La nouvelle est tombée, il y a près de 4 semaines, un éducateur de 38 ans, marié, père d'un enfant de 18 mois, s'est pendu sous un pont un matin de novembre. Il travaillait dans une unité éducative avec internat (accueil judiciaire en protection de l’enfance ou au titre de l’ordonnance de 1945) auprès de jeunes en grandes difficultés. Les premières raisons présentées dans la presse de ce suicide agi de manière à être vu et médiatisé : « l’expression du désespoir, d’un sentiment de meurtrissure de la part d’un éducateur sanctionné par sa hiérarchie pour avoir donné un coup de tête (sans blessure) à un jeune qui l’avait agressé, plaqué contre un mur, ceinturé, et lui avait cassé deux côtes ».
Les faits
Ces faits se sont déroulés le 8 septembre 2011. Il n’y a pas de contestation de la part des salariés, comme de la direction, de l’enchainement des évènements :
- dans une unité éducative (foyer), tentative de discussion d’un éducateur avec un jeune de 14 ans (récemment exclu d'un autre établissement, placé depuis trois semaines dans cette unité, notoirement violent, ayant agressé la veille une éducatrice), agression de l’éducateur qui reçoit des coups de poing, volonté de maîtrise par l’éducateur, coup de tête sur le jeune,
- réaction quasi immédiate de la hiérarchie, avec convocation pour un licenciement (faute grave), puis devant le tollé, retour en arrière et décision d’un simple avertissement avec une mutation d’office (à Hazebrouck, soit à 45 kilomètres de son poste initial : l’éducateur n’aurait pas de véhicule),
- arrêt maladie (des propos indiquent qu’il vivait depuis septembre une dépression) avant son geste dramatique du 17 novembre 2011,
- exercice, depuis cette date, d’un droit de retrait des éducateurs de cette association, avec forte contestation des modalités de management de celle-ci, droit de retrait qui durera près de 18 jours (durée exceptionnelle), au point que l’association déclarera devoir à terme cesser son activité,
- levée de l’exercice du droit de retrait le 7 décembre, il y a 5 jours, et mise en place d’une concertation entre direction et salariés sur les modes d’organisation et les conditions de travail, avec mobilisation des autorités de contrôle (pour des moyens ajustés) et de la direction (arrivée d’un DRH, analyse complète des besoins et réalités).
Les autres informations
La première autre information relayée par la presse concerne la contestation de la réaction de la direction : mettre en cause le salarié, ne pas porter plainte contre le jeune.
Une deuxième information également relayée par les médias semble étayée :
- la direction de l’Association gestionnaire, l’Association d’Action Éducative et sociale à Dunkerque (AAE) a été alertée par la médecine du travail, interlocuteur indépendant en décembre 2010. Le CHSCT : il est question de mal être au travail, de souffrance physique et psychologique, de professionnels ne pouvant plus donner de sens à leur travail. La médecine de travail aurait recensé 170 jours d'arrêts de travail dus à des agressions sur sept éducateurs
- la proposition de création d’une procédure, avec appel à un expert extérieur, aurait été contestée par l’AAE, en raison de son coût de 80 000 € (non financé). Les syndicats indiquent que la direction de l’AAE contestait « cette priorité » au regard d’autres impératifs. L’affaire est allée jusqu’au tribunal, et l’AAE se désistant au dernier moment, l’audit a été programmé (avec poursuite des discussions sur le montant de la prestation du cabinet extérieur), malheureusement après le suicide de l’éducateur.
Une troisième information, présentée par les syndicats puis la presse, fait état d’un faisceau d’évolutions institutionnelles au sein de l’AAE depuis quelques années :
- la réorganisation des structures institutionnelles par pôles (4 : éducatif, formation, insertion sociale, insertion par l’économique) et par départements (pour le Pôle éducatif, une structure appelée « La Passerelle », avec redéploiement de 3 internats). C’est beau sur le papier, mais dans la réalité ?
- une pratique managériale de restructuration à marche forcée, ne prenant pas forcément en compte une participation des professionnels de terrain.
