Une circulaire interministérielle (cliquer ici pour y accéder) a été transmise, le 22 mars 2011, aux Directeurs des Agences Régionales de Santé (ARS). Elle constitue un mini-événement, puisqu’elle contient un ferme rappel à l’ordre en matière de gestion des dépenses en établissements et services pour personnes handicapées (ceux qui sont sous le contrôle des ARS).
Elle commence de manière souple en indiquant que « dans un contexte marqué par un besoin de plus grande maîtrise des finances publiques, l'Objectif Général de Dépenses (OGD) géré par la CNSA est construit en 2011 pour la première année en « crédits de paiements », sur la base des données relatives aux besoins financiers des établissements et services liés, au-delà des mesures de revalorisation, aux installations de places nouvelles qui seront effectives dans l'exercice. »
La suite est nettement plus précise. Il s’agit d’une remontrance aux ARS : elle affirme la nécessité d’une « budgétisation au plus près des besoins » qui « impose une meilleure maîtrise de l'exercice de tarification des établissements et services, alors que, dans le secteur de la prise en charge des personnes handicapées en établissements et services, le dépassement de l'OGD déjà constaté sur la période 2006-2009, a atteint fin 2010 un niveau inégalé ». Certes, est-il indiqué, l’écart entre l’OGD et les dépenses encadrées (DE) s’est réduit pour le secteur des personnes âgées, mais ce n’est pas encore le cas dans le champ des personnes handicapées (seulement une réduction de moitié de cet écart).
Les causes de ces dépassements, dans le médico-social, « à un niveau inégalé en 2010 » ?
Selon le Ministère des solidarités et de la cohésion sociale et le Ministère du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’Etat, ces causes tiennent à :
- « une absence de compréhension partagée sur le sens des différents agrégats utilisés dans la détermination de l'Objectif Général de Dépenses (OGD) et du montant des enveloppes notifiées »,
- « des pratiques de tarification divergentes ».
Notamment, il est indiqué que, selon une mission d'enquête IGAS-IGF de 2009 sur la gestion de l'OGD, la formulation des consignes ministérielles de 2007 pour la détermination des « dotations régionales limitatives de crédits » a pu conduire certains services à considérer que les « résultats excédentaires ou déficitaires des établissements et services concernés ne figuraient pas dans le périmètre de l'enveloppe régionale limitative ».
Autre élément, plus intéressant : il est confirmé en revanche que les dépenses prévues dans le cadre de Contrats Pluriannuels d’Objectifs et Moyens, conclus entre une ARS et des établissements et services, devraient générer une actualisation chaque année de la dotation globalisée commune de référence.
Les conséquences à terme, selon les ministères ?
La circulaire de mars 2011 présente des recommandations techniques pour la détermination des prix de journée des établissements, mais également pour les reprises de déficits, dans le cadre des comptes administratifs. Le principe premier : « le niveau de la dotation régionale limitative notifié en dépenses encadrées doit constituer, encore plus sûrement, le plafond de votre exercice de tarification et le plafond incompressible des dépenses opposables des établissements et services ainsi tarifés ». Ceci veut dire que ce plafond s’imposera, même si les établissements et services font valoir des dépenses intournables : opposables.
La circulaire aborde ensuite, de façon précise et toujours plus technique, les pratiques à développer par les ARS. Il est ainsi fortement rappelé que, pour des reprises de résultats déficitaires des établissements et services dans le cadre du dépôt du compte administratif d'une année et avant approbation et affectation du résultat, les ARS doivent :
- Utiliser toutes les possibilités (article R.314-52 du CASF) pour « réformer le montant du résultat, de façon à assurer, dans la mesure du possible, une neutralisation de l'impact de ce mécanisme sur l'ODG »,
- « Mobiliser les ressources de la « réserve de compensation» constituée par l'établissement ou le service considéré pour couvrir en tout ou partie le besoin de financement issu de la reprise d'un déficit retenu » par l’ARS,
- Tarifer « les prix de journée (PJ) sur la base de l'activité effective tarifée au prix déterminé », sans provoquer d’écart avec « le niveau des dotations régionales limitatives » notifiées aux ARS,
- « Prendre en compte les recettes perçues au titre de la facturation des prix de journée aux Conseils Généraux pour les prises en charge des jeunes adultes maintenus en établissements pour enfants handicapés au titre de l'amendement (Creton) non comme une recette atténuative à prendre en considération dans la détermination du montant du prix de journée de l'établissement mais comme des tarifs hors OGD qui équilibrent les agrégats OGD et DE ». « Les recettes issues de la facturation de ces prix de journée constituent comptablement un produit de la tarification qui doit être inscrit dans les comptes (7313) ».
