Le 8 décembre 2011, a été remis à Madame Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'Etat aux solidarités et à la cohésion sociale, un rapport officiel faisant le point sur l'appropriation des démarches d'évaluation dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). La presse spécialisée a systématiquement commenté son contenu, après sa présentation par l’auteur, Sylvain Connangle, lui-même directeur d’EHPAD. C’est pourquoi plusieurs lecteurs m’ont m’interpellé pour savoir qu’en penser.
Je dois dire que j’étais très ennuyé par ces interpellations, ne pensant pas grand-chose de positif de ce rapport, car je ne voulais pas terminer l’année de ce blog uniquement sur des polémiques. Néanmoins, il m’a semblé que ce rapport donne une bonne image des non-sens actuels.
De quoi s’agit-il donc ?
En 2010, Nora Berra, Secrétaire d’État aux aînés, confiait une mission de réflexion à ce directeur d’EHPAD dont l’objectif était de proposer des pistes pour l’appropriation des démarches d’évaluation dans le secteur médico-social consacré aux personnes âgées. On se rappellera que Nora Berra avait été, un an auparavant, fortement impliquée dans l’idée d’une avancée significative de démarches d’évaluation constituant des garanties visibles, agitant même l’idée d’une diffusion publique des rapports d’évaluation. Elle avait poussé, dans la foulée, l’ANESM puis l’ANAP à produire des recommandations sur l’évaluation, comprenant des indicateurs précis de performance. C’est pourquoi, il pouvait lui sembler utile de demander à mieux comprendre les moyens de lever des difficultés pour l’appropriation de ces démarches : elles constituent des avancées significatives, elles sont combinées néanmoins avec des dispositifs financiers (outil ANGELIQUE et conventions tripartites), elles doivent en outre prendre en compte des recommandations de bonnes pratiques professionnelles (ANESM), elles sont souvent impactées par les initiatives prises ici ou là en démarches qualité, elles sont complexes, dans un contexte évolutif, tout en devant à terme être un levier (dynamique de management interne et d’impulsion vers des modes de prise en charge rénovés).
Cette mission était confiée, non à des organismes de recherche, des spécialistes de ce type d’analyse, mais à une personne, remarquée depuis plusieurs années par son dynamisme, Sylvain Connangle. De formation comptable, il devient directeur adjoint, puis directeur d’EHPAD et s’engage dans une formation universitaire en gérontologie. Il se passionne pour les outils d’évaluation de la dépendance expérimentés au Québec, et notamment pour un Système de Mesure de l’Autonomie Fonctionnelle (SMAF), encore marginal. Après une thèse sur ces questions, il devient le promoteur de ce SMAF en France, son établissement étant site pilote, en combinant cet outil avec un manuel qualité « par familles de processus », avec un système de reconnaissance salariale (gratification) de la performance de chaque salarié, avec des guides de pratiques favorisant une homogénéisation des pratiques. Il avait été remarqué dès 2006 par le Ministre de la Santé, Philippe Bas, qui était venu en visite dans son établissement, en Dordogne, accompagné du Premier Ministre, Dominique de Villepin.
La mission confiée par Nora Berra devait comporter un point d’étape en octobre, puis la remise du rapport lui-même en novembre 2010.
Une forme qui interroge sur le sérieux de la démarche
C’est donc plus d’un an après l’échéance que ce rapport officiel est remis à Madame Montchamp, ministre en charge aujourd’hui du secteur des personnes âgées. La forme du rapport (cliquer ici pour le consulter) est construite autour de deux idées, répétées en permanence (des freins à la mise en place des démarches, des freins à l’utilisation des résultats) avec un contenu qui n’est qu’un commentaire de ces deux idées. Il n’y a aucune démonstration ou analyse, mais plus grave, après un an et demi de mission :
- Il n’y a aucune investigation des réalités sur le terrain, ni analyse approfondie, pouvant expliquer les pistes proposées.
- L’ensemble (rappelons que c'est un rapport officiel) fait 60 pages (et encore, je suis bon),
- Chaque page est surchargée de phrases surlignées en gras, en gras soulignées, en italique, etc. ce qui rend difficile la hiérarchisation des contenus pour le lecteur,
- Au-delà des nombreuses fautes d’orthographe, certains contenus ne sont même pas terminés. Par exemple, à plusieurs reprises, des notes de bas de page sont restées vides, marquées par des lettres en rouge sur une mention (« mettre la référence ») à propos d’un auteur dont tout le monde (et S. Connangle également) peut pourtant en trois minutes trouver les références. Autre exemple, dans les annexes, l’auteur fait le point sur les recommandations éditées par l’ANESM : il s’arrête à une liste de recommandations regardant le secteur des personnes âgées, en se trompant dans une date, en citant (en décembre 2011) une recommandation sur le questionnement éthique dans les établissements comme étant en cours d'élaboration alors qu’elle a été publiée en octobre 2010, et en outre en oubliant deux recommandations majeures sur la qualité de vie en EHPAD, publiées en mars et septembre 2011.
