Il est courant de voir dans la presse, et surtout dans les journaux télévisés, des reportages sur tel ou tel comportement à risque des jeunes. Le sensationnel prime souvent sur la réalité. C’est pourquoi il est intéressant de sortir de ces propos, souvent alarmistes, souvent porteurs d’une vision (la nécessaire correction, l’augmentation continuelle, l’impuissance du corps social) pour regarder les réalités, objectivement, et les analyser.
C’est ce que je propose de faire sur le thème de l’addiction chez les jeunes (usage du tabac, de l’alcool ou de substances psychoactives).
Depuis 11 ans maintenant, est réalisée à intervalles réguliers une enquête spécifique nommée ESCAPAD, lors de la journée Défense et Citoyenneté (journée d’appel de préparation à la défense), auprès de tous les jeunes français de 17 ans. L’enquête se réalise à partir d’un questionnaire auto‐administré anonyme à propos de leur santé et de leur usage d’une dizaine de substances psychoactives. Bien sûr, ces résultats sont à pondérer, puisque les réponses peuvent parfois être édulcorées ; ils donnent les réponses de jeunes sans réellement pouvoir mesurer la réalité. Les données brutes sont donc à prendre avec précaution, mais les données comparées (évolution dans le temps) sont bien intéressantes, et pourtant peu médiatisées. Quand elles le sont, cela donne par exemple l’article du Nouvel Observateur il y a 10 jours, scandaleusement trompeur …
Plus sérieusement, que révèle l’enquête ESCAPAD ?
La synthèse des premiers résultats de 2011 est bâtie sur l’exploitation de 27 402 questionnaires, uniquement des jeunes métropolitains (on attend avec impatience le complément pour les jeunes des DOM).
> Premiers résultats : la large majorité des indicateurs sur les usages de substances psychoactives à 17 ans apparaît nettement orientée à la baisse
- Les expérimentations de tabac et d’alcool poursuivent leur diminution,
- Les expérimentations du cannabis se stabilisent : 44,0 % des garçons en 2011 vs 46,3 % en 2008, 38,9 % des filles en 2011 vs 37,9 % en 2008. Cette stagnation de la diffusion du cannabis intervient après une baisse qui avait été particulièrement forte entre 2005 et 2008,
- L’usage régulier du cannabis est en baisse pour les 2 sexes : 6,5 % des jeunes en 2011 vs 7,3 % en 2008, seul l’usage quotidien reste stable avec 3 % des jeunes en 2011,
- La part des adolescents n’ayant expérimenté aucun de ces trois produits reste faible, mais continue de progresser (6,6 % des jeunes en 2011 vs 5,1 % en 2008),
- Pour l’expérimentation des autres drogues illicites, les tendances sont globalement orientées à la baisse avec des niveaux de consommation qui restent faibles (expérimentation, avec une prédominance chez les garçons) avec par exemple :
Cocaïne : 3 % des jeunes en 2011 vs 3,3 % en 2008
Ecstasy : 2,4 % des jeunes en 2011 vs 2,7 % en 2008
Héroïne : 0,9 % des jeunes en 2011 vs 1,1 % en 2008,
LSD : 1,3 % des jeunes en 2011 vs 1,2 % en 2008,
Produits à inhaler : 5 % des jeunes en 2011 vs 5 % en 2008
Poppers : 9 % des jeunes en 2011 vs 13,7 % en 2008. Attention, le poppers, produit vasodilatateur à inhaler (provoquant excitation, bouffées vertigineuses brèves, dilatation des vaisseaux et orifices, sensations de chaleur interne, exacerbant la sensualité) a d’abord été utilisé par la communauté gay. Sa première interdiction a été contredite par le Conseil d’État, le produit restant disponible sur Internet et dans les sex shops. L’interdiction vient d’être reconfirmée par le Gouvernement en juillet 2011, ce qui devrait diminuer encore le recours à ces produits.
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> Autres résultats : les usages réguliers de tabac et d’alcool sont en hausse et en particulier une augmentation notable des ivresses répétés et régulières
- pour le tabac, l’usage régulier progresse de 3 % sur 3 ans. L’usage quotidien progresse lui de 8,99 % (une vraie augmentation, mais pas une explosion quand même), mais cette progression concerne 31,5 % des jeunes en 2011. L’usage intensif reste stable
- pour l’alcool, alors que l’usage faible (1 fois dans le mois) diminue, l’usage régulier (10 usages par mois) progresse de 18,97 % (encore une vraie augmentation, mais pas une explosion), mais cette progression concerne 10,5 % des jeunes. L’usage quotidien progresse de 12,5 % sur 3 ans, mais cette progression concerne moins de 1 % des jeunes.
- pour les pratiques de l’ivresse alcoolique, l’expérimentation baisse, les jeunes ayant eu au moins 3 ivresses dans l’année progressent de 8,59 % mais cette progression concerne 27 % des jeunes. Les jeunes ayant eu au moins 10 ivresses dans l’année progressent de 22 % sur 3 ans, mais cette progression concerne 10,5 % des jeunes.
Des questions…
L’enquête ESCAPAD 2011 est loin d’être totalement exploitée, notamment pour la dimension sociologique des réponses. Il est en effet nécessaire d’aller plus loin : lien entre des usagers, éventuellement en augmentation pour une part de la population, et d’autre items de leur vie, voire des difficultés sociales éventuelles de vie des jeunes concernés par cette augmentation et notamment en se penchant sur des publics cibles.
Il est important également de relier ces évolutions à l’ensemble des modifications en cours dans le domaine de la santé, avec des chiffres réguliers. Une étude sérieuse - une vraie mine de renseignements - est disponible (hélas elle ne reprend pas les résultats 2011 d’ESCAPAD) : cliquer ici pour y accéder.
Encore une fois, il existe des difficultés, c’est une raison sérieuse pour les examiner, mais sans les surestimer. Plus globalement, les politiques de prévention en la matière portent leurs fruits, c’est important de le dire.
Daniel GACOIN
L'article est super !
Rédigé par : Flasque Alcool | 16 novembre 2023 à 18:28