La dernière semaine politique a été exceptionnellement riche en péripéties politico-judiciaires. Il n’est pas sûr qu’elles aient été utiles, ni même qu’elles aient contribué à élever le débat.
Je passe donc sur ces péripéties pour aborder un malentendu, qui a agité l’Assemblée Nationale, avec nom d’oiseaux de tous côtés et manipulations diverses. Ce malentendu est lié à un amendement parlementaire déposé à l’occasion de l’examen, et l’adoption en première lecture, du projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école. L’amendement en question est déposé par Michel Ménard, député socialiste de Loire-Atlantique : il concerne une possible demande directe par l’Éducation nationale, sans l’accord formel des parents, de modification de l’orientation d'un enfant handicapé au sein d’une école ordinaire. L’affaire est complexe…
Un historique en 10 étapes
- 1ère étape : La loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, était basée sur l’ouverture de droits fondamentaux pour toutes les personnes handicapées avec, au cœur de ses dispositions, un plan de compensation du handicap (PCH). L’inclusion scolaire des enfants handicapés se situe dans le prolongement avec l’idée d’une scolarisation dans l’école ordinaire et d’un projet personnalisé de scolarisation (PPS, qui est partie intégrante du PCH d’un enfant ou adolescent). Ce PPS est censé être établi par la Maison départementale des Personnes Handicapées (MDPH) à la demande des parents ou par exception, à la demande de l’école, mais toujours avec l’accord formel des parents.
- 2ème étape : La mise en application de cette loi a connu des hauts et des bas, et de nombreux champs sont en retard par rapport au calendrier. En revanche, pour la partie scolarisation des enfants ou adolescents, les outils prévus se sont progressivement développés à partir de 2006-2007, dont la mise en place d’enseignants référents pour le suivi des PPS, dont la mise en place d’Équipes de Suivi de la Scolarisation (ESS).
- 3ème étape : Un prolongement de cette partie de la loi sur l’inclusion scolaire concerne la scolarisation des enfants et adolescents handicapés dans des unités d’enseignement spécialisé, au sein des établissements spécialisés : un projet d’unité d’enseignement, une convention avec l’Éducation nationale, un coordinateur de cette unité d’enseignement, des enseignants spécialisés, un suivi du PPS de chaque enfant par les mêmes enseignants référents que pour les enfants en inclusion scolaire.
- 4ème étape : Le développement des postes d’auxiliaires de vie scolaire (AVS) pour les aides humaines individuelles se met en place sérieusement, mais jamais à la hauteur des besoins, et jamais dans une véritable professionnalisation de ces acteurs. Sur ce plan, est constatée une tendance à l’inflation des demandes, alors que les AVS restent en situation précaire.
- 5ème étape : Au-delà des postes d’AVS, d’autres tensions se font jour, mais ne peuvent empêcher le constat d’une progression continue de l’inclusion scolaire : + 35 % en 5 ans.
- 6ème étape : Un résultat paradoxal est constaté dans quelques situations : des échecs d’inclusion scolaire sont constatés pour une petit pourcentage d’enfants arrivant ensuite dans des établissements spécialisés après un parcours difficile de souffrance et de rejet, la scolarisation est loin d’être généralisée dans les établissements spécialisés ce qui génère des polémiques (notamment quand il s’agit d’enfants autistes).
- 7ème étape : des applications « exotiques » de la loi sont constatées notamment du côté des enseignants référents : ces derniers peuvent parfois se sentir décideurs (ce serait eux qui demanderaient les PPS ou les décideraient, ce serait à eux de définir les contenus des accompagnements dans les établissements spécialisés), ils ne convoquent pas systématiquement les parents aux réunions d’équipes de suivi de la scolarisation (RESS), ces dernières étant massivement oubliées pour les enfants en établissement spécialisé. Au sein de l’Éducation nationale, un petit courant se fait jour, regrettant de ne pouvoir tout décider ("la MDPH et les règles de droit, notamment le droit à compensation à la demande des parents, c’est bien gênant") : admission, exclusion, orientation des contenus, contrôle des approches médico-sociales. A noter, dans certains secteurs, ce sont bien les enseignants référents qui définissent les PPS et non l’équipe pluridisciplinaire de la MDPH.
