La lutte contre l’exclusion : l’intérêt du terme d’inclusion
Dans mon dernier billet, je faisais part de la mise en œuvre, au moins sur un plan conceptuel, d’une approche nouvelle dans l’accompagnement des personnes en difficulté sociale, visant leur meilleure « inclusion sociale ». Les politiques qui la développent se sont appuyées sur de nombreux axes :
- recherche d’un meilleur accès aux dispositifs de protection sociale pour ces personnes à la marge,
- développement de soutiens ciblés (aides aux familles, aux chômeurs, etc.),
- procédures de prévention (traitement du surendettement par exemple, prévention des impayés de loyers également, etc.),
- action sociale spécialisée (accueil possible en structure d’hébergement et accompagnement dans un parcours) articulée éventuellement avec des dispositifs de soins (réseaux santé-précarité, etc.),
- mise en place d’un revenu minimum d’insertion, devenu revenu de solidarité active (allocation de base et incitation à une démarche active du bénéficiaire dans son retour à l’emploi),
- lutte contre l’illettrisme, etc…
Je renvoie chacun à la lecture de l’ouvrage de référence sur le thème : Comprendre les politiques d’action sociale (3ème édition) de V. Löchen, chez Dunod.
Il est loin en effet le temps où l’exclusion était reliée au seul sort des mendiants, vagabonds ou sans domicile fixe, suscitant la compassion ou la peur, selon qu’ils étaient identifié s comme « bons » ou « mauvais » pauvres. Il est loin également le temps des années 1970 où la catégorisation des exclus avait mis en avant une vision simpliste : était exclu celui qui était identifié par une difficulté (absence de logement, chômage, addiction, handicap, etc.), cette approche par catégorisation et cause unique (développée dans le livre mythique de R. Lenoir, Les exclus, Seuil, 1974) étant basée sur l’idée que l’identification de la cause justifiera l’axe principal du travail auprès de la personne concernée. Ce n’est qu’en 1987 que deviendra admise l’idée, pourtant évidente, que l’exclusion résulte d’un cumul de difficultés : le célèbre rapport au Conseil Économique et Social du Père Wrezinski, fondateur d’ATD Quart Monde, l’officialise et ajoute que la précarité peut se définir comme « l’absence d’une ou plusieurs des sécurités », générant « une insécurité plus ou moins étendue », conduisant à la grande pauvreté « quand elle affecte plusieurs domaines de l’existence », « qu’elle devient persistante », « qu’elle compromet les chances de réassumer ses responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même dans un avenir prévisible ».
C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre l’évolution des 25 dernières années dans l’action sociale auprès des personnes en situation de précarité. Les lois successives contre l’exclusion (en 1998 notamment), les programmes publics ont favorisé une action large visant l’implication du corps social, la recherche de la cohésion sociale, la mise en place par les travailleurs sociaux d’une dynamique (ou d’un processus) de transformation, dans un parcours, des conditions de la vulnérabilité des personnes en intervenant à de multiples niveaux, en restaurant leur participation active à ce parcours. Dans ce sens, l’utilisation du terme inclusion sociale montre une réelle pertinence : « une activation / transformation des personnes » et « une activation / transformation des réseaux, conditions de vie, environnements, liens sociaux, lieux de vie et organisations civiles ». Mais ces politiques ont également favorisé une superposition de multiples axes de travail, sans priorisation, avec des financements croisés non finalisés.
Les développements politiques récents pour l’inclusion sociale…
Les modifications des 5 dernières années, du fait d’une médiatisation importante, se sont centrées sur le sort des « sans abri ». Elles ont abouti à une loi généreuse sur le droit au logement opposable (dite loi DALO), indéniable progrès, mais dont la vertu est essentiellement incantatoire. Cette loi adoptée, le 5 mars 2007, toute la question consistait à savoir comment mettre en œuvre ce droit.
