L’apparition d’un concept
Le terme « d’inclusion sociale » est utilisé depuis les années 2000 par les pouvoirs publics pour évoquer l’accompagnement spécialisé des personnes en difficulté sociale. Il s’agit d’éviter de parler seulement de lutte contre l’exclusion (approche réductive) ou d’aide aux exclus (approche stigmatisante ou de simple assistance). Il s’agit aussi d’éviter la seule notion d’intégration des personnes : approche statique, centrée sur une place à prendre, jugée trop dure (c’est la personne désignée qui doit se transformer). Il s’agit enfin de dépasser la seule insertion sociale : approche limitée, qui vise l’adaptation, le lien et le changement réciproque de regard, mais jugée trop floue, trop molle.
Le terme a été utilisé, dès les années 1990, par les spécialistes anglo-saxons de l’action sociale. Un doute existait alors sur son utilisation dans notre pays. C’est l’Union européenne qui a favorisé sa diffusion : Traité de Nice (2001), Déclaration de Madrid (2002), Traité de Lisbonne (2007) ont soutenu progressivement des domaines de compétences partagées, entre États et Union Européenne. Ils ont également fait apparaître le terme d’inclusion sociale (non-discrimination, politiques actives, accompagnement des personnes et transformation sociale). Ils ont posé les fondements d’une stratégie européenne à ce sujet, l’Union devant favoriser une articulation des politiques nationales et européenne selon une Méthode Ouverte (certains diront trop floue) de Coordination (MOC). L’Union devient un support pour les politiques, à travers la MOC ou avec une mobilisation de fonds structurels.
Le concept porte une ambition : que toutes les personnes et groupes en difficulté sociale participent et soient membres de la société, que se mettent en œuvre une activation / transformation de ces mêmes personnes et une activation / transformation des réseaux, conditions de vie, environnements, liens sociaux, lieux de vie et organisations civiles. Le concept dépasse ainsi la simple idée d’amener « en‐dedans » ceux qui sont « en‐dehors ». Mais se pose alors la question des applications : discrimination positive ? Transformation des modes de pouvoirs ? Action sociale globale visant la modification des équilibres dans les liens sociaux ? On comprendra que l’usage de ce terme est un progrès, mais aussi que ses multiples dimensions constituent un risque : « qui trop embrasse, mal étreint », dit le proverbe. Ce n’est pas l’usage du terme, mais les faits qui donneront, ou pas, sa vraie valeur au concept.
L’utilisation du terme en France
En France, le terme a aussi été repris pour désigner un secteur d’activité spécifique, constitué par près de 3 000 établissements sociaux : il s’agit des centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), des centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA), des centres d’hébergement d’urgence (CHU). Cette désignation d’un secteur montre bien l’ambition (redéfinition de l’objet de ces structures) et une limite (l’inclusion sociale circonscrite à un secteur spécialisé).
La place particulière des CADA
Dans cet ensemble, les CADA occupent une place particulière : un statut distinct des CHRS depuis 2006, un public particulier (réfugiés politiques), un nombre limité de centres (275). Ces derniers assurent l’accueil de 21 410 demandeurs d’asile (chiffres 2010) avec un hébergement (structure collective ou diffuse) et un accompagnement administratif, social et médical, une scolarisation des enfants si l’accueil concerne une famille, une animation sociale, un accompagnement de la sortie au moment de prendre sa place dans la société française. Le nombre de places a fortement évolué en 2004-2006 (+ 30 %), puis en 2010 (+ 1000 places).
Pour entrer en CADA, le futur usager doit avoir déposé une demande de demandeur d’asile auprès de l'Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) qui lui proposera d'être demandeur d'une protection au titre :
- de réfugié : « toute personne qui [...] craignant avec raison d’être persécutée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays »,
- de bénéficiaire d’une protection subsidiaire : « toute personne qui ne remplit pas les conditions d’octroi du statut de réfugié [...] et qui établit qu’elle est exposée dans son pays à une des menaces graves suivantes : a) la peine de mort; b) la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; c) s’agissant d’un civil, une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence généralisée résultant d’une situation de conflit armé interne ou international ».
