La nouvelle est tombée mardi soir, Robert Castel est mort… Difficile de
ne pas revenir sur ce sociologue qui a apporté, pour les sciences sociales, une
construction originale.
Ce n’était pas un maître à penser, mais un auteur qui donnait
à penser.
Son apport le plus fondamental est venu, après ses travaux de philosophie, puis ses études sociologiques des années 1970-1980 sur la psychiatrie dans le sillage de Michel Foucault, d’un virage amorcé en se consacrant aux questions sociales au début des années 1990, soit assez tard dans son parcours.
Son livre, Les métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat, (Fayard, 1995) nous ouvrira à une transformation, en cours depuis les années 1970 et non encore achevée à ce jour :
- plus d’un siècle de vie économique avait permis de construire
un socle socio-économique, basé sur le salariat, position sociale initialement méprisée, mais
devenant petit à petit le modèle de référence, notamment autour de « la condition salariale », avec les repères et protections
sociales, dont la notion de propriété sociale, qui
s’y rattachaient, créant un statut constitutif d’une identité sociale au sein
d’une société cohérente (au sens des compromis qu’il supposait).
- ce socle s’est effrité au cours des 40 dernières années dans un cycle non encore achevé, avec des conséquences : une acceptation de l'exclusion (selon son terme, « la désaffiliation »), de la vulnérabilité ou de la fragilisation qui frappent les individus « par défaut », plus globalement l’acceptation de sous-statuts salariaux dont celui de « précariat », terme majeur qu’il contribue à rendre populaire.
Plus près du travail social, son ouvrage, L’insécurité sociale (Seuil, 2003)
va nous intéresser au premier
chef : il étudie une transformation globale des systèmes de protection
sociale à travers un nouveau référentiel de tension sur plusieurs
axes :
- une centration nouvelle sur l’individu, son projet, l’individualisation des approches (avec des excès : inflation de subjectivité et d’hyper individualisme)
- un contexte général de transformations des politiques avec plus de ciblages, de projets basés sur des besoins, de traitement transversal des problèmes sociaux rencontrés par une même personne, de partenariat des acteurs de l’action sociale, de dynamique utilitariste dans les interventions sociales et les programmes, etc.
Je reconnais que j’ai été moins influencé par les ouvrages qui
ont suivi, (par exemple La discrimination
négative, Seuil, 2007) du fait de certaines redondances et parce que,
quoiqu’en disent certains, l’analyse des transformations n’avançait pas de
perspectives : comment reconstruire des statuts et des identités sociales
dans un contexte de précarité économique ? Par exemple, l’axe actuel de la
sécurisation des parcours, comme celui de la flexisécurité n’étaient pas repris
avec des propositions constructives.
Néanmoins, sa dernière livraison, dans
l’ouvrage collectif « L’avenir de la solidarité »
(PUF, 2013) nous laisse à la fois un regard critique sur les dernières transformations (violence de la crise économique, représentations de la pauvreté,
méfiance vis-à-vis des "assistés", responsabilisation de ces
derniers, diversité de la situation française, bilan en demi-teinte de la
nouvelle législation) et des perspectives nouvelles (pérenniser, voire renforcer la
protection sociale, en se centrant, sans discrimination ni activation
contreproductive, sur les groupes précarisés de type sous-salariat et précariat
pour leur proposer des modalités de mise en mouvement et de sécurisation). *
On se rappellera la voix fragile, la silhouette voûtée, la cigarette à
la main, le propos tenace, la générosité toujours à fleur de peau. N’hésitez
pas à retourner l’écouter sur le site La Vie des Idées,
c’est toujours passionnant
: voir l’interview « Retour sur la
question sociale » du 18 novembre 2008.
Daniel GACOIN
* dans cet ouvrage, d’autres contributions (reprises d’articles déjà parus sur le site de La Vie des Idées), sont à lire ab-so-lu-ment.
- je recommande l’article d’Hélène Perivier, « Les victimes collatérales du RSA », où cette économiste de l’OFCE analyse les raisons, diverses et conjuguées pour lesquelles les plus démunis ne peuvent accéder à l’emploi et restent bloqués dans l’assistance et les minima sociaux. Tout en dénonçant une conception purement monétaire de la pauvreté (assimilée à un état statique), elle se demande si, au lieu de tout miser sur une incitation stigmatisante pour ceux qui n’ont pas d’emploi, considérés comme des « assistés » ou de « mauvais pauvres », il ne serait pas plus judicieux « de renforcer leur accompagnement vers l’emploi » ou de favoriser l’encouragement à l’emploi des femmes.
- je recommande aussi un article de Serge Paugam, sociologue bien connu (je pense à deux ouvrages qui m’ont marqué, parmi d’autres : « L’exclusion, l’état des savoirs », ouvrage collectif de 1995, La Découverte, et « Les formes élémentaires de la pauvreté », PUF, 2005) : il examine les conséquences de la situation économique sur l’opinion des français, par exemple quand le taux de chômage est élevé, l’évolution de l’opinion va davantage considérer la pauvreté comme une injustice, plutôt que comme une défaillance personnelle, et inversement.
- à lire aussi, l’article de Jean-Claude Barbier, également sociologue : « Pour un bilan du workfare et des politiques d'activation de la Protection sociale », que j’ai déjà évoqué dans ce blog en avril 2011,
- et je n’oublie pas les propos de Jacques Rodriguez (toujours un sociologue), « De la charité publique à la mise au travail, autour du Speenhamland Act », ou de Nicolas Duvoux sur le RMI à la Réunion.
Merci de lui avoir rendu cet hommage. Il faisait partie de mon jury de thèse, il y a bien longtemps et j'ai aussi suivi son travail. C'est effectivement quelqu'un dont le travail a compté pour notre secteur...
Rédigé par : Laurent Barbe | 16 mars 2013 à 14:46