Une des intuitions des gouvernements successifs depuis 2007 consistait précisément, après un temps d’hésitation, à entrer dans une approche faisant du logement, non pas uniquement un droit, mais un vecteur d’inclusion : sans logement, était-il pensé, sans cette sécurité de base, tout accompagnement social en faveur des personnes en situation précaire serait vain. Certains auront pu gloser sur cette intuition, en indiquant des propos contradictoires (par exemple l’accès au logement, certes mis en avant, mais délivrable sous conditions : que le bénéficiaire fasse la preuve de ses efforts). Néanmoins, les prolongements ont été soutenus par les grandes associations de lutte contre l’exclusion et la pauvreté (réunies dans une conférence de consensus fin 2007) : c’est ainsi qu’ont été pensés les Services Intégrés d'Accueil et d'Orientation (SIAO), bases d’une « refondation » visant à mieux recenser les personnes à la rue, coordonner l’accueil, assurer une prise en charge sur le long terme dans la perspective du retour au logement, remobiliser les structures d’accompagnement vers l’accès au logement. Mais surtout ce qui était visé, c’était un véritable pilotage, plutôt qu’une superposition de dispositifs, et à terme une rénovation de l’offre d’hébergement (adaptation aux différents publics, modernisation des centres d’hébergement, développement des hébergements disponibles, etc.).
… dans une approche plus générale de la politique du logement…
Les pouvoirs publics ont cherché à augmenter le nombre de logements sociaux locatifs disponibles, pour des personnes en situation de précarité. Il s’agissait d’une part d’augmenter les constructions en logement social (incitations fiscales) et d’autre part de permettre à des locataires du secteur social de libérer des logements en allant ailleurs (par exemple en devenant propriétaires grâce au prêt à taux zéro). La vision sous-jacente est ascensionnelle : une trajectoire unique est pensée pour tous les français (devenir locataire aidé, puis locataire autonome, puis propriétaire aidé, puis propriétaire aisé), la promotion par le logement étant conçue comme « accession à un statut », non pas comme place dans la cité et dans des réseaux, non pas comme possibilité d’habiter un espace (en tenant compte des besoins complexes des ménages français).
Un ouvrage paru il y a 3 semaines (Sociologie du logement, de Y. Fijalkow, La découverte), interroge cette approche unique, d’une part parce qu’elle ne tient pas compte de la diversité des situations, d’autre part parce qu’elle est très franco-française. L’étude du logement dans 12 pays européens montre de grandes différences : j’en cite ici quelques exemples pour les pays méditerranéens (pas de logement social) et pour l’Allemagne (où l’accession à la propriété n’est pas si envahissante).
Des résultats désastreux…
« La refondation », les discours rassurants, l’avancée politique dessinée il y a 4 ans, se sont petit à petit abîmés dans une réalité en ciseau : des discours volontaristes ou sur-optimistes (le niveau de construction de logements qui « n'a jamais été aussi élevé en France », est-il ainsi clamé), le grignotage de moyens affectés aux soutiens aux personnes en situation de précarité. Un bel exemple de gâchis…
Nous avons assisté à la baisse du financement de l’hébergement d’urgence pour les personnes en grande précarité ou dans la rue. Sous prétexte d’une politique d’accès au logement (le logement d'abord considéré comme « point de départ d'un parcours d'insertion ») l’État a diminué le nombre de places d’accueil en urgence, les moyens des SAMU sociaux, discuté pied à pied l’utilisation des moyens des structures d’hébergement ou d’accompagnement. La situation est devenue absurde : le logement d’abord dans les discours, l’absence de places d’accueil (c’est-à-dire précisément de logement, même s’il est alors transitoire) pour des personnes en difficulté, y compris les familles avec enfants, et une aggravation à terme de la situation du fait de l’entrée demain, le 1er novembre, dans la période hivernale. Le tollé a été très important, il est loin d’être terminé… Il a entraîné un replâtrage rapide : reprises de financement en 2011 à la hauteur de 2010, communications tous azimuts, mises en place d’assises régionales sur le « logement d'abord » d’octobre à novembre, avant une synthèse nationale le 9 décembre 2011.
Dans la pratique, l’effort en faveur du logement est inégal. Une note de l’Observatoire Français des Conjonctures Économiques (OFCE) du 5 octobre 2011 indique combien l’effort en faveur du logement est limité :
Dans la pratique également, l’effort en faveur de l’accompagnement social des personnes en situation de précarité est de plus en plus limité, et c’est même à l’arraché que se crée chaque amélioration, alors que les intentions et les discours rassurants sont légion (une rallonge budgétaire, un budget stable pour le secteur de la veille sociale et de l'hébergement, une répartition entre territoires devant être revue pour bénéficier en priorité aux plus nécessiteux, etc.).