- d’apatride : « toute personne qu’aucun État ne considère comme son ressortissant en application de sa législation ».
Les CADA bien au cœur d’une recherche d’intégration
Le tableau paraît positif, d’autant qu’il s’appuie sur des textes fondamentaux. La constitution française indique depuis 1958, dans son préambule, que « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». La France est en outre engagée par une obligation internationale (signature de la convention de Genève du 28 juillet 1951) et par une directive de l’Union européenne : « l'État doit fournir aux demandeurs d'asile le logement, la nourriture et l'habillement, […] en nature ou sous forme d'allocation financière ou de bons, ainsi qu'une allocation journalière, (…) prendre les mesures qui leur garantissent un niveau de vie adéquat pour leur santé et pour assurer leur subsistance » (directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003).
Mais surtout, les missions des CADA (bien que ne faisant pas de l'insertion le coeur de cible officiel) demandent de fournir des prestations comportant la marque d’un véritable travail social : accompagnement, aide à l’intégration, lien social, confrontation aux fondements de la vie sociale et civique, aide à l’emploi, écoute et soins, etc. D’ailleurs, sur un plan national, après une remise en ordre du dispositif dans la première partie des années 2000, nous avons assisté à une véritable professionnalisation de l’action des CADA, reconnue par tous.
Les CADA loin de l’inclusion sociale
Au-delà du tableau positif, les évolutions sociétales montrent pourtant une réalité plus problématique : le changement de regard, l’acceptation du lien social avec les bénéficiaires des CADA, les processus inclusifs restent lettre morte. La médiatisation de thèmes comme la lutte contre l’immigration irrégulière ont, en fait, substitué à l’image de la victime celle de l’utilisateur abusif des dispositifs : il entre sur notre territoire, fait une demande abusive de statut de réfugié et, s’il est débouté, se glisse dans l’anonymat en restant des années, irrégulièrement, dans notre pays. Avec une telle vision, comment parler d’inclusion sociale alors que la défiance, la chicanerie, l’image du tricheur progresse, voire envahit l’horizon ?
Il peut exister des situations abusives, indéniablement. Cela justifie t-il que l’on ne mette en avant que ce risque, sans prêter attention aux situations humaines et de droit ?
Les CADA et la lutte contre l’immigration irrégulière, la politique sécuritaire
La réalité nouvelle des CADA, c’est un regard insidieux des pouvoirs publics : les CADA soi disant complices des comportements abusifs. Une volonté se dessine : que les CADA montrent leur bonne volonté en acceptant de fournir toutes les données concernant les personnes accueillies, signalent les situations abusives, en provoquant même la venue des forces de l’ordre pour des reconduites à la frontière. Rien n’est dit clairement, mais cela progresse, comme la volonté de sécurité publique. Comment parler d’inclusion dans cet autre développement du climat de défiance, à l’égard des personnes comme des structures d’accompagnement ? Il va de soi qu’il ne s’agit pas de plaider pour que les CADA se comportent illégalement, simplement, le rapport à la loi et un accompagnement vers une sortie doivent se réaliser sans confusion des genres.
Une convention des CADA qui évolue
Depuis 2007, c’est autour de la convention entre chaque CADA et l'État que se jouent ces progressions. Le support en vigueur vient de trouver une nouvelle mouture depuis un décret de juillet 2011. D'une part, elle confirme la progression lente des règles d’admission et de sortie (y compris pour les personnes déboutées de leur demande, qui peuvent après cette décision rester un mois dans la structure), d’information sur les situations auprès des autorités publiques. D'autre part, elle apporte des nouveautés : baisse des taux d'encadrement et des normes de qualification > voir plus loin.
