J’aborde aujourd’hui le deuxième épisode du « changement maintenant » dans l’action sociale et médico-sociale. Dans le cadre des évolutions possibles, ou souhaitables, il est nécessaire de penser aux moyens mobilisables. Que peut-on espérer dans l’avenir ? La libération de marges nouvelles pour le financement d’un secteur qui serait devenu exsangue selon certains ? La sortie de l’obsession comptable et budgétaire qui viendrait tout limiter, sans discernement ?
Ne pas
croire à l’idée que tout aurait été limité dans la période précédente
Paradoxalement pour quelqu’un qui, comme moi, se montre critique sur l’état dans lequel se trouve le secteur social et médico-social après les cinq dernières années gouvernementales, il convient d’être précis et mesuré dans les appréciations : le secteur social et médico-social n’a pas été unilatéralement soumis au régime sec dans les dernières années. Le schéma le plus exact est le suivant :
- Une majeure partie des établissements et services existants, pour enfants et adolescents handicapés, dans le secteur de la protection sociale, pour personnes âgées dépendantes, a été confrontée à la pratique du taux directeur, toujours inférieur à l’augmentation du coût de la vie : une érosion infime, mais lente et continue, désespérante il est vrai, mais sans coupe franche des budgets. C’est ce processus que beaucoup de directeurs ou de professionnels désignent par la logique comptable sans discernement. L’organisation d’une recherche de convergence tarifaire est venue ajouter une normalisation des moyens, non encore aboutie, en dehors des réelles spécificités des besoins et des projets. On est donc pour cette majeure partie du secteur dans l’érosion des moyens, pas dans un régime sec.
- Pour une petite partie, les Établissements et Services d’Aide par le Travail, la pratique comptable a été complétée : au taux directeur s’est ajouté le tarif plafond. Le processus d’érosion s’est alourdi d’une limitation plus stricte, souvent sans lien avec la réalité de terrain. Le régime devient plus sec.
- Pour une autre partie d’établissements (je pense notamment au secteur dit de l’inclusion sociale) CHRS, CADA, Samu social, etc.), la mécanique a été plus désespérante : réduction des moyens, certes pas massive, mais accentuée (les moins 10 % sur 3 ans par exemple pour les CHRS). Le régime sec est une évidence, souvent aggravé par un discours qui a été ouvertement défiant et méprisant.
- Il a pourtant été possible de mobiliser des financements pour des projets nouveaux : essentiellement dans le champ du handicap ou des personnes âgées (sur des problématiques particulières comme l’autisme, la prise en charge des personnes avec une maladie d’Alzheimer, etc.). Il s’agissait alors de projets ciblés avec financement pour des créations de places via un processus complexe (les PRIAC), avec relais de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA). Attention pourtant, une partie (près de 250 millions d’euros) du budget 2011 de la CNSA n’a pas été distribuée aux établissements et services pour personnes âgées ou handicapées (2/3 des engagements de l’Etat non tenus) et pour 2012, près de 120 millions d’euros de crédits de fonctionnement ont été retirés aux établissements et services existants (une réalité incompréhensible : on est à la limite du détournement d’une partie de la contribution solidarité autonomie). Donc, l’investissement a été réel, même s’il est limité, loin en tous cas d’un régime sec.
- Pour le secteur de l’aide à domicile (personnes âgées ou handicapées), le processus a été totalement déstabilisant : réduction des coûts, instabilité des règles, mise en danger des pérennités de certaines structures pour un secteur qui s’est développé dans un contexte de forte concurrence. Des mesures publiques ont été initiées, loin d’un plan d’urgence à la hauteur des enjeux, en sachant que de part et d’autre (pouvoirs publics, organismes gestionnaires), la présentation des réalités comme les arguments de défense étaient biaisés.
- Certaines activités ont subi des coupes franches, souvent présentées comme des baisses de tarifs (les mesures judiciaires d’investigation par exemple), le plus souvent par un désengagement (je pense au financement d’activités dans la Protection Judiciaire de la Jeunesse).
- Enfin, certaines mesures - par exemple le financement des aides à la scolarité pour les enfants handicapés - ont été franchement en deçà du nécessaire, avec des présentations hypocrites de la part des pouvoirs publics. Le régime sec s’est doublé d’une tartufferie.
Se rappeler les discours sur une nouvelle rationalité managériale vers des résultats
En parallèle à ce tableau pour le moins contrasté, il faut se rappeler que les pouvoirs publics précédents se sont lancés dans une fuite en avant (verbale) sur de nouvelles manières de gérer le social et le médico-social : l’efficience (le résultat) en ligne de mire, avec comme outil premier l’évaluation, et plus loin, des méthodes basées sur des indicateurs de performance. Il convient d’être précis sur le dernier point : l’indicateur de performance s’est avéré être une fumisterie, malgré les grands discours de l’ANAP, conduisant à produire du tableau, encore du tableau, sans réellement de pistes concrètes. On bureaucratise, on technocratise, sans avancée entendable, praticable.
Par ailleurs, l’obsession de la RGPP s’est traduite par une réalité : une démarche désespérante et illisible, avec « communication lénifiante », « mesures imposées sans dialogue », « démarche trop rapide », « impact financier réel mais difficile à évaluer », « méthode et mise en œuvre (…) inconciliables avec l'ambition initiale de révision des politiques publiques », « gestion des ressources humaines pas à la hauteur des enjeux », « mainmise du président » et « recours à des audits confidentiels coûtant en moyenne 46 millions d'euros chaque année »… Pour en savoir plus, lire le rapport paru il y a quelques jours (cliquer ici pour le télécharger).
