Concernant l’aide à domicile, une situation individuelle révoltante a été diffusée, il y a 3 jours, sur le blog de la personne concernée (cliquer ici pour y accéder), puis a été relayée par les médias numériques (réseaux interactifs dont Facebook, Twitter, le site Rue 89), avant d'être reprise par France Culture, une grande partie des radios et de la presse.
Il s’agit de la situation de Louis van Proosdij, un homme de 43 ans, chef d’entreprise dans l’économie numérique, largement impliqué dans des évènements médiatiques et cercles de rencontres, parfois même très près des gouvernants. Il est également tétraplégique, depuis l’âge de 16 ans, suite à un accident de sport en 1984, et a un usage partiel de ses bras, aucun usage de ses doigts, se déplaçant en fauteuil roulant électrique.
Volontaire, engagé à fond dans sa vie professionnelle et personnelle, il a organisé sa situation en toute autonomie (voiture aménagée qu’il conduit lui-même, permettant ainsi une totale autonomie dans ses déplacements quotidiens), mais, deux heures par jour, il a besoin de l’aide de tiers : 30 minutes le soir pour l’aider à se coucher, 1 heure ou 1 heure 30 le matin pour qu’on le lève, le douche, l’habille, et l’assoie dans son fauteuil. Pour cela, il fait appel depuis des années à un service spécialisé de soins à domicile appelé SANTÉ SERVICE. Jusque là, la situation est normale…
Mais, brutalement, il y a quinze jours, la situation s’est radicalement transformée. La hiérarchie du service (deux directrices d’unité et le médecin-conseil) est venue lui annoncer une nouvelle organisation des prestations réalisées, dans le cadre de « protocoles » quasi-impératifs et qui bouleversent sa vie. Je résume les protocoles qu’il décrit : « 1 seule douche par semaine, le reste du temps une toilette au lit avec cuvette et gant de toilette, un lit médicalisé imposé en lieu et place de ma literie, une tablette roulante d’hôpital, un couché impératif à 22h, et parfois 21h, une suppression du lever “prioritaire” le matin en début de tournée », ce qui lui « vaut d’être régulièrement prêt à seulement 10 h 45 ou 11 h ». Dans le détail, décrit sur le blog, l’affaire est totalement scandaleuse et révoltante. Il s’agit d’une redéfinition complète de sa vie, avec une situation de non soin et d’irrespect, de négation de la dignité et de l’intégrité de cette personne. Des conditions maltraitantes lui ont été imposées, avec une position sourde à tout dialogue avec les responsables de l’organisme, parfois temporisées par certaines aide-soignantes interviennant ou à l’inverse amplifiées par d’autres.
Le plus sidérant, c’est que SANTÉ SERVICE, l ’organisme responsable de cette dégradation inhumaine, est une association à but non lucratif, créée en 1958, reconnue par les pouvoirs publics, qui présente des ambitions (assurer au domicile des patients, dans des conditions de sécurité et de confort psychologique, tous les soins médicaux et paramédicaux prescrits par un médecin hospitalier ou libéral) et une réalité (1200 places, avec une continuité des soins 24h/24 et 7j/7). Elle présente apparemment toutes les garanties exigées par les pouvoirs publics et les engagements éthiques habituels, d’ailleurs indiqués sur son site Internet (cliquer ici pour y accéder) dans un parfait exemple de la « novlangue éthico-managériale » qui circule dans notre secteur. Tout y est :
> Les valeurs : « respect de la personne et de son entourage », respect de « la dignité et de l’autonomie du malade », « en particulier dans la qualité des pratiques professionnelles », « sens au travail et aux missions de chacun » et promotion « d’un esprit d’équipe favorable à la réalisation des missions de tous »,
> Les engagements : « écoute des “clients” pour pouvoir répondre à leurs besoins », « respect des droits des patients », « mise en œuvre d’un système de pilotage de la qualité et de prévention des risques efficace », « dynamique d’évaluation pour améliorer durablement le service rendu »,
> Les garanties : la certification par les pouvoirs publics (la V2), le pilotage par la direction des soins, de la clientèle et du Président de la commission médicale, le projet de soins individualisé, l’écoute quotidienne, etc. etc.
Il est impératif de lire ce témoignage…
Vraiment je conseille à tous de lire cette histoire édifiante (cliquer ici pour lire ce témoignage de Louis van Proosdij). Pour ma part, j’ai été effondré par ce que j’ai lu : de la bêtise, de la mauvaise foi de la part de l’organisme avec un discours très normalisé, absurde si l’on considère la réalité.