La baisse des financements
L’élément le plus problématique aujourd’hui, qui suscite de nombreuses protestations, et de tout bord, c’est la baisse des financements des CADA. La loi de finances initiale pour 2011 a prévu une baisse de 4 % de la ligne budgétaire consacrée aux CADA, et le budget pluriannuel 2011-2013 prévoit de nouvelles réductions budgétaires sur cette ligne en 2012 et 2013. Après les augmentations antérieures, nous pourrions nous dire que ce n’est pas si grave. En réalité, nous sommes devant une mesure qui est sans corrélation avec les besoins, liés aux engagements de la France. Diminuer les budgets alors que le nombre de demandeurs d’asile baisse ? Rien de plus normal. Malheureusement, ce n’est pas exactement le cas :
- d’une part, les demandes d’asile, en France augmentent, alors que ce n’est pas le cas dans d’autres pays, en témoignent les chiffres du Haut-Commissariat aux Réfugiés (organisme de l’ONU) reproduits ici. À noter l’augmentation 2009-2010, visible dans le tableau ci-contre suit celle de 2008-2009 : + 10,3 %.
- d’autre part, le taux d’acceptation des demandes d’asile est en augmentation (moins de demandes abusives, meilleure formation des juridictions et personnes chargées des dossiers).
Les diminutions budgétaires des CADA sont ainsi ciblées :
- Budget 2010 : 202, 294 millions d’€.
- Budget 2011 (annoncé en mai) : 190,988 millions d’€ soit une baisse de 5,589 % / 2010, plus que les 4 % annoncés.
- Budget 2011 (annoncé en août) : 199 millions d’€ soit une baisse de 1,63 % / 2010, moins que les 4 % annoncés.
- Budget 2011 (nouvelle annonce en septembre) : 199 millions d’€ soit une baisse de 1,63 % / 2010, mais avec une modification (infime) de la répartition entre régions.
La baisse financière n’est pas, en soi, le signe d’une nouvelle diminution, contradictoire, de l'attention des pouvoirs publics à l’égard de l’inclusion sociale des demandeurs d’asile. Elle signale simplement une approche généralisée, sans ciblage, dans la réduction générale des dépenses publiques, sans prise en compte des conséquences de la baisse des moyens pour les besoins actuels (augmentation des demandeurs d’asile) et les besoins futurs (inadaptation sociale des demandeurs d’asile insuffisamment accompagnés).
Par ailleurs, cette baisse des financements va certainement connaître un nouvel épisode, après l'exploitation d'une enquête (lancée en juin 2011, avec le soutien d'un cabinet d'audit) sur la structure des coûts / dépenses des CADA, vraisemblablement avec une avancée vers une tarification ciblée, avec codification des actes comme dans le secteur sanitaire (ce que certains appellent la « gouvernance T2A »).
La baisse des taux d’encadrement
Ce point est encore plus problématique : un courrier d’avril 2011 aux préfets de région, le décret du ministère de l’intérieur de juillet 2011 visent à « assouplir » les taux d’encadrement dans les CADA, le :
- En 2008, les taux d’encadrement comprenaient obligatoirement 1 ETP professionnel pour 10 demandeurs d’asile, et un taux de personnel socio-éducatif d’au moins 60 % du personnel,
- À partir de juillet 2011, ces taux d’encadrement comprennent 1 ETP professionnel pour 15 demandeurs d’asile, et un taux de personnel socio-éducatif d’au moins 50 % du personnel.
Le tollé est important, désignant un « détricotage du dispositif social accompagnant la convention de Genève » selon France Terre d’Asile. Le Ministère de l’Intérieur répond qu’il s’agit d’un plancher, autrement dit, que les taux pourront être plus élevés, « déterminés conjointement avec le gestionnaire, en tenant compte notamment de la structure du CADA et du profil des publics accueillis ». Difficile d’y croire…
Un rapport public non publié
L’Inspection générale des Affaires Sociales (IGAS) a mené en 2010 une mission d’expertise sur les CADA, notamment sur les coûts liés aux prestations des CADA. Malgré les demandes de publication de ce document, celui-ci est longtemps resté secret, empêchant ainsi de discuter des questions de manière sérieuse. Ce n'est qu'en juin 2011 qu'il a été publié, de manière subreptice, dans l'annexe 3 du rapport d'information (commission des finances) du Sénat. À noter : le contenu du rapport de l'IGAS sur les coûts des CADA n'était-il pas suffisant ? Est-il nécessaire de rajouter l'intervention d'un cabinet d'audit, alors que nous sommes en période de recherche d'économies, pour travailler sur les mêmes contenus ?