Un contenu bâclé
Le contenu en effet, ne fait qu’illustrer les deux intuitions (! voir plus haut) de l’auteur et, dans les illustrations, l’auteur ne reprend que des contenus largement commentés ailleurs, notamment par l’ANESM, et donc déjà bien connus des pouvoirs publics : nous sommes loin du respect de deux des six règles majeures de toute communication, la loi d’intérêt, la loi d’informativité. Pour le reste, l’analyse indique des préalables nécessaires à lever : les démarches par processus (la conception principale de l’auteur) en place, les outils de la loi du 2 janvier 2002 revus (dont le projet institutionnel), l’utilisation d’un outil comme le SMAF, la mise en place d’un référentiel de service. En gros, l’auteur suggère avant l’évaluation la mise en place des outils et démarches rendus obligatoires ou accessoirement des outils supplémentaires, c’est-à-dire ceux qu’il a initiés lui-même.
Les 10 pistes de propositions sont à l’unisson :
- Des contenus périphériques : nécessité des projets institutionnels, coordination sur les territoires, clarification des définitions des différents types de projets dans un EHPAD, construction de vademecums méthodologiques, explication des enjeux d'un management participatif et d'une culture gérontologique, avec un support, enquête annuelle visant l'implication de et dans l'environnement de l'établissement,
- Des contenus liés directement au développement de l’évaluation : des formations spécifiques préconisées,
- Des contenus de promotion des démarches réalisées par l’auteur : fédération des établissements ayant les mêmes problèmes par rapport au projet institutionnel (en reprenant l’exemple initié en Dordogne), moyens pour évaluer les personnes accueillies (la suggestion du SMAF, promu par l’auteur est évidente).
Aucune recherche, des contenus peu construits sur les réalités et évolutions à promouvoir en matière d’évaluation, une absence de réponses sur les questions essentielles aujourd’hui en évaluation (pourquoi, comment, avec quels outils, avec quels contenus)… bref, même si, ici ou là, il peut exister des contenus intéressants (par exemple la nécessité de sortir de l'alternative binaire entre le tout établissement et le tout domicile, ou la diversification des modes d'accompagnement), c’est un rapport officiel certes, mais qui est un travail d’amateur dans le fond et dans la forme, qui plus est arrivant plus d’un an après l’échéance.
Un non-événement pourtant repris dans la presse spécialisée
Les revues hebdomadaires ou mensuelles du secteur, les sites quotidiens, ont repris ce rapport comme si il était décisif : des enjeux forts soulevés, des pistes de réflexion en lien avec un contexte global, deux axes d'action importants (lutter contre les freins à la mise en route de la démarche, lever les freins à l'utilisation des résultats), des recommandations (formations spécifiques, etc.). Seule une des revues (TSA) a souligné le retard important de ce rapport.
Cet accueil montre que l’absence de sérieux n’empêche pas une médiatisation, même minime, des propos. Ainsi, voilà un rapport de plus marqué par l’absence de rigueur et pourtant repris par tous. Sur le thème de l’évaluation, il est un symptôme : le soutien par les pouvoirs publics de démarches (voire de certains contenus) obligatoires et parfois décisives, malgré l’absence de rigueur dans les méthodes et les contenus ou l’absence d’exigence pour cette rigueur. Cet accueil confirme aussi que l’acceptation des stratégies individuelles, l’écoute des propos de tel ou tel, fonctionnent toujours efficacement avec le politique, pas toujours au profit de l’intérêt général.
La cerise sur le gâteau ? Après sa piètre prestation, Sylvain Connangle conclut : « notre mission ne saurait donc être exhaustive dans ses propositions, (…) notre mission pourrait se poursuivre pour définir des outils permanents visant à la fois l'incitation à un recours à l'évaluation pour améliorer la qualité de la vie des personnes âgées et l'exploitation en interne des résultats de ces évaluations ». Oui, vous avez bien lu, il propose de continuer. Et pire… cela pourrait marcher !
Ma seule question à ce stade : combien a coûté à la collectivité nationale le premier rapport Connangle qui vient d’être publié ?
Daniel GACOIN
Il est plus facile de sortir de l'ENA que de l'ordinaire!..
Rédigé par : Lachal amédée pierre | 09 janvier 2012 à 13:32
en effet, la forme de ce rapport est édifiante, son contenu aussi, à côté, les productions de l'Anesm sont dignes d'être publiées chez La Pléiade !!!
pas de pagination, références que le lecteur doit se débrouiller à trouver, mise en forme digne d'un exposé de secondaire... vive les productions intellectuelles aux rabais !
espérons que 2012 sera un meilleur cru !
cordialement
christophe m
Rédigé par : christophe malabat - Réalités & Projets | 11 janvier 2012 à 13:16