Une volonté de stigmatiser et réduire la dépense publique …
Nous vivons une période marquée par l’avalanche de réductions dans les dépenses publiques, sociales, qui donne un relief uniquement comptable à (qui dévoie même) un courant plus profond au sein de la protection sociale visant l’activation « des personnes, des prestations et des dispositifs » (cf. l’article de J-C. Barbier, « Pour un bilan du workfare et de l’activation des politiques sociales », publié en 2008 sur le site La Vie des Idées - cliquer ici pour y accéder). Chacun s’est accoutumé aux discours volontaristes traquant la dépense inutile, responsabilisant les agents publics réputés dépensiers, voulant promouvoir optimisation et plus grande efficience des actions, stigmatisant tricheurs ou consommateurs de prestations sans contrepartie, dénonçant d’éventuels abus.
… et cherchant à diminuer l’imposition des plus riches…
Cette dynamique s’est accompagnée d’une valorisation de la performance économique et de l’investissement des personnes les plus aisées dans les structures de production. Y sont survalorisés les vrais entrepreneurs ou les investisseurs, avec l’idée constante que leur mobilisation nécessite une juste rémunération, et surtout, que les impôts auxquels ils sont soumis ne soient en aucune manière pénalisants ni désespérants. L’idée de « faire payer les riches » y est stigmatisée à travers une norme officielle (celle du fameux « bouclier fiscal » adopté en 2007) : pas d’impôts dépassant au total 50 % des revenus, ils les feraient alors fuir et favoriseraient l’évasion fiscale. Mise en cause ou défendue, cette norme est devenue une référence, non assortie d’une véritable appréciation des réalités.
… mais qui ne s’appuie sur aucune étude économique sérieuse des résultats...
La réalité de l’imposition des français, entre les divers types de prélèvements, les exemptions ou niches fiscales de toute nature, est nébuleuse. Mais surtout, ses résultats ne sont pas évalués : aucune appréciation des avancées grâce au « bouclier fiscal », de son apport à des investissements productifs ou à la limitation de l’évasion fiscale. Cette absence d’appréciation est d‘autant plus étonnante qu’un discours politique réclamant une progression de l’efficience, des résultats, la réalisation de « performances », est nettement plus agressif quand il s’agit des politiques sociales et de la protection sociale.
… et rend impossible toute réforme du système
Dans ce contexte, l’ardente obligation de réformer la fiscalité est devenue un véritable serpent de mer… toujours évoqué, jamais travaillé. Il existe bien des volontés de réformes, souvent en période électorale, mais jusqu’ici ces réformes étaient partielles, voire renforçaient les dysfonctionnements du système en place.
Un ouvrage qui tranche…
Est paru, il y a trois mois, un petit livre devenu un grand succès de librairie et même un vrai buzz (sur le site Internet, les simulations individuelles des propositions ont été prises d’assaut dès la fin du mois de janvier). Pour l’instant,, ce petit livre (rouge !!) est repris par les partis politiques de gauche essentiellement dans le programme du Parti Socialiste, mais de nombreux responsables de l’actuelle majorité présidentielle se montrent troublés, prêts à s’en inspirer. L’ouvrage, intitulé « Pour une révolution fiscale, un impôt sur le revenu pour le XXIe siècle » a été publié au Seuil, dans la Collection La République des idées, véritable creuset de réflexions, analyses et propositions. Ses auteurs sont tous économistes : Camille Landais (chercheur à l’université de Stanford), Thomas Piketty (professeur à l'Ecole d'économie de Paris, directeur d'études à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, proche du parti socialiste, très écouté en 2007 par Ségolène Royal), Emmanuel Saez (professeur à l'Université de Berkeley, détenteur de la Clark Medal de l’American Economic Association en 2009 – récompense la plus prestigieuse en économie après le prix Nobel)
… avec une première thèse simple…
La fiscalité française est asphyxiée par sa complexité, son manque de transparence et l’accumulation de privilèges pour une minorité de contribuables ultra-riches. Le livre démontre scientifiquement, et pour la première fois avec une vision d’ensemble, le caractère régressif de l’impôt dans notre pays : tous prélèvements confondus, les taux d’imposition sont plus élevés pour les ménages les plus modestes et s’abaissent pour les plus riches) :
… puis une proposition de réforme d’ensemble…
Une réforme simple est proposée : fondre l’impôt sur le revenu avec la CSG dans un seul et même impôt prélevé à la source, avec une progressivité du taux d’imposition. La proposition est simple, inspirée par trois principes (équité, progressivité réelle, démocratie).
… le tout avec des innovations éditoriales
Ce travail, d’une lecture limpide, est surtout complété par un site Internet (cliquer ici pour y accéder) qui permet à chacun d’évaluer les propositions des auteurs et de concevoir une réforme alternative et qui produit tous les tableaux, propositions, possibilités de simulations individuelles. C’est vraiment intéressant.
Des critiques possibles …
Ce travail a été peu critiqué, à quelques exceptions près : certains se sont attaqués aux personnes (T. Piketty était fortement visé du fait de sa proximité avec des personnalités socialistes), certains se sont s’attaqués aux principes (surtout les plus extrêmes parmi les ultra-libéraux, favorables à un taux d’imposition égal pour tous, la flax-tax).
Ces critiques, bien molles, ne sont pas convaincantes alors que les contenus de l’ouvrage sont incontournables. Je m’interroge uniquement sur le niveau de leur nouvel impôt sur le revenu pour les plus riches : 60 % des revenus pour ceux qui ont plus de 100 000 euros de revenus par mois. La barre n’était-elle pas trop haute ? Pourquoi ne pas s’être arrêté simplement au taux (norme) de 50 % qui est déjà une référence acceptée ?
… mais surtout un prolongement à creuser
J’ai été très intéressé par la démonstration de l’ouvrage dans ses dernières pages : celles consacrées à des perspectives fiscales plus larges, celles consacrées à l’utilisation de la réforme.
Si les propositions n’apportent pas fondamentalement de nouvelles recettes à l’État (au sens large), leurs modalités d’application, comme avec l’actuelle CSG (prélèvement à la source sur les revenus du capital et non seulement sur ceux du travail) rendent facilement possible un pourcentage systématique affecté à la protection sociale, les auteurs proposant que ce pourcentage