- 8ème étape : Le projet de loi du gouvernement pour la refondation de l’école comporte de nombreux champs (formation, priorité dans l’école primaire aux enseignements fondamentaux, progression de l’éducation au numérique, évolution des contenus et de leur progressivité, partenariats territoriaux). L’accueil du handicap n’est pas directement concerné. mais la question des moyens reste sensible, ce qui nous ramène à la question des AVS, évoquée plus haut.
- 9ème étape : un député socialiste, non spécialiste de la question du handicap (carrière à la Ligue de l’Enseignement), s’est intéressé au sujet en 2012 (rapport à l’occasion du budget Éducation nationale 2013) et propose un amendement : à la place de la situation actuelle (les parents d’enfants handicapés ou présentant des difficultés d’adaptation sont à l’origine d’une demande de PPS à la MDPH : soit en étant demandeurs, soit en ayant donné leur accord à une proposition de saisine de la MDPH par l’Éducation nationale), il propose une nouvelle organisation. Dans cette approche : l’Éducation nationale pourrait saisir directement la MDPH, même sans l’accord des parents, leur avis étant néanmoins recueilli, « pour toute révision de l’orientation d’un enfant ou d’un adolescent et des notifications concernant son accompagnement, y compris en cours d’année scolaire ». L’affaire est saisissante : malgré des préventions (en commission, Monsieur Ménard s’était entendu dire que cet amendement « s’agissant de la saisine des MDPH, bouleverserait l’équilibre trouvé entre les familles, les équipes éducatives et l’Éducation nationale »), l’homme insiste sans réelle connaissance approfondie : « Lorsque j’ai été rapporteur pour avis du budget de l’enseignement scolaire et que j’ai procédé à des auditions, on m’a dit que ce dispositif serait dans l’intérêt des élèves, et qu’il favoriserait notamment le développement de leur autonomie en cours d’année ». La naïveté est insondable mais a des conséquences : l’amendement est adopté.
- 10ème étape : le tollé du côté des associations spécialistes du handicap est immédiat (des risques importants de voir l’Éducation nationale prendre des positions directives, notamment en matière d’exclusion, au mépris du droit). L’opposition s’empare de la question (alors que les mêmes, au pouvoir il y a peu, n’étaient pas les plus assidus pour défendre les moyens d’accompagnement du handicap à l’école) et met le feu aux poudres : l’Éducation nationale veut reprendre la main, le gouvernement se trompe. Les insultes pleuvent, le gouvernement revient en arrière avec une volonté d’apaisement ambigu (non un retrait mais une révision de l’amendement parlementaire), notre naïf de service (Michel Ménard) crie à l’innocence (ma mobilisation pour l’inclusion en milieu ordinaire des enfants en situation de handicap est pleine et entière).
Des conclusions
Beaucoup de bruit pour rien donc, mais une occasion ratée de poser des bonnes questions :
1. L’inclusion scolaire est quantitativement en progression*, c’est un véritable progrès, mais c’est loin d’être une réussite totale.
2. L’inclusion scolaire n’est pas une panacée, contrairement à ce que tout le monde croit, ce peut même être une grande souffrance pour certains enfants.
3. L’évolution des orientations (en inclusion scolaire et du point de vue des moyens, en établissement spécialisé avec inclusion scolaire partielle ou scolarisation en unité d’enseignement spécialisé) doit continuer à relever d’une demande des parents auprès de la MDPH, avec exclusion de l’Éducation nationale de ce circuit.
4. Il est important de situer l’Éducation nationale, comme les établissements spécialisés, comme opérateurs des orientations de la MDPH. Il est également nécessaire de situer les enseignants référents à leur juste niveau, celui de coordinateur d’action et d’animateur d’ESS avec présence et écoute des parents et de l’enfant, dans le respect de ces derniers.
5. Il est temps d’éviter l’amateurisme de certains parlementaires à l’Assemblée nationale. Ce qui s’est passé à l’occasion du projet de loi pour la refondation de l’école risque de se reproduire, avec des conséquences plus graves pour le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi.
Daniel GACOIN
* il est intéressant de lire un récent article de la revue Études et Résultats (DREES) sur cette progression quantitative :
Le nombre de places en inclusion scolaire avec accompagnement spécialisé (SESSAD) a très fortement augmenté depuis plus de 10 ans, avec une progression continue depuis 2006, le nombre de places en établissement spécialisé a très fortement baissé de 1990 à 2002, s’est érodé, en restant globalement stable pendant les 10 dernières années.
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