… et une recherche de rationalisation des moyens pour les structures d’accompagnement
Concernant les structures d’accompagnement social, les deux dernières années ont vu apparaître : un référentiel de prestations très ambitieux, une recherche d’optimisation des coûts des structures.
Les structures d’accompagnement social et d’hébergement sont peu connues. La caricature est souvent l’accueil en urgence dans un foyer mal équipé, faisant vivre aux personnes accueillies une nouvelle insécurité.
Les réalités sont bien différentes : concernant les accueils hors urgence : 70 000 places (chiffres DREES 2008 publiés dans le N°766 de juin 2011 de la revue Études et Résultats) avec …
Concernant les accueils d’urgence : 20 504 places (chiffres DREES 2008 publiés dans le N°777 d’octobre 2011 de la revue Études et Résultats) avec …
Ces places d’urgence sont sollicitées selon les modalités suivantes …
Et surtout, ces places d’urgence concernent, majoritairement, des hommes seuls et âgés de 25 à 40 ans (38 % des accueils) …
Le référentiel des prestations mis en avant par les pouvoirs publics s’appelle le référentiel national des prestations du dispositif d’accueil, d’hébergement et d’insertion (référentiel AHI). Il est ambitieux : un cadre, des prestations très détaillées et exigeantes, un contenu pouvant être utilisé pour construire des projets, bâtir des évaluations, discuter des financements (dialogues annuels, construction de contrat pluriannuels d’objectifs et de moyens). Sur le fond, pas de souci, sinon le trop plein de contenus : en évaluation interne (étude des effets et impacts des actions), il faudra bien faire des choix à partir de priorités…
L’étude des coûts est quant à elle plus problématique : déjà parce que sa réalisation, complexe, a entraîné un coût non négligeable, en tant que tel, retiré des financements des structures. Cette étude a été menée en 2009 auprès de 120 établissements d’hébergement, 9 maisons-relais / pensions de famille et 16 structures de veille sociale. Elle a permis de déterminer 6 groupes de structures :
Les résultats publiés par le ministère sont fort intéressants parce qu’ils différencient fortement les bases de coûts dans les structures : selon la taille, le public, la situation, les types de prestations, la forme de la structure, etc. L’étude permettra de relativiser les approches approximatives pour la fixation des budgets et de favoriser une plus grande cohérence dans les répartitions budgétaires « toutes choses égales par ailleurs », comme on dit en économie. Mais il convient néanmoins de douter d’une utilisation rationnelle : nous sommes en période de réduction budgétaire, et l’application automatique d’un taux de réduction égal pour tous est plutôt la règle. Il est à craindre que les outils de plus en plus sophistiqués (et donc de plus en plus onéreux) n’apportent qu’un habillage à une pratique budgétaire simpliste, pour ne pas dire injuste.
Une vraie politique d’inclusion sociale ?
Plus que jamais, la crise générant une augmentation de la précarité, il me semble nécessaire de reprendre par le début une politique réelle de lutte contre la précarité et la pauvreté, y compris bien sûr dans l’optique du logement d’abord, qui soit conçue autour de « l’inclusion sociale ». S’il n’existe pas de recettes toutes faites, l’humilité s’imposant, il me semble utile de repenser les enseignements du Père Joseph Wrezinski en 1987 :
- Éviter de partir des problèmes que posent à la société les personnes en situation de précarité, mais bien chercher, surtout, à connaître et à comprendre leur point de vue, les rencontrer, de dialoguer avec elles, les interroger,
- Prendre en compte les personnes accompagnées dans une histoire, avec leur mémoire de la vie passée, individuelle, familiale et sociale, faite d’événements heureux et malheureux, de séparations et de retrouvailles, de courage devant l’adversité, d’espoirs et d’aspirations,
- Prendre en compte la mémoire de la manière avec laquelle la société s’est comportée à l’égard des pauvres,
- S’interroger ensemble pour savoir dans quelle mesure les connaissances dont notre société dispose (statistiques, scientifiques, administratives...), les politiques ou les référentiels, études de coûts, affectation de moyens, etc. concernent bien les plus pauvres, les plus rejetés, les plus oubliés.
- Développer des programmes d’actions appropriées, comportant une mobilisation du corps social et des expérimentations d’action globale à une échelle locale.
- Affirmer une exigence éthique en termes de droits de l’homme : l’assistance n’est pas suffisante.
Daniel GACOIN
Commentaires