- un envahissement dans les structures internats de jeunes en très grandes difficultés, posant des actes de transgression envahissants, des incivilités, mais surtout avec des réactions incohérentes et peu actives entre management stratégique, management de proximité et organisationnel, acteurs de terrain.
- une priorité donnée à des dépenses concernant les structures transversales, la technostructure, sans prise en compte suffisante des besoins de terrain. La presse a relaté le fait que, parallèlement au refus de financer l’expertise sur la souffrance au travail, l’AAE privilégiait la pose d’une géolocalisation sur les véhicules de service (les véhicules de fonction des membres de la direction n’étant pas concernés), soit 43 000 € d'installation et 40 € par mois par voiture pour un parc de 88 véhicules, en coût de fonctionnement. A été décriée également dans la presse le niveau de rémunération de 700 000 € pour les 11 plus hauts salaires des cadres, par opposition aux difficultés d’équipements dans les structures de vie des jeunes.
Il convient d’être extrêmement prudent à l’égard de ces informations, notamment parce que des chiffres peuvent dire tout et son contraire : les 63 000 € en moyenne pour 11 salaires annuels, concernent-ils des salaires nets ? bruts ? bruts plus charges patronales ? Dans le dernier cas, nous serions en face d’une réalité peu problématique (un salaire annuel d’éducateur, chargé, c’est 35 à 40 000 € selon l’ancienneté)
Une réaction
L’amélioration de la situation est en cours, c’est heureux, mais ce sera une affaire à tenir sur le long terme. Je suis simplement horrifié par cette situation, certes spécifique, mais plus que tragique :
- l’AAE n’a pas communiqué, humainement, sa compassion à propos de la situation individuelle (souffrance, suicide, famille en détresse, dont une jeune veuve et un enfant en bas âge ayant perdu son père), ce qui me choque profondément (le site de l’AAE est centré sur l’organisation, avec néanmoins l’énoncé de valeurs humanistes : l’homme au cœur du projet ! - cliquer ici pour accéder au site).
- l’AAE me semble un exemple, hélas maintenant, assez courant d’évolution des associations : fascination pour un « jeu de meccano » (pôles, départements, restructuration, technostructure grandissante) ou pour les questions organisationnelles, qui semblent peu en phase avec les réalités de terrain et, surtout, peu construites dans une dynamique de projet avec implication des acteurs (le lecteur pourra se référer à mon chapitre sur le sujet dans le récent « Manuel de direction en action sociale et médico-sociale », Dunod, octobre 2011, et à mon billet récent sur cet ouvrage : cliquer ici pour y accéder). Il me semble que nous n’avons pas fini de vivre les conséquences d’une évolution plus globale dans le management public : la rupture du fil cohérent entre des managers stratégiques, des managers de proximité et des agents dans les structures.
Une analyse sur la souffrance au travail
Plus globalement, il existe une difficulté réelle dans les structures socio-éducatives et sociales : l’envahissement par des jeunes en grande difficulté (entre troubles psychiques et comportements déviants installés), la difficulté à gérer ces situations. Il est temps de reprendre la réalité pour engager des solutions, sans penser à des miracles, mais simplement à une vraie rationalité. La contention devant la violence a été recommandée par l’ANESM ( recommandations de 2008 - cliquer ici pour y accéder) que je cite : « Dans les situations d’urgence, il est nécessaire de contenir celui qui commet le passage à l’acte. L’acte de contenance sera réalisé dans un esprit non de domination mais d’apaisement, en évitant la brutalité, l’humiliation, l’érotisation. Cet acte de contenance est suivi d’une verbalisation et d’une réflexion ». »il est nécessaire d’apporter les premiers soins, (…), de désigner un référent pour accompagner la personne tout au long de la procédure (constatation médicale, dépôt de plainte) et de proposer un accompagnement et un soutien psychologique aux personnes victimes d’agression qu’il s’agisse de professionnels ou d’usagers ». Le minimum, dans une affaire comme celle de septembre 2011 (altercation et maîtrise d’un jeune violent), aurait été un accompagnement du jeune, un accompagnement de l’éducateur, un dépôt de plainte…avant toute sanction.
