J’ai peu l’habitude de diffuser des motions de protestations ou des appels à pétitions… Néanmoins, je ne peux pas ne pas vous demander de réagir devant une évolution inquiétante, en Hongrie, à Budapest précisément : le démantèlement d’une institution sociale et éducative devenue une référence internationale. Ce fait est d’autant plus problématique qu’il intervient au moment où la Hongrie assume, depuis le 1er janvier 2011 et pour six mois, la présidence du Conseil de l’Union Européenne.
État ancien, la principauté de Hongrie, devenue royaume il y a plus de 1000 ans, assumait un rôle central en Europe, avant la refonte complète de ses frontières, lors du Traité du Trianon de 1920. C’est ce Traité qui a humilié de nombreux pays et généré un sentiment de revanche à l’origine d’une avancée vers la deuxième guerre mondiale. Le pays a perdu, lors de ce Traité, les deux tiers de son territoire et surtout les deux tiers du peuple Magyar, creuset du peuple hongrois. Ces derniers vivront en dehors, devront adopter une autre nationalité (roumaine, yougoslave, tchécoslovaque etc.). Après la seconde guerre mondiale, les frontières du Traité du Trianon ont été réaffirmées.
Néanmoins, la culture hongroise est restée importante, portée par une nombreuse diaspora si bien que, dès l’ouverture du rideau de fer en 1989, la Hongrie représentait, parmi les anciens pays de l’Est, un des pays les plus éclairés, les plus ancrés dans l’ouverture intellectuelle et économique, un pays prometteur de liberté, d’intelligence et de solidarité. De plus, l’adhésion de la Hongrie à l’Union européenne en 2007 a permis l’ouverture de ses frontières (Autriche, Slovénie, Slovaquie, Roumanie) et des liens avec les communautés magyares de ces pays voisins.
Hélas, ces embellies sont en train de se transformer : une nouvelle constitution adoptée en avril 2011, la mise en avant de valeurs chrétiennes mais surtout nationalistes, sur fond de libéralisme. On parle d’un « ultra-conservatisme », il me semble difficile d’en juger, mais l’exemple que je vais citer me semble évocateur, il concerne l’Institut Pikler, que j’ai évoqué récemment dans un billet sur la Théorie de l’attachement.
L’institut Pikler du nom d’Emmi Pikler, la pédiatre qui l’a fondé en 1946, a souvent été connu sous le nom de Lóczy, du nom de la rue où il est situé. Il accueillait au départ une pouponnière, pour des enfants abandonnés ou victimes de la guerre, et y a développé des principes de soins et d’éducation : motricité libre, principes de stabilité des personnes de référence prenant soin des enfants, observation attentive des tout-petits. Ces principes ont été les moteurs, pour ces enfants abandonnés d’un développement normal, de l’évitement d’un syndrome d’hospitalisme. Ils ont été décrits dans un livre best-seller écrit par Myriam David, pédopsychiatre et Geneviève Appell, psychologue : « Lóczy ou le maternage insolite » en 1973 (éditions du Scarabée), réédité en 1996. L’Institut a, depuis toujours, associé à la clinique recherches et formations, en étant reconnu à ce titre par l’Organisation Mondiale de la Santé.
De 1970 à 1998, l’Institut a fonctionné comme Institut National de Méthodologie des Foyers d’Enfants du Premier Age, tout en continuant à être une référence dans son pays (soutien et conseil aux pouponnières hongroises) ou à l’extérieur (une organisation internationale, des Associations Pikler-Lóczy dans de nombreux pays, dont la France). On compte notamment des enseignements et des recherches scientifiques (développement des enfants selon l’approche piklérienne, analyse des méthodes de soins et d’éducation), des actions de formation (séminaires, conférences en plusieurs langues) et un rayonnement international, avec en particulier l’accueil de stagiaires de tous les continents. Plusieurs films ont été tirés de ses travaux, dont celui de Bernard Martino en 1999 : « Lóczy - une maison pour grandir ».
Depuis 10 ans, une diversification des activités a été nécessaire, du fait notamment d’une plus faible utilisation de la pouponnière par l’État hongrois (qui préfère une solution moins onéreuse, l’accueil familial). Ainsi, ont été créés :
- Trois groupes de crèche,
- Des groupes d’accueil enfants-parents,
- Une consultation pour les parents des jeunes enfants.
Mais la situation est devenue peu à peu ubuesque : la pouponnière, tout d’abord, a été victime de la politique suivie par l’État hongrois (préférence pour l’accueil familial) et les derniers enfants accueillis ont quitté la pouponnière mi-avril 2011.
Restaient, dans des locaux mis à disposition par l’État hongrois depuis 1946, la crèche, l’accueil de parents et d’enfants en consultation, les formations et recherches. Or la disparition de la Fondation Emmi Pikler est aujourd’hui en cause, un document étant présenté depuis quelques jours sur le bureau de Viktor Orban, premier ministre hongrois, n’attendant plus que sa signature. Les contenus : démantèlement d’une fondation d’utilité publique par rattachement de la crèche à un organisme de tutelle qui procédera à l’attribution à une société lucrative (SARL) de la gestion des locaux et de la crèche. Il s’agit clairement d’un transfert autoritaire d’une activité d’utilité publique à une société privée (en France une telle dévolution serait aujourd’hui impossible, mais l’exemple de l’Institut Pikler pourrait faire école…), sous prétexte que les locaux appartiennent à l’État.
Bref cet exemple fait froid dans le dos : les valeurs chrétiennes affichées par le gouvernement sont bien loin, de même que sa fierté pour un exemple national qui fait école, ne reste que la volonté de privatiser un bien et une activité, une vision à très court terme donc.
L'association Pikler Lóczy-France a pris le relais de cette situation alarmante. Il est demandé que tous ceux qui le peuvent, et qui le veulent, envoient un message court au premier ministre hongrois Viktor Orban. Ce message de type SOS pourrait ressembler au message suivant
« Préservez les conditions de travail de l’équipe de la Fondation Emmi Pikler, qui œuvre pour un accueil et une pédagogie respectant les besoins et les rythmes de développement de chaque enfant. La disparition de cette Fondation dont l’enseignement s’est diffusé dans le monde entier serait une perte considérable pour l’image de la Hongrie et pour tous ceux qui se préoccupent de cette prévention essentielle que constitue une éducation sans violence ».
Le mail pour envoyer ce message :
Dès aujourd’hui, des messages affluent de partout (France, Allemagne, Mexique, Etats-Unis, Italie, etc.) sur cette adresse électronique. Merci d’ajouter le vôtre…
Daniel GACOIN
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