Suite de notre chronique sur la Protection de l’Enfance… Aujourd’hui le deuxième billet rendant compte des recommandations de bonnes pratiques professionnelles, publiées par l’ANESM, il y a 3 jours, sur « Le partage d’informations à caractère secret en protection de l’enfance ».
Un document attendu
L’attente du dossier était d’abord liée au fait que l’ANESM avait peu travaillé sur la problématique de la Protection de l’Enfance (jusqu’ici une seule recommandation spécifique, sur la violence dans les établissements pour adolescents), mais, surtout, au fait que le partage d’informations au sein des établissements de type MECS, Foyers éducatifs, etc. ou de service de milieu ouvert est souvent interrogé, avec une absence de repères chez les professionnels et parfois, des affirmations à l’emporte pièce de la part des directions.
Par ailleurs, le partage d’informations au sein des échanges et coopérations entre établissements et services allait, depuis longtemps, bien au-delà du raisonnable. Cela était au point que la nouvelle notion juridique de « secret partagé » (loi N°2007-293 du 5 mars 2007 réformant la Protection de l’Enfance) a mis en place une contrainte, pour les travailleurs sociaux, qui, paradoxalement, au lieu de les obliger à avancer vers davantage d’échanges, pouvait les entrainer à reculer vers moins d’échanges ou des échanges plus ciblés et circonscrits, tant des pratiques non contrôlées étaient en place (parler de manière généralisée sur le dos des familles, sans cadre formel),
Enfin, la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, avait entraîné de nombreuses interrogations sur l’éventuelle transmission par les travailleurs sociaux au maire, «animateur essentiel de la politique de prévention de la délinquance » selon cette loi, d’informations confidentielles sur les familles (une mesure encore très peu appliquée, mais qui a pourtant fait couler beaucoup d’encre).
Un document particulièrement charpenté
Il m’est arrivé d’être critique à l’égard de certaines (pas toutes) recommandations de l’ANESM : études et recherches insuffisamment rigoureuses, langage euphémistique ou « novlangue éthico-managériale », absence de positions claires sur des thèmes le nécessitant. Le document présenté ici est tout le contraire : étude juridique et bibliographique solide, constructions à plusieurs niveaux, avec un langage permettant de répondre aux questions des professionnels, repères suffisamment précis et souples pour guider sans enfermer, positions correctes sur un plan éthique.
Un premier contenu : le retour sur des définitions juridiques…
Est précisé tout d’abord dans ce texte ce que l’on appelle le secret professionnel : « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire » et sa condamnation pénale (1 an d’emprisonnement, 15 000 euros d’amende) pourvu que soient réunis « un élément légal » (infraction prévue par un texte législatif ou règlementaire), « un élément intentionnel » (conscience de révéler une information à caractère secret), « un élément matériel » (soumission de la personne au secret professionnel, révélation par celle-ci à un tiers d’une information à caractère secret, soit tous les faits appris, compris, connus ou devinés pendant l’exercice de la profession). Suivent un ensemble de repères, bien connus des spécialistes, mais souvent, je le constate tous les jours, peu compris par les professionnels de terrain. Ils sont résumés dans la recommandation et détaillés dans un document annexe beaucoup plus long (très argumenté) avec le rappel de :
> L’obligation de discrétion des fonctionnaires, plus large que l’obligation de secret professionnel,
> L’obligation de discrétion des salariés du secteur privé sur la vie privée et l’intimité d’un usager, sur les informations le concernant
> Le partage possible d’informations à caractère secret, antérieurement prévu par la loi dans le champ médical, mais non dans le champ social enfin légiféré en 2007 : des « personnes soumises au secret professionnel » (« mettant en œuvre la politique de protection de l’enfance » ou lui « apportant leur concours ») « autorisées à partager entre elles des informations à caractère secret afin d’évaluer une situation individuelle, de déterminer et de mettre en œuvre les actions de protection et d’aide dont les mineurs et leur famille peuvent bénéficier », ce partage étant « strictement limité à ce qui est nécessaire à l’accomplissement de la mission de protection de l’enfance », Le père, la mère, toute autre personne exerçant l’autorité parentale, le tuteur, l’enfant en fonction de son âge et de sa maturité étant « préalablement informés, selon des modalités adaptées, sauf si cette information est contraire à l’intérêt de l’enfant ».
> Un élément lié au contexte de prévention de la délinquance (le contenu, légal, reste sur le fond contestable) : il est rappelé que la loi a prévu des communications d’informations à caractère secret entre professionnels de l’action sociale et le maire d’une commune… lorsque « l’aggravation des difficultés sociales, éducatives ou matérielles d’une personne ou d’une famille appelle l’intervention de plusieurs professionnels », avec éventuelle nomination d’un coordinateur travailleur social. Les professionnels de l’action sociale et le coordinateur pouvant ensuite être autorisés à communiquer leurs informations « à caractère secret, afin d’évaluer leur situation, de déterminer les mesures d’action sociale nécessaires et de les mettre en œuvre » au maire. Le texte rappelle que ces dispositions se réalisent sans forcément information aux parents, confirmant le caractère particulièrement… problématique (!) de cette disposition de la loi de prévention de la délinquance.