La réalité d’aujourd’hui, dans toutes les structures sociales et médico-sociales, c’est la perte de repères sur la souffrance psycho-sociale et le stress au travail, comme sur la gestion de la violence :
- tout stress est présenté comme inadmissible. Or, je reprends ici les propos de Pierre Canouï, psychiatre, lors du colloque du 27 novembre 2010 du Centre Sèvres Violence de la maladie, violence dans le soin (un colloque auquel j’ai contribué : cliquer ici pour commander les actes) « le stress représente un modèle transactionnel bio-psycho-social et constitue un mécanisme d’adaptation normal de l’individu au monde ».
- il existe une banalisation des situations de violence et de la détresse qu’elle provoque chez les professionnels,
- les modèles managériaux actuels tendent à déconnecter les orientations stratégiques (et les managers qui les portent) des réalités de terrain,
- tout conflit (finalement toute dimension dialectique dans une institution) a tendance à se déplacer sur le terrain, non de la contestation, mais de la souffrance au travail. Nous sommes passés d’un regard sur la violence des institutions à celui de la violence des individus, puis de la violence managériale (voir mon exposé lors du colloque du 27 novembre 2010, cité plus haut), sans véritable construction de repères partagés,
- les modèles de médiation sont mis en avant, mais la plupart du temps sollicités après dégradation des situations, et hélas, dans des contextes devenus dramatiques,
- les repères de traitement des situations de violence sont encore, toujours, à élaborer, ils ne sont plus prioritaires.
Éviter des drames comme celui de Dunkerque, c’est possible, c’est nécessaire, c’est urgent.
Daniel GACOIN
Monsieur Gacoin
Je viens de parcourir avec intérêt votre article et en tant que premier intéressé je souhaiterais légitimement vous apporter un complément d'information qui pourrait parfaire votre analyse.
En tant que DG de cette Association je souhaiterais effectivement pouvoir si possible vous rencontrer, vous expliquer l'histoire de cette Association bientôt cinquantenaire ainsi que mon histoire professionnelle (ayant été Educateur de 1982 à 1990, CSE de 1990 à 1995 puis Directeur de 1995 à 1998 dans cette Association qu'est l'AAE;ayant ensuite bifurqué de 1998 à 2005 pour la fonction de Directeur Adjoint à l'IRTS NPdC avant de revenir à l'AAE en tant que Directeur Général)
Je pense qu'une prise de contact entre nous, voire une rencontre afin de répondre à vos questions serait intéressante tant pour vous que pour moi qui ait besoin de causer de ce qui s'est passé et de ce qui se passe actuellememt.
A votre disposition
A Thomas DG AAE
Rédigé par : André Thomas | 14 décembre 2011 à 21:59
Cher Daniel,
Nous suivons cette histoire dramatique depuis un peu avant le suicide de Fabrice Hrycak
Voici quelques nouvelles :
http://www.ones-fr.org/phpBB3/viewtopic.php?f=17&t=50&sid=ceeaa6d316b0306b8d734adfcbabcdf1
Rédigé par : jean marie Vauchez | 22 décembre 2011 à 11:06
Les conditiond de travail dans le social sont de plus en plus difficiles, les difficultés budgétaires viennent impacter profondémment des budgets très contraints depuis plusieurs années. Ainsi, dans le pas de calais, la norme de travail en AEMO est de 38 mineurs par Travailleur social (elle est une des plus importante en France. La dégradation de la situation économique, le chomage installé entrainent des conditions de vie difficiles qui rejaillisent sur la situation des mineurs et de leur famille, les situations confiées sont complexes pacequ'une multitude de problèmes viennent mettre les familles en tension. Intervenir dans ces conditions nécessite de la disponibilité. La charge de travail rend cela difficile alors qu'un étayage soutenu des situations
s'impose.Aujourd'hui, le conseil général conteste le bien-fondé de la mesure d'AEMO argumentant de son peu d'efficacité.