Quelles perspectives ?
Qu’on le veuille ou non, nous sommes contraints non à l’austérité, mais au désendettement. Les pouvoirs publics ont tranché : le désendettement ne sera pas une cure d’austérité, mais une démarche volontariste dite de « désendettement productif » : limitation de dépenses, augmentation des recettes avec plus d’impôts pour les ménages les plus aisés et pour les entreprises (hors PME). Cet horizon était inévitable, résultat d’une crise généralisée, d’un endettement progressif pendant 25 ans. Libre à certains de penser le contraire. En responsabilité, la poursuite de l’endettement étant suicidaire, le seul horizon qui s’ouvrait est bien la voie choisie, qui est en soi un changement : réduction des dépenses d’un côté, justice sociale dans l’augmentation des recettes de l’autre.
On pourra gloser sur telle ou telle application (je pense par exemple que l’on est pas allé assez loin sur les niches fiscales et sociales), malgré leur absence globale d’efficacité (pour 66 % des 60 milliards des niches fiscales et pour 66 % des 35 milliards de niches sociales).
Le projet de budget pour 2013, présenté le 28 septembre, va être suivi demain par le projet de budget de la Sécurité sociale : il sera dans la même veine. La conclusion pour l’ensemble du secteur social et médico-social est évidente : le régime sec va venir, et rapidement.
Les conséquences en toute logique
Dans une approche fondée du changement, il ne restera que quelques pistes pour réaliser l’approche par le « désendettement productif » :
La première piste est la chasse au gaspillage : dans ce cadre, il n’existe que très peu de pistes. L’essentiel tient dans la suppression des dépenses improductives : les financements des dépenses de technostructures dans les organismes de contrôle comme dans les organismes gestionnaires d’établissements et de services. Pour ces derniers, la chasse aux frais de siège et autres fonctions transversales ou échelons inutiles dans les circuits hiérarchiques sera la réalité à venir. Je m’en réjouis tant j’ai vu apparaître des fonctions nouvelles qui sont venues compliquer, alourdir, créer des dyschronies, des ordres et contre-ordres sans bénéfice supplémentaire sur le terrain de l’action au sein des organismes gérant des établissements et services. Mais je ne peux passer sous silence la piste première : la diminution des dépenses dans les organismes de contrôle. Les collectivités locales sont bien sûr en ligne de mire, mais je pense que les premiers travaux devraient concerner les nombreuses agences qui ont fleuri. Un rapport récent est venu conforter cette idée (cliquer ici pour le télécharger) : 50 milliards d’euros pour le fonctionnement des agences, avec une utilité qui reste à évaluer dans certains cas. Pour le secteur social et médico-social, au-delà des ARS (dont il faudra évaluer le rapport coût / bénéfices), c’est l’addition de la Haute Autorité de Santé, de l’ANESM (Agence Nationale de l’Évaluation et de la qualité dans les établissements Sociaux et Médico-sociaux) et de l’ANAP (Agence Nationale d’Appui à la Performance des établissements sanitaires et sociaux) qui est interrogée. Je m’en réjouis même si le rapport n’a pas travaillé sur l’efficience et l’efficacité de ces structures : je pense d’emblée que l’ANAP est de trop. C’est même un scandale : un budget important, une partie (35 millions d’€ sur 52) consacrée à payer des audits, alors que par ailleurs on voit des agents (98 personnes dans cette agence) vendre leurs services pour animer des formations sur l’utilisation de leurs tableaux de bord. Pour l’ANESM, l’évidence, c’est qu’il faudra revoir son efficacité et sa structure : pour l’instant, s’il faut encore attendre, il est possible de lui demander une plus grande efficacité dans le contrôle qualitatif des missions d’évaluation externe. Je rappelle que de tous côtés, remontent des informations sur le caractère fantaisiste, voire plus inquiétant même, de certaines évaluations externes.
La deuxième piste est la mise en avant d’une exigence de bonne gestion : dans ce cadre, une première idée serait de favoriser les dépenses de projets plutôt que les dépenses de structures, une deuxième idée serait de développer de véritables ratios d’encadrement, fondés non sur des chiffres généraux, mais sur des chiffres ciblés. L’utilisation des plafonds, des taux directeurs et des tarifications fines est à confirmer certes, mais en la reliant aux catégories de difficultés rencontrées, aux projets mis en œuvre. Le recours au CPOM est le bon support.
La troisième piste est l’optimisation de l’existant et non sa remise en cause continuelle : dans ce cadre, il convient d’aider les projets, non de les soumettre à des interrogations continuelles. Arrêtons les réformes continuelles, travaillons à la juste utilisation des moyens en étant attentifs aux retours sur les réalités de terrain. Il existe des manques alors que l’État lui-même s’est engagé dans des politiques et des créations de places. Ne pensons pas pour l’instant à créer autre chose et confortons l’existant.
Comme vous l’avez compris, je n’ai pas de problème avec la diminution des dépenses, dans la mesure où elle contribue au « désendettement productif », je souhaite juste que ses modalités soient correctement définies.
Prochain épisode : quelles politiques pour l’action sociale et médico-sociale ?
Daniel GACOIN
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