Fin octobre, je relayais dans ce blog, dans un billet général, des questions sur l’hébergement social des exclus et son évolution : une apparente centration sur les « sans-abris », une politique officielle basée sur le droit au logement, une stratégie gouvernementale dite du « logement d’abord » et en même temps, le caractère incomplet de cette politique, ignorant les réalités des personnes, limitant les financements, recherchant à structurer les prestations et les dispositifs. Ce faisant, je ne parlais que par incidence de la question des « sans-abris » et du logement d’urgence. La médiatisation de cette question n’est pas majeure, sauf quand une période de grand froid arrive, où alors les reportages et articles médiatiques sont légions…
Une politique officielle et ses difficultés
Rappelons tout d’abord que, pour les « sans domicile fixe », pour les « sans-abris », les pouvoirs publics ont voulu optimiser les dispositifs d’accueil et d’orientation, à travers une plate forme (service intégré d'accueil et d'orientation : SIAO urgence articulé avec un SIAO insertion dans chaque département) qui, peu à peu, prend le pas sur le service 115, le SAMU social : est ainsi recherchée une articulation de réponses professionnalisées aux demandes d’hébergement avec une évaluation personnalisée, puis avec un accompagnement. Il s’agit alors de dépasser la simple offre d’une nuitée dans un hôtel ou en hébergement collectif. Cette approche est conçue dans la complémentarité avec la politique du « logement d’abord », considérant qu’il faut « permettre à toute personne sans abri d’accéder au logement, ainsi qu’à toute personne en difficulté de conserver celui qu’elle occupe » : il s’agit de consacrer le droit au logement pour tous et de rompre avec le modèle traditionnel de prise en charge des personnes sans-abri, « avec montée en escalier » (passage des personnes par différentes étapes d’hébergement avant d’accéder au logement).
Depuis de nombreux mois, comme la crise du SAMU Social de Paris l’a montré, les protestations sont nombreuses : en fait de politique de « logement d’abord », les acteurs de terrain ne voit qu’une réalité bien problématique, la limitation du financement des hébergement d’urgence. Dans le but d’éviter « la montée en escalier » décrite plus haut, il n’y a plus d’escalier du tout, et également plus d’arrivée à l’étage du logement. Quatre évènements me permettent de reprendre cette question, sur l’accueil des « sans domicile fixe ».
Les Assises nationales pour le « logement d’abord » : le dialogue de sourds
Après le tollé du printemps et de l’été, le gouvernement et son Secrétaire d’État au Logement, Benoît Apparu, ont initié une concertation tous azimuts, avec huit assises interrégionales, un groupe de travail interassociatif en novembre animé par un membre de l'IGAS, le tout se terminant en point d’orgue avec les Assises nationales pour le « Logement d’abord », réunies le 9 décembre 2011.
Le résultat : une « grand-messe », une de plus disent certains, un discours rassurant des pouvoirs publics, une poursuite des inquiétudes des associations, une absence d’évolution dans les moyens (le « logement d’abord » se heurte tout simplement à l’absence de logement), le renvoi vers de nouvelles concertations (en pensant à mobiliser les Conseils généraux qui eux, ont demandé un engagement plus effectif de l’État), des moyens qui restent contenus, un refus de trouver des financements supplémentaires pour les hébergements de dépannage, etc. Ceci n’a pas empêché le Secrétaire d’État d’être optimiste (« les choses vont mieux et des ambiguïtés ont été levées ») et d’annoncer des décisions prévues (instructions aux préfets) avant même la concertation et de confirmer, non une augmentation des moyens, mais des redéploiements à moyens constants. Un coup pour rien donc, avec dialogue de sourds, absence « d’éthique de discussion », pour reprendre le concept de Jürgen Habermas.
Le rapport de l’observatoire du 115 : une mise en cause sérieuse
Publié le 16 décembre par la Fédération Nationale des Associations de Réinsertion sociale (FNARS) en charge de cet observatoire, le rapport annuel 2011 (cliquer ici pour accéder) présente les données d’activité des 115 (services téléphoniques d’urgence pour les sans-abris) :
- 2 millions d’appels, pour 6 millions de personnes (majorité de couples ou familles) en demande d’hébergement d’urgence, dont 43% n’ont pu donner lieu à un hébergement réel (manque de places ou de moyens pour les financer,)
- une population demandeuse qui se modifie (de plus en plus de jeunes de 18 à 25 ans), avec des appelants qui sont souvent déjà connus,
- des réponses en majorité sous formes de nuitées à l’hôtel par manque d’autres perspectives,
- une articulation avec les SIAO en cours d’installation qui reste bien imparfaite.