Cette question serait-elle d'actualité si la norme était plus basse ?
Les situations sont, depuis la loi de 2007, judiciarisées lorsque toutes autres formes d'intervention ont été essayées. Ce sont donc bien les situations les plus complexes qui sont confiées, leur prise en charge nécessite des moyens différents.
Les informations préoccupantes viennent renforcer les saisines judiciares et créent des listes d'attente deans les services. Le conseil général ne supporte plus cela et "attaque" les services, niant ainsi la réalité des problèmes rencontrés par la population et rendant les travailleurs sociaux responsables de prise en charge abusives. Le discours tenu aux travailleurs sociaux mds
est donc de "banir" les mesures d'aemo judiciares et administratives, d'assumer le suivi des situations eux-mêmes en leur rappelant leur responsabilité par rapport à ce qu'ils font mais aussi par rapport à ce qu'ils ne font pas.
Le travail social, les travailleurs sociaux, les familles, les mineurs ne sont donc plus pris en considération et sont mis à mal par un conseil général ne regardant que certains chiffres et ne voulant plus rien écouter.Le social a un coût, il n'est pas rentable au sens financier... Le financier domine et casse...
Il serait plus que tant qu'au niveau national, le travail social rentre dans les débats et nous aimerions que les intellectuels nous aident à soutenir notre travail et son sens.
Rédigé par : M. Paschal | 20 avril 2012 à 18:06
Bonjour
L'ONES suit avec attention la situation des salariés le l'AAE de
Dunkerque et ce, bien avant le suicide de l'un des éducateurs.
Depuis, la situation de cette association n'a cessée de se révéler et un
rapport indépendant est venu préciser le ressenti de la majorité des
éducateurs de cette structure.
Pour l'ONES, la situation de l'AAE est emblématique de dérives plus
générales qui touchent l'ensemble des établissements et services sociaux
et médico sociaux. C'est pourquoi nous diffusons ce rapport avec
l'accord des représentants du personnel de l'AAE. Nous le prolongeons
également de nos réflexions qui s'appuient sur les nombreuses
interpellations concernant des situations de souffrances au travail,
dont nous pouvons faire l'objet.
Nous avons mis sur notre site l'ensemble des éléments (communiqué et rapport)
http://www.ones-fr.org/
Président de l'ONES
Rédigé par : jean marie Vauchez | 27 juin 2012 à 10:23
Bonjour,
vous trouverez ici le dernier communiqué de l'ONES à ce sujet...
http://www.ones-fr.org/spip.php?article372
cordialement
P.M
Rédigé par : p.m | 02 juillet 2012 à 19:44
Je suis énormément triste d'apprendre ce drame au sein de l'AAE. Ayant été élevé au centre les embruns à Dunkerque, je suis en aucun surpris par le comportement des dirigeants de cette association. j'ai par ailleurs connu plusieurs éducateurs licenciés pour des motifs peut valables.
Cette association et son personnel sont remarquables. ils ont aidé énormément d'enfants à reprendre confiance en eux. voici maintenant 12 ans que j'ai quitté la maison d'enfant.
Mon point de vue par rapport au directeur général est positif, j'ai connu cette personne à l'âge de 7 ans. il n'était que mon directeur d'école à l'époque. il à beaucoup aidé ma famille en tout point de vue. nous lui devons beaucoup. à l'âge de 15 ans, j'ai de nouveau repris contact avec lui. il ma ensuite aidé pour ma vie professionnelle. il m'a présenté à des personnes afin que je prépare un contrat d’apprentissage. j'ai réussi grâce à lui. c'est une personne humaine, qui tend la main à tout ceux qui veulent ... n'ayez pas une mauvaise vision de D. Lemang qui pour moi, restera un être formidable à qui je dois beaucoup.
Le grand défaut de cette association n'est pas une mauvaise direction. mais simplement un délogement trop conséquent de son personnel.
Merci de m'avoir lu
Vincent
Rédigé par : Antho | 28 juillet 2014 à 02:36