Les retards de paiement
Le début de l’année avait également été particulièrement difficile pour les CADA du fait d’un retard considérable dans le paiement par l’État des sommes permettant de fonctionner : les CADA ont dû faire appel à des relais financiers auprès des banques : paiement d’agios ou crédits à court terme. La Fédération Nationale des Associations d’Accueil et de Réinsertion Sociale (FNARS) ainsi indiqué qu’à la fin du mois de mai, « une trentaine d'associations de solidarité auront versé 150.000 € d'agios ».
L’origine du problème ? Le fameux nouveau logiciel de gestion du nom de Chorus, en cours de déploiement dans les ministères et services déconcentrés. L 'idée de Chorus était séduisante : remplacer les multiples applications existant dans chaque ministère par un seul système d'information comptable et financier pour l'ensemble de l'État. Lancé en 2006, ce projet Chorus devait être définitivement mis en place dans les ministères au 1er janvier 2010. À l'hiver 2009, après un premier rapport alarmant de la Cour des comptes, Bercy a dû repousser l'échéance au 1er janvier 2011. Le coût du système : 1,1 milliard d’€. Le lancement au ministère de la Défense a été l’objet de nombreux bogues : retard de paiement à 5 milliards d'€ avec de nombreux fournisseurs payés très en retard. L’Éducation nationale a suivi dans l’essuyage des plâtres. Tout le monde en convient, Chorus n’a pas fini de faire des siennes malgré les discours lénifiants. En tous cas, les CADA en ont été les victimes, devant faire face à des frais supplémentaires, alors que les budgets sont pourtant revus à la baisse.
La question des DOM
Pour terminer, il est utile de rappeler, malgré quelques projets en cours d’étude, qu’il n’existe pas de CADA dans les départements d’Outre mer, ce qui crée une situation d’exception alors qu’au moins 2 départements (Mayotte, Guyane) sont fortement sollicités par des demandeurs d’asile. Tous les rapports (Sénat, Assemblée nationale, experts,…) le confirment depuis 2006 et encore les derniers de 2011, c’est un vrai problème qui, non résolu à terme, va développer des situations d’exclusion et d’insécurité pour ces territoires.
Une conclusion ?
L’inclusion sociale des demandeurs d’asile recule, non de manière spectaculaire, mais par le début d'une érosion lente. Je ne pense pas que l’on puisse dire que 2011 a été une « annus horribilis », simplement une année déprimante, décourageante, absurde par le décalage entre les discours et les réalités.
Daniel GACOIN
Je partage ton avis sur la tension permanente qui s'exerce sur les CADA. C'est d'autant plus important de le dénoncer que cela concerne nombre de familles et d'enfants...J'ai souvent eu l'occasion de constater avec des équipes à quel point c'est de plus en plus une action qui s'apparente au travail en milieu hostile. Nous n'en sortons pas grandis...
Rédigé par : Laurent Barbe | 19 septembre 2011 à 18:48
Bonjour,
j'ai vu que vous travaillez avec Bertrand DUBREUIL. Merci de le saluer de ma part. Sauf erreur, nous avons été lui et moi sur les mêmes bancs de l'école d'éducateurs spécialisés, rue Halévy à Lille. Je suis en retraite depuis le 1er octobre dernier, après avoir été en fin de carrière directeur d'un IME pour personnes polyhandicapées : l'IME "Les Sources" à Meylan (Isère). Je ne vais pas m'étendre sur le manque de moyens en personnel dont nous avons souffert, comme tant d'autres, et ce n'est pas fini. Mais quand je vois les projections de dépenses concernant les EVALUATIONS EXTERNES de nos dispositifs, services et établissements,les bras m'en tombent. Tout cet argent pour des cabinets privés payés notamment sur les fonds de l'Assurance Maladie, et alors que des établissements et services ferment faute de moyens, c'est inadmissible. On peut faire aussi bien pour moins cher, par le biais des ARS, y compris supprimer les "canards boiteux" du secteur, s'il en existe.
Bien à vous
Michel SAUTY
Rédigé par : Michel SAUTY | 30 octobre 2011 à 18:21