Le 18 novembre 2011, en préalable à la journée internationale des droits de l’enfant du 20 novembre, le tout nouveau Défenseur des droits a fait parvenir au Président de la République un rapport concernant les droits des enfants intitulé « Enfants confiés, enfants placés : promouvoir et défendre leurs droits ». On se rappellera que le Défenseur des Droits a été mis en place en mai 2011, avec vocation à remplacer le Médiateur de la République, le Défenseur de l’Enfant, la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité (HALDE). Ce regroupement a suscité de nombreuses protestations : le lecteur attentif aura remarqué que ma position sur le sujet était très mesurée (cliquer ici pour accéder à mon billet du 24 septembre 2009). Notons également que le Défenseur des Droits, Dominique Baudis, entouré de collèges, est assisté par plusieurs adjoints, dont une Défenseure des Enfants, Marie Derain, professionnelle issue de la Protection Judiciaire de la Jeunesse.
Le document (cliquer ici pour y accéder) est le résultat d’une large concertation (j’y ai participé et contribué à certains passages).
Son contenu permet de faire un point sur :
- Des données chiffrées : 296.200 enfants bénéficiaires au 31 décembre 2008 de l’Aide sociale à l’enfance, 148 000 ne vivant pas dans leur famille (familles d’accueil, institutions, autres personnes qualifiées ou désignées), 48.600 en situation de placement en établissements (maisons d’enfants à caractère social, foyers de l’enfance, pouponnières à caractère social). La plupart des établissements sont gérés par le secteur associatif. 56 % des mineurs placés sont des garçons
- Des données qualitatives : un dispositif complexe, avec des acteurs inventifs certes, mais ne permettant pas toujours aux enfants et familles de se repérer, les placements « contribuant alors à fragiliser davantage un parcours parfois émaillé de ruptures, rendant difficile la connaissance et l’exercice de leurs droits », et de bénéficier « d’espaces de ressources et d'accompagnement ».
Deux éléments émergent de ce rapport à mon avis :
- Le premier concerne la mise en œuvre des lois : loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance. Presque 10 ans après la première, presque 5 ans après la deuxième, le rapport fait part d’avancées indéniables, mais également d’applications encore aléatoires. Ainsi, le rapport pointe de nombreuses difficultés, dans la mise en place d’un fil rouge, dans l‘articulation entre le projet pour l’enfant (défini avec les parents, garanti par l’Aide Sociale à l’Enfance) et les projets d’accompagnement dans les structures concernées, dans la prise en compte de la parole de l’enfant. Est notée notamment l’ampleur du nombre des intervenants. Également, sont soulevées des lacunes dans le suivi des parents, l’absence de prise en compte première de la parole de l’enfant, l’accumulation parfois d’occasions d’anicroches avec les parents autour d’actes usuels (une définition intéressante pour les caractériser), l’insuffisance dans les anticipations des retours à domicile, des lacunes souvent dans le suivi des relations des parents, etc. L’application mécanique des lois (2002, 2007) « ne suffit plus face à la réalité des situations des enfants et des familles concernés », constate la Défenseure des enfants « plaidant pour la mise en œuvre d'une série de mesures pour améliorer la défense et la promotion des droits des enfants confiés ou placés ».
- Le deuxième élément concerne, du fait d’une insuffisance de la culture de l’évaluation, des interrogations sur les pratiques, parlant des droits des usagers, qui intègrent rarement des contenus sur la question spécifique des droits des enfants. Le regard sur les processus d’évaluations est relativement critique. Dans le prolongement, le rapport indique que « les droits sont reconnus, leur usage à affirmer… ». Il s’agit notamment du droit…
> pour un enfant de s’exprimer sur les questions qui le concernent,
> au maintien des liens avec les personnes qui comptent pour lui (fratries, grands-parents, etc.),
> à l’intimité,
> à l’usage des nouvelles technologies de l’information et de la communication, souvent limité au delà du nécessaire (le rapport pointe des usages facilitant le non respect d’interdictions, mais aussi une surestimation des risques),
> à la confidentialité,
> à la liberté de pensée et de religion (les limites augmentent avec la taille des établissements),
> à la scolarité (entravée parfois par les problématiques, mais aussi par les ruptures éventuelles),
> à la santé (des difficultés souvent devant des besoins de soins psychiques),
> à être protégé contre toute forme de violence (des bagarres et humiliations aux violences « invisibles »).