- Moduler le prix de journée « en fonction des modalités de prise en charge des personnes accueillies (externat, internat complet, internat de semaine, demi-pension, accueil temporaire, journées d’intégration en milieu ordinaire) ».
Comment comprendre tout cela ?
Il fallait en fait s’y attendre : le respect des objectifs généraux de dépenses était jusqu’ici un impératif, mais avec des difficultés d’application, du fait d’une sorte de connivence entre les autorités de tarification et les établissements et services : on n’autorisait pas des dépenses dans un budget prévisionnel alloué (en année N), mais on indiquait discrètement qu’elles seraient reconnues ensuite au compte administratif (au cours de l’année N + 1), devenant incontournables par la reprise du déficit de l’année N au moment de l’établissement du budget suivant (en année N +2). Selon la circulaire, cela deviendra impossible ! Et par ailleurs, selon cette circulaire, des dépenses opposables des établissements et services (par exemple l’application de la convention collective du secteur, ou des dépenses de sécurité, etc.) ne primeront pas sur l’enveloppe régionale limitative de crédits.
Bref, les quelques astuces auparavant employées par les uns et les autres ne seront plus possibles. L’encadrement budgétaire va être encore plus strict, en sachant que resteront uniquement deux perspectives pour des évolutions : les CPOM, les développements de projets nouveaux. Pour le reste, la pratique déprimante déjà en place va s’amplifier : des limitations strictes de crédits, sans tenir compte des hausses effectives de coût (l’énergie par exemple avec des augmentations totalement inconsidérées), sans perspective particulière sur les postes liés aux salaires des personnels (et même pour des applications automatiques des obligations de la convention collective). Sur ce dernier point, nous savons qu’il existe de nombreuses situations où des postes salariés sont autorisés, mais pas le niveau de dépenses qui va avec.
Le dialogue de sourds engagé dans les années 1990 autour des formes de négociation pour les prix de journée et les comptes administratifs va donc s’amplifier, se généraliser. Pas de quoi se réjouir : on est toujours dans la gestion comptable, pas dans des visions stratégiques… En tous cas, la règle du jeu est fermement rappelée dans la « remontée de bretelles » aux directeurs d’ARS, contenue dans cette circulaire, laissant présager les sanctions possibles en cas de manquement de ces derniers !
Daniel GACOIN
La question se pose (ou le devoir de vigilance) de l'application de cette logique aux établissements et services accueillants d'autres usagers que les personnes handicapées. Je pense bien sûr aux structures de la protection de l'enfance...
Nous sommes bien là dans un "moment" où la pression du paradigme financier est telle que la "connivence", pour le coup constructive parce que partagée, entre les instances de tarification et les associations risque d'être mise à mal et source de rupture. Nous étions dans une période où tous les acteurs pouvaient comprendre et accepter la réduction des coûts et trouver des solutions "en connivence". Nous entrons dans une période ou tous les acteurs la comprennent, mais au moins l'un d'entre eux (les "tarifés")n'est plus en capacité de l'accepter. La participation à une journée de tarification est particulièrement éclairante de cette rupture de logiques, qui ne se rencontrent plus...même avec la meilleure volonté des deux côtés.
Rédigé par : Pierre FERRERI, directeur PJJ | 27 avril 2011 à 19:34