Le rapport de la Cour des comptes du 15 décembre : un regard implacable
Dans ce contexte, il est fort intéressant de lire le long document qui l’a précédé d’un jour, publié par la Cour des Comptes (cliquer ici pour y accéder), et présenté à l’Assemblée Nationale le 14 décembre 2011 : un véritable réquisitoire… Il est bien intéressant puisqu’il a vocation à évaluer l’efficience (rapport coût / résultats) d’une politique, dans le contexte actuel de chasse aux déficits.
Le rapport estime la population des personnes sans domicile à environ 150.000 personnes, soit une croissance de 50% en dix ans, avec une population qui s'est transformée en profondeur : « le poids croissant des personnes d'origine étrangère et des familles monoparentales - "qui sont maintenant majoritaires" -, ainsi que des jeunes et des travailleurs pauvres ». Les constats sont terribles :
- la politique de refondation (le « logement d’abord ») a été menée « sans que l'Etat se soit donné les moyens d'une meilleure connaissance des populations concernées ». « Cette méconnaissance vaut à l'entrée comme à la sortie du dispositif »,
- « l'accueil des personnes sans domicile a fait l'objet "d'efforts indéniables" en nombre de places comme en qualité, il "souffre encore d'une insuffisante organisation et coordination" »,
- les capacités d'hébergement demeurent encore insuffisantes dans certaines régions", ce qui interdit de respecter le droit inconditionnel à l'hébergement posé par la loi et contraint les pouvoirs publics à recourir, chaque année, à des dispositifs de mise à l'abri et à des nuitées en hôtel. L'intermédiation locative, la garantie des risques locatifs offrent une alternative intéressante, mais insuffisamment développée,
- « de nombreuses mises à la rue pourraient être évitées par une politique de prévention plus efficace », même si la prise en compte de certaines populations spécifiques est aujourd'hui mieux assurée,
- « les acteurs demeurent trop nombreux et insuffisamment coordonnés, et les relations entre l'Etat et ses partenaires associatifs restent encore très largement perfectibles ». A noter des éléments complémentaires, liés aux questions de pilotage : bonnes relations de départ entre pouvoirs publics et associations qui se sont progressivement crispées, coût total de la politique de l'hébergement non connu, faute de données sur les dépenses des collectivités territoriales.
Cerise sur le gâteau : la révélation de sommes gelées, risquant même d’être détournées
Samedi, la presse a repris une information révélée par Médiapart : le 2 décembre 2011, la ministre du budget, Valérie Pécresse, avait déposé à l’Assemblée Nationale, sous le n° 439, un amendement pour le projet de loi de finances. Il s’agissait de prélever 2 millions d'euros sur les excédents du Fonds d'aide au relogement d'urgence (Faru) : un fonds créé en 2006 à la suite d’un incendie dramatique de l’hôtel Paris-Opéra le 15 avril 2005, pour mieux répondre aux besoins de relogement d’urgence de personnes occupant des locaux présentant un danger pour leur santé ou leur sécurité, soit la réalisation de travaux interdisant lʼaccès à ces locaux ». Peu connu, il est ainsi insuffisamment sollicité par les communes et présenterait un excédent de 5 millions d’euros. Valérie Pécresse, à la stupéfaction des parlementaires, proposait de prélever 2 millions sur cet excédent pour « soutenir les communes pour l'acquisition de gilets pare-balles destinés à équiper les polices municipales ». Incroyable ! L'amendement n°439 a été retoqué, heureusement, mais l’information principale était surtout que de l’argent pour l’hébergement d’urgence n’était pas utilisé, alors que d’un autre côté, presque une moitié (43 % : voir plus haut) des demandes de logements d’urgence ne sont pas honorées.
Des conclusions provisoires
Il serait temps que les dialogues de sourds s’arrêtent et qu’une politique stable, adaptée et pertinente, cohérente, se mette en place : moins de grand-messes, plus de sérieux, c’est l’urgence de demain…
Daniel GACOIN
L'évaluation va -t-elle changer les travailleurs sociaux ?
sincéres admiration pour Mr Gacoin.
Bien à vous laurent garrie
Rédigé par : GARRIE Laurent | 30 octobre 2013 à 16:46