Clairement, nous sommes devant une situation de maltraitance caractérisée (voire la définition du Conseil de l’Europe, rappelée par l’ANESM, comme par le ministère de la santé : la maltraitance est une violence se caractérisant « par tout acte ou omission commis par une personne s’il porte atteinte à la vie, à l’intégrité corporelle ou psychique ou à la liberté d’une autre personne, ou compromet gravement le développement de sa personnalité et/ou nuit à sa sécurité financière »). J’ajoute que dans le cas présent, si les faits sont effectifs, cette maltraitance comporte au moins trois dimensions évidentes (selon les définitions officielles) : violences psychiques ou morales (absence de considération, abus d’autorité, injonctions paradoxales), violences médicales ou médicamenteuses (manque de soins de base), négligences passives (négligences relevant de l’ignorance, de l’inattention de l’entourage) voire actives (abus, abandons, manquements pratiqués avec la conscience de nuire). Cela relève du Code pénal, et témoins de la parole de cette personne (nous sommes des milliers à l’avoir entendue), nous avons le devoir de le signaler à l’autorité judiciaire (Procureur de la république).
… mais également les réactions à ce témoignage
Je vous propose de lire également un échantillon des près de 900 réactions (en trois jours) sur le blog de Louis van Proosdij : c’est vraiment édifiant. Tout le monde renforce le propos, en disant que cette situation individuelle est la même que celle de milliers d’autres personnes, même si des bémols sont ajoutés par quelques uns (une personne en situation privilégiée, etc.).
Je reprends plusieurs des réactions à mon compte : le choc que constitue cet exemple, les conseils (changer d’opérateur, porter plainte, etc.), une situation qui n’est pas isolée.
Mais plus globalement, quelques points d’analyse
Dans la situation présentée, on comprend mal pourquoi Louis van Proosdij a fait appel à un service d’hospitalisation à domicile (HAD, relevant du secteur sanitaire), alors qu’il devrait être en lien avec des services d’aide à domicile et de soins infirmiers à domicile (SAAD et SSIAD), et éventuellement avec des libéraux pour ses demandes atypiques (des interventions à des horaires très tardifs le soir). SANTÉ SERVICE semble s’être gardé de l’aiguiller dans ce sens.
A priori, Louis van Proosdij a, aura, les moyens de sortir très rapidement de cette situation (d’ailleurs, ce soir, la direction de SANTÉ SERVICE, après injonctions de ministres, semble être revenue en arrière) : ce n’est pas le cas d’autres « bénéficiaires » de ces types de services, soumis à des diktats, normes, règlements incontournables, humiliations et parfois maltraitances… qui eux ne bénéficieront pas d’une couverture médiatique. Et malheureusement, il ne s’agit pas d’une exception dans le secteur de l’aide à domicile : il existe de nombreux cas où, malgré un discours éthique, la personnalisation et le respect des droits des personnes sont loin d’être respectés.
Mais attention, la généralisation n’est pas possible : de nombreux services d’aide à domicile (j’ose dire la majorité), sans être parfaits, s’engagent dans une approche humaine et rigoureuse, professionnelle et attentive. J’en connais de très nombreux, je n’ai pas peur de l’affirmer.
Attention également, la médiatisation (le paradoxe est que j’y participe moi-même) de ce cas va vraisemblablement ouvrir un cycle de reportages et révélations (selon la « théorie de l’agenda » concernant la capacité des médias à focaliser l’attention du public sur certains événements, dans un cycle interactif liant les acteurs sociaux aux médias et inversement) sur tous les cas extrêmes, certes effectifs et scandaleux, mais qui ne sont pas la réalité. Nul doute, les pouvoirs publics adopteront un discours généralisant, menaçant, peut-être même aura t-on le droit à la litanie habituelle : « nous ne céderons pas », « nous n’accepterons pas », « une loi va être déposée », etc.
Et nous risquons d’oublier une première réalité : de nombreuses approches certificatrices ne sont que de la poudre aux yeux. L’emballage est séduisant, la réalité est autre.
Et nous risquons surtout d’oublier l’essentiel : le secteur de l’aide à domicile est sinistré (financement insuffisant, personnel précarisé), gangrené (la loi sur le service aux personnes a entrainé le règne de la concurrence et des investisseurs sur un marché qu’ils ont pensé lucratif et des formes de management inadapté, malgré des discours rappelant sans cesse une nécessaire bientraitance) et a besoin d’être repensé en favorisant une nouvelle approche (différencier les structures de service aux personnes dépendantes, relevant de l’action sociale et médico-sociale, des structures de service à la personne) en investissant dans ce secteur au lieu de le développer de manière uniquement comptable.
Daniel GACOIN
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