> Un dernier élément important : la liste des professions ou fonctions / missions concernées par le secret professionnel est bien rappelée. Je précise, puisque la question revient souvent, que les psychologues, les éducateurs ne font pas partie des professionnels rattachés au secret professionnel par profession…
Un deuxième contenu : les repères pour le partage d’informations en protection de l’enfance
Les principes de base sont posés : le partage d’informations à caractère secret « doit servir l’intérêt de l’enfant », « est un outil professionnel » (pour adapter l’analyse et l’action référée à l’accompagnement personnalisé de l’enfant), « avec un condition » (l’information préalable des représentants de l’enfant, sauf dans des cas particuliers). Il est rappelé que :
> Seules certaines informations sont partageables (cette partie m’a parue un peu faible, même si des exemples nombreux sont cités).
> Le partage vise : la complémentarité, la coordination, la cohérence des actions, l’évaluation pluridisciplinaire, l’élaboration collective. À noter : le texte indique que les questions de santé faisant partie intégrante d’une démarche éducative globale, les professionnels d’un établissement ou service peuvent avoir accès à des informations (médicaments, précautions, rendez-vous). Dans le prolongement, il est indiqué que « les professionnels de santé, comme tout professionnel mettant en œuvre la protection de l’enfance ou y apportant son concours, peuvent partager des informations concernant la santé avec des professionnels socio-éducatifs afin d’évaluer une situation individuelle, de déterminer et de mettre en œuvre les actions de protection et d’aide dont les mineurs et leur famille peuvent bénéficier » (un partage possible donc, mais limité !).
> Les parents ou titulaires de l’autorité parentale sont associés au partage d’informations : 1. Les parents et l’enfant « sont, sauf intérêt contraire de l’enfant, informés du partage d’informations à caractère secret les concernant », 2. « Les professionnels recherchent, sauf intérêt contraire de l’enfant, le consentement des usagers », « quel que soit le cadre de l’intervention (administratif/judiciaire/ civil/pénal) », 3. « Les professionnels co-construisent avec les usagers le partage d’informations à caractère secret ». Cette partie du texte m’a paru particulièrement importante…
> Un soutien des professionnels est nécessaire dans les ESSMS sur ce thème (connaissance du droit, sensibilisation aux règles, réflexions collectives sur les pratiques).
Les autres contenus : la mise en pratique avec deux approches distinctes
La mise en application des principes ainsi posés m’a semblé bien intéressante :
> Au sein d’une structure : le partage comme modalité du travail en équipe, avec des supports, avec des conditions et règles concernant le dossier, mais aussi des conditions et règles concernant les réunions. Est rappelée l’attention nécessaire aux échanges informels (nécessité d’une vérification du caractère confidentiel du lieu d’échange, reprise dans un cadre formel)
> Dans le cadre des coopérations entre structures : la stricte identification du destinataire avant partage, l’adaptation des pratiques au type de support (réunions de protection de l’enfance, réunions en prévention de la délinquance, écrits). Concernant les commissions locales de sécurité et de prévention de la délinquance, il est affirmé « qu’aucune information nominative ne doit être divulguée dans les instances plénières », et que « seules des informations confidentielles peuvent être partagées dans les groupes de travail ». Je dois dire que j’ai à la fois apprécié ces limites, mais que je les ai également trouvées peu claires dans le détail (il conviendra aux professionnels d’apprécier… au mieux… etc. etc.).
En conclusion
Ces recommandations sont rigoureuses et apportent des repères beaucoup plus précis en Protection de l’Enfance. Elles restent parfois un peu limitées sur certains thèmes : précisément dès que l’on aborde le thème sensible de la prévention de la délinquance. Ceci est lié au positionnement de départ : ouvrir le champ de la Protection de l’Enfance, certes aux missions exclusives de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) départementale (prévention spécialisée, protection administrative, délégation d’autorité parentale ou tutelle) mais aussi aux mesures d’investigation et d’assistance éducative (protection judiciaire de la compétence de l’ASE ou de la PJJ), et aux mesures ordonnées sur le fondement de l’ordonnance du 2 février 1945 (enfance délinquante). Il me semble que ceci pose des questions de fond, liées aux contradictions des responsables politiques :
> Les pouvoirs publics dissocient fortement le civil et le pénal, l’ANESM relie les 2 secteurs, j’apprécie.
> Les pouvoirs publics limitent la notion de secret partagé à des champs précis en protection de l’enfance, et l’ANESM appuie sur cette position ; mais d’un autre côté, les pouvoirs publics ont clairement été beaucoup plus larges, et lâches, sur le partage d’informations à caractère secret quand il s’agit de prévention de la délinquance, et l’ANESM ne s’appuie pas sur cette position, mais ne la contredit pas non plus, renvoyant finalement chacun à un discernement sans repère précis. Dommage sur ce dernier point.
Mais cela n’enlève rien à l’intérêt et la qualité du document, qui sera une référence.
Daniel GACOIN
On reste très dubitatif entre la volonté de l'ANESM de maintenir dans le giron des évaluations, les ESSMS du secteur de la Protection de l'Enfance illustrée par la publication de ses recommandations -pour ce secteur- qui sont de grande qualité et celle de l'Etat (en fait le ministère de la Justice et des Libertés et sa DPJJ) dont la position politique conduit à exclure du champs de l'évaluation externe les ESSMS relevant du §4 de l'art. 312-1 du CASF.
Rédigé par : Christian SZWED | 04 juin 2011 à 11:02