Or, ces contenus sont peu repris dans les référentiels d’évaluations mis en avant par de nombreux évaluateurs peu aguerris à ces questions.
Des propositions nombreuses dans huit domaines :
> Proposition 1 : Intensifier l’implication et la participation des parents et des proches (actions nouvelles, souples, simples correspondant aux modes de vie des familles et leur donnant les moyens de maintenir les liens avec leur enfant malgré un environnement administratif complexe).
> Proposition 2 : Repenser profondément la préparation du retour en famille comme celle de la fin de placement afin qu’elle n’ajoute pas aux ruptures déjà vécues par l’enfant, qu’elle s’inscrive dans la cohérence de son parcours et lui donne les moyens réels de s’intégrer dans sa nouvelle vie (mesure d’accompagnement au retour systématisée, maintien du contrat jeune majeur sans négliger les jeunes les plus vulnérables).
> Proposition 3 : Garantir la stabilité et la cohérence des actions dans tous les domaines de la vie de l’enfant, prévues par la loi du 5 mars 2007 (dispositions et habitudes qui morcellent la vie de l’enfant et de l’adolescent, entravent sa vision d’avenir en subordonnant ses projets au très court terme, dates anniversaires ne devant plus être des couperets, non diminution des contrats jeunes majeurs, continuité de la scolarité et prise en compte des dispositions et des souhaits des jeunes pour leur insertion sociale et professionnelle, etc.)
> Proposition 4 : Organiser une conférence de consensus pour recueillir les connaissances, les méthodes et pratiques professionnelles, produire et les confronter à des recommandations (harmonisation des différents projets et contrats d’accueil prévus par les lois de 2002 et de 2007, élaboration puis aménagement du projet pour l’enfant, identification et place du référent, repérage des moments-clés du parcours).
> Proposition 5 : Intensifier la mission de recueil et de suivi des informations relatives aux enfants accueillis émanant des départements, du monde judiciaire, du monde de la santé et des autres services et acteurs concernés (développement pour l’observatoire de chaque département de la connaissance des parcours complets des enfants).
> Proposition 6 : Élargir et consolider l’accueil des adolescents ayant des difficultés particulières dans chaque département avec viabilité et pluri-financement stable.
> Proposition 7 : Ré-impulser la formation initiale et continue de l’ensemble des professionnels et des cadres territoriaux susceptibles de connaître des situations d’enfants en danger en insistant sur la connaissance des droits de l’enfant et les conditions de leur mise en œuvre. Cette connaissance étant l’un des garants du respect de l’intérêt de l’enfant (article 3 de la CIDE).
> Proposition 8 : Créer, au sein du Fonds national de protection de l’enfance, un fonds d’intervention spécifique destiné aux départements particulièrement confrontés à l’accueil de mineurs isolés étrangers (plates formes opérationnelles territoriales pour coordonner les actions de mise à l'abri, d'évaluation et d'orientation, référentiels, coordination des actions, organisation de l’apprentissage de la langue française).
Certes, le rapport n’aborde pas certaines questions : par exemple l’augmentation de jeunes présentant des troubles psychiques ou « border line », les situations d’accueil de jeunes avec des comportements très dégradés. Mais sur le fond, il présente les réalités, à la fois positives et problématiques : l’intérêt, les droits de l’enfant et de la famille, les droits des usagers constituent des repères forts, mais les mises en œuvre montrent une complexité et finalement de nombreux accidents dans leur respect.
Un document utile donc. Il montre que la préoccupation des droits de l’enfant n’est pas abandonnée. Espérons qu’il sera suivi d’effets.
Daniel GACOIN
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