Depuis longtemps, au moins depuis Courteline et son fameux Messieurs les ronds-de-cuir (1853), le regard sur la productivité des fonctionnaires est l’objet de quolibets, exagérés ou mérités selon les cas. L’imaginaire social est solidement installé : le fonctionnaire est un agent assis derrière un bureau, mettant à distance toute pression, pouvant repousser en permanence le service à rendre, voire un acteur passif, profitant d’une activité inutile et d’une situation privilégiée (statut immuable, temps d’activité inférieur, taux de retraite supérieur aux salariés du privé).
Depuis peu, s’est ajouté un constat : il a de moins en moins de fonctionnaires opérationnels postés devant des bureaux, même si, par ailleurs, une nouvelle catégorie d’agents a progressé, celle de la technostructure (des cadres surtout chargés de méthodes en gestion des ressources, suivis de projet, démarche qualité, cadres des ressources humaines). Ensuite, une nouvelle représentation a fortement progressé dans les discours publics : celle du fonctionnaire qui travaille peu, est souvent en congé, abuse même de congés indus ou d’arrêts maladie de complaisance.
Des études récentes
La question de l’absentéisme me semble, par conséquent, un thème important de réflexion et un indicateur à examiner avec attention. Quelques chiffres circulent sur le thème… souvent parcellaires. En effet, alors qu’une loi du 12 décembre 1977 a rendu obligatoire, pour les entreprises privées de plus de 300 salariés, la réalisation et la publication de leur « bilan social », il a fallu attendre 1987 pour que cette obligation soit étendue à la fonction publique. Mais près de 25 ans plus tard, cette obligation est loin d’être appliquée dans de nombreux secteurs de la fonction publique. Attention ! il existe trois fonctions publiques : la fonction publique d’État (FPE), la fonction publique hospitalière (FPH) et dans la fonction publique territoriale (FPT).
La revue « Société Civile » avait publié en février 2006 un dossier de 12 pages consacré à « l’absentéisme dans la fonction publique ». Cette étude reprenait une étude identique effectuée en 1998, et présentait les chiffres suivants en 2006 : un taux d’absentéisme pour raisons de santé de 5,5 % dans le privé, contre 7,3 % dans la FPE, 11 % dans la FPH et 11,3 % dans la FPT.
Hélas, ces données comparatives complètes (privé / FPE / FPH / FPT) n’ont pas été suivies pour la période récente. Toutefois, un autre baromètre, spécifique à la FPT et FPH, est publié par le groupe de courtage d'assurance du personnel des collectivités locales et des hôpitaux d’assurance, Dexia Sofap. Il est très intéressant :
> Dans les collectivités locales, l’évolution de l’absentéisme va croissant, s’établissant à hauteur de 6 à 11 % en 2010. En jours de travail manquants liés à des arrêts maladie, en moyenne, cela correspond à 22,6 jours par an et par agent (nous étions à 17 jours en 2001 et à 22 en 2009). Les absences pour raison de santé ont augmenté de 12 % depuis 2007, sont plus longues de 10 %, plus fréquentes. Les accidents du travail, sont également plus nombreux par rapport à 2007 : + 20 %, en touchant plus d'agents (+ 16 %), plus souvent (+ 10 %) et durent plus longtemps (+ 19 %). Il existe enfin un équilibre entre les congés liés à des accidents du travail et les autres arrêts maladie.
> Dans la FPH, la situation est pire 24,1 jours par an et par agent en 2010, mais les données disponibles donnent moins de détails que pour les collectivités locales.
> Ces données sont en outre déclinées, pour la FPT, à partir du critère de taille des collectivités. L’ensemble a été porté dans un tableau repris dans un récent article du journal Les Échos :
Une première analyse systématiquement présentée dans les commentaires…
Originalité en effet dans les commentaires : les causes de cet absentéisme sont reliées, presque systématiquement au système des congés maladie des fonctionnaires qui serait plus généreux que dans le privé :
> Les fonctionnaires titulaires en arrêt maladie continuent d’être payés par leur employeur public et n’ont pas les 3 jours de carence qui existent pour les salariés du privé,
> Le congé maladie ordinaire, qui peut aller jusqu’à 12 mois, est pris en charge à 100% du salaire les 3 premiers mois et 50% les 9 mois suivants,
> Le congé de longue maladie d’une durée maximale de 3 ans pour maladie à caractère invalidant permet 100% du traitement sur trois ans,
> Le congé de longue durée pour les maladies graves [qui peut durer 5 ans) maintient 100% du traitement sur trois ans et 50% les deux années suivantes,
> Les contrôles des arrêts maladie sont rarissimes dans le secteur public,
> La prise en charge à 100% des soins par la sécurité sociale (c’est ce qu’on appelle l’exonération du ticket modérateur) est garantie pour les congés de longue maladie.
Il m’arrive d’être critique à l’égard des formes de travail dans la fonction publique que je rencontre dans l’action sociale et médico-sociale :
> En soulevant par exemple le paradoxe de représentants des collectivités ou services déconcentrés de l’État, qui, comme porteurs de l’autorité de tarification, interrogent de manière très critique des mauvais résultats en matière d’absentéisme dans les établissements et services gérés par des associations (« l’hôpital se moque de la charité » dit le dicton populaire…).
> En interrogeant également les modalités de travail et les souplesses incroyables parfois, avec des applications de règles de base si aléatoires. Je n’ai pas la cruauté de détailler des exemples précis, mais ils sont si nombreux que la différence saute aux yeux à l’égard des structures du secteur associatif.
… mais une première analyse qui interroge
Du fait de ma position critique, je me sens d’autant plus fondé à interroger cette première analyse, en reprenant d’ailleurs les observations sur l’absentéisme dans les entreprises privées. Que disent-elles en effet ? Tout simplement qu’un taux d’absentéisme de 4 à 5 % est considéré comme normal, alors que dès que celui-ci dépasse les 8 %, il interroge les conditions de travail, le climat social et l’ambiance de travail, le style de management, le manque de vision et de stratégie ou encore l’absence d’objectifs clairs, donc des facteurs premiers de démotivation des équipes et des individus. En bref, c’est d’abord le désintéressement au travail, généré par tous ces facteurs, qui peut être source d’absentéisme. Le prolongement est évident : pour un taux de 8 à 10 % d’absentéisme, il est nécessaire d’interroger l’entreprise, de générer systématiquement une analyse, une recherche des causes et une mise en place d’actions précises.
Et je me pose la question : le taux d’absentéisme de 11 % pour la FPT, le taux encore supérieur pour la FPH, ne devraient-ils pas d’abord interroger les responsables publics, non sur les abus, mais sur le malaise, l’absence de sens dans le management actuel des agents, l’absence d’un projet porteur autre que celui des taux de réussite et des baisses mécaniques du nombre d’agents ?
Daniel GACOIN
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