaluation rigoureuse. Sont ciblées des tendances bien fréquentes dans les évaluations :
> la projection (opération inconsciente, par laquelle une personne place sur quelqu’un d’autre ses propres sentiments),
> la prophétie auto-réalisatrice (assertion qui conduit à des comportements de nature à la valider),
> l’effet Pygmalion (influence sur l’évolution d’une personne en émettant une hypothèse sur son devenir),
> l’effet de contamination (confrontation des professionnels à la souffrance des enfants et des parents qui expose ces professionnels à être, en quelque sorte, « contaminés » par ces difficultés)
> l’effet de halo (biais cognitif qui affecte la perception que l’on a d’une personne ou d’une situation, une caractéristique jugée positive ayant tendance à rendre plus positives les autres caractéristiques de cette personne / situation, même sans les connaître).
Bonne lecture à tous
Daniel GACOIN
Bonjour Daniel,
Pour le clin d'oeil, l'effet de contamination a été identifié pour la première fois dans les institutions psychiatriques en 1954. Il s'agit de l'effet "Stanton et Schwartz".
Bien amicalement,
Rédigé par : Pierre Ferreri | 07 février 2014 à 19:45