Après mon dernier billet sur les instructions interministérielles (je les avais alors plutôt identifiées comme « une remontée de bretelles ») aux Agences Régionales de Santé (ARS), la presse s’est largement fait l’écho cette semaine de deux évènements qui confirment les évolutions déjà présentes depuis longtemps, mais qui s’aggravent cette année : la nécessité impérieuse de réaliser des économies sur les budgets du social et du médico-social…
La nouvelle directrice de la Direction Générale de la Cohésion Sociale (DGCS, anciennement Direction Générale de l’Action Sociale, DGAS), Sabine Fourcade, a dévoilé lors d’une conférence de presse, le 2 mai 2011, les prévisions budgétaires de l’année 2011 pour les établissements et services médico-sociaux, avec cette phrase à résonnance forte : « l'année va être difficile ». Paradoxalement, j’ai apprécié la franchise du propos, qui tranche avec une certaine dichotomie des discours des pouvoirs publics (du côté de la DGCS, anciennement la DGAS, des envolées consensuelles, du côté de Bercy jouant le rôle du méchant, des refus obtus)… Visiblement la DGCS veut faire preuve de sincérité, en jouant franc jeu et en assumant. C’est nouveau, c’est un progrès.
> Parmi les annonces, la progression de l'Ondam (objectif national de dépenses d’assurance maladie) médico-social 2011 qui sera tenue à hauteur de + 3,8 %, la plus importante partie de cet objectif étant consacrée au plan de développement de places, et une infime partie au maintien de l’existant sans plus, soit une simple reconduction en 2011 des budgets 2010 des établissements, avec une masse salariale ne pouvant progresser que de 1 % (la DGCS affirmant que cela permet d’intégrer les indices de progression vieillesse/technicité).
> Est également fortement affirmée « l'exigence d'efficience », au moins aussi importante que « l'exigence quantitative et qualitative de l'offre ».
> Une annonce a complété ces propos : la volonté de reconstruire les instances de dialogue et de concertation avec les institutions représentatives du secteur (ceci démontre implicitement qu’elles ont été mises à mal dernièrement). Se profilent ainsi de nouveaux modes de fonctionnement : « une "rénovation" du Comité national d'organisation sanitaire et sociale (Cnoss) » (…) avec ordre du jour pouvant être "enrichi" par l'intégration d'un "débat régulier sur nos politiques" », « l’amélioration des relations avec l'Assemblée des départements de France (ADF)" (…) par des "rencontres régulières, en amont" des réformes projetées ou en cours », « un "appui, un soutien" des ARS et autres services déconcentrés », « l'idée étant de les "outiller" au mieux ».
> Une autre annonce concerne la confirmation de futurs « indicateurs de pilotage » des établissements et services avec, tout d’abord, « l'introduction d'indicateurs qualité pour les Établissements d'Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD) ». LA DGCS confirme l’avancée des travaux, et son feuilleton qui risque d’être long…
- En 2009-2010, nous avons eu les travaux de l’Agence nationale de la qualité et de l’évaluation dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM),
- En 2010-2011, nous avons eu les travaux de l’Agence Nationale d’appui à la performance des établissements sanitaires et médico-sociaux (ANAP),
- En 2011-2012, nous aurons donc, selon Sabine Fourcade, un groupe de travail « dans les prochaines semaines » émanant du Cnoss, chargé notamment d'étudier « quels indicateurs pourraient devenir opposables et ainsi intervenir dans le dialogue de gestion avec les services de tarification »
- Ensuite, quel élargissement de ces travaux à d’autres types de structures, puis à tout le secteur social ? C’est l’inconnu. Encore une fois, il existe à mon sens un bricolage et une absence de politique sur ce thème et, plus globalement, celui de l’évaluation.
La circulaire interministérielle du 29 avril relative aux orientations budgétaires pour 2011 a été publiée le 3 mai 2011. Elle confirme bien sûr les propos de Sabine Fourcade : Ondam médico-social 2011 à hauteur de + 3,8 %, augmentation des budgets des établissements existants de 0,75 % pour le secteur du handicap, et de 0,89 % dans le champ des personnes âgées, masse salariale ne pouvant augmenter que de 1 %. Mais l’intérêt de la circulaire tient dans les détails :
> Les « autorisations d’engagement pour des ouvertures de places seront "millésimées" » : « la date qui leur est affectée correspondra à l’échéance théorique de l’installation ». Cette précision, mine de rien, sera une nouveauté importante, permettant d’éviter des décalages entre autorisation officielle et déblocage effectif des crédits (j’évite d’illustrer ici les situations ubuesques qu’entraînait ce décalage).
> Dans le secteur des personnes âgées, la création de places nouvelles est toujours possible, et va concerner : les séjours de répit, les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) spécialisés (et reconnus comme tels), les pôles d'activité et de soins adaptés (PASA) et unités d'hébergement renforcé (UHR) ou unités cognitivo-comportementales (UCC) dans les EHPAD. Est rappelé le chiffrage de places nouvelles liées au Plan Solidarité Grand Âge entre création de nouveaux services et extension des services existants : pour les EHPAD, 2085 places globalement, pour les SSIAD, 3535, pour les accueils de jour, 1696 pour les hébergements temporaires, 976 places. Attention, une annonce risque de faire du bruit pour les EHPAD : malgré l’avis défavorable de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), l’expérimentation de la réintégration des médicaments dans le forfait soins des EHPAD non pourvus d'une pharmacie à usage intérieur (PUI), va se poursuivre pendant deux ans. Enfin, la réforme de la tarification des EHPAD prévue en 2011 (tarif global) est mise de côté.
> Dans le secteur des personnes handicapées, la création de places nouvelles est également prévue er va concerner : en priorité l'accompagnement, côté adultes handicapés, de publics spécifiques (par les ACT, CAARUD, CSAPA et LHSS) et du vieillissement des personnes les plus lourdement handicapées. Côté enfants, elle va concerner le soutien à la scolarisation et au développement de l'autonomie des enfants les plus lourdement handicapés. Sont également prévus un meilleur financement des frais de transport en FAM et MAS et la mise en oeuvre du schéma national handicaps rares. Comme dans la circulaire aux ARS du 22 mars 2011, il est rappelé à ces dernière des consignes strictes : attention à une juste évaluation de l’activité pour l’établissement des budgets (une sous-évaluation du nombre de journées d’activité va entrainer ensuite presque automatiquement des dépassements budgétaires).
> Une mise en réserve de 100 millions d’euros (0,3 % de l’Ondam 2011) est enfin prévue, en début d’année pour gérer les ajustements de fin d’année : est ainsi maintenue une pratique étonnante sous formes de rattrapage en fin d’année de budgets insuffisants par des crédits non pérennes.
Deux réflexions
Nous sommes dans la poursuite du serrage de vis budgétaire : rien d’étonnant à tout cela. Et sa mise en œuvre reste conforme à ce qui existe depuis de nombreuses années… Aucune perspective, pas de prise en compte des spécificités territoriales, le gel de l’existant y reste la règle : en réalité cette pratique du gel maintient les inégalités, entre régions bien dotées et sous-dotées (*), entre établissements bien dotés et sous-dotés. C’est en fait un processus de lâcheté collective qui est en place depuis très longtemps !
Concernant l’arrivée des indicateurs dits « de qualité », nous n’entendons plus parler ici « d’indicateurs de pilotage », ni non plus « d’indicateurs de performance ». En fait, il me semble que les contenus préparés restent les mêmes, mais avec une euphémisation des mots utilisés. Je ne suis pas sûr que nous gagnions à utiliser des termes consensuels, plus facilement acceptables, mais qui génèrerons à mon sens encore plus de confusion entre démarche qualité / évaluation / calcul de la performance.
Un étonnement
La circulaire propose aux ARS de maintenir les dépenses des établissements à un niveau constant, ce qui se traduit par des progressions à ne pas dépasser : pas plus 1% pour la masse salariale, pas plus de 0,80 % en fonctionnement dans les structures pour personnes âgées, pas plus de 0,75 % dans les structures pour personnes handicapées. Et bien sûr, l’argumentation indique que cela prend en compte le niveau de l’évolution des prix pour les dépenses, ou le niveau d’augmentation dû au GVT pour la masse salariale. Tout le monde sait, aujourd’hui, que cette argumentation est fausse… Par exemple, la non prise en compte du coût de l’énergie dans l’indice de hausse des prix, alors qu’il pèse sur les budgets d’hébergement… Autre exemple : le GVT qui, presque mécaniquement, (en fonction des progressions en ancienneté, en qualification, etc.), se trouve souvent un peu au-dessus du 1 % avancé. C’est pourquoi, la sincérité et la transparence revendiquées par la DGCS me semblent parfois contredites par les réalités.
Un autre exemple est sidérant : la circulaire avance des dépenses supplémentaires comme le coût des évaluations (internes et externes) reconnues ainsi mais incluses dans la progression globale des dépenses à geler. Donc ces dépenses se réaliseront au détriment d’autres dépenses de fonctionnement. Bien étonnement, la circulaire avance une évaluation du coût des évaluations externes. Elle fait référence au rapport d’activité 2010 de l’ANESM qui indiquerait des fourchettes sur les évaluations externes réalisées en 2010 :
- Une fourchette de 7 400 € à 9 400 € dans les EHPAD,
- Une fourchette de 5600 € à 9 200 € dans les établissements et services pour personnes handicapées.
La précision de ces fourchettes m’étonne immédiatement et, dans la mesure où le rapport 2010 de l’ANESM n’est pas connu, je me demande si ces chiffres ne sont pas tout simplement inventés. Pour information : sur les 210 évaluations externes réalisées en 2010, je connais les montants de 24 d’entre elles et seule une sur ces 24 entre effectivement dans les fourchettes présentées. Serait-on en train de nous raconter des salades (parler d’un prix réalisé au lieu de nous parler d’un prix autorisable) ? Du coup, j’attends le rapport d’activité de l’ANESM avec impatience…
Daniel GACOIN
(*) Il faut avoir lu une étude récente de la DREES sur les disparités régionales, pour le champ des personnes âgées comme pour celui du handicap. Elle est publiée sur le site du ministère de la santé et de la cohésion sociale. Elle présente des disparités importantes (des taux d’équipements de 1 à 5 selon les régions). Et pourtant aucun objectif de résorption de ces disparités dans les orientations publiques !
Pour prendre l’exemple de la Guyane, dont l’ARS est en train d’élaborer le schéma médico-social régional, il est sidérant de voir que, malgré un taux d’équipement en structures le plus faible de toutes les régions françaises (2,7 places pour enfants et adolescents handicapés pour 1000 personnes de moins de 20 ans, au lieu de 8,8 en moyenne pour la France ; 2,2 places pour adultes handicapés pour 1000 personnes au lieu de 7,9 pour la France), ces données, pourtant connues, ne sont pas reprises dans les orientations initiales du schéma aujourd’hui travaillé par l’ARS, qui sont un simple « copier-coller » d’objectifs en partie inadaptés (reprise d’objectifs nationaux concernant surtout le secteur sanitaire), avec absence totale de diagnostic chiffré sur les besoins…
bonjour,
Encore une confirmation que les directeurs d'établissement doivent adopter une posture plus gestionnaire. Ils doivent se soucier des économies et les traquer à tous les niveaux :
* qualification du personnel
* organisation du travail
* négociation des différents contrats d'achat
Sur ce dernier point, je connais un directeur qui négocie les contrats d'achat pour 2 ans (avec comme d'habitude une clause de tacite reconduction). Dès le lendemain du contrat signé, il envoie une lettre de résiliation de ce contrat à échéance.
Il tient un tableau excel lui donnant les dates anniversaires et les échéanciers de renégociation. Grâce à cette posture rigoureuse, il a réalisé des économies substantielles. Son établissement qui était chroniquement déficitaire avec ses prédecesseurs est redevenu en 2 ans excédentaire (tout en faisant de confortables provisions).
Cela réinterroge aussi les structures fortement dotées en cadres hiérarchiques...
Mais il est vrai que gérer est un métier...
Rédigé par : alexandre hausknost | 09 mai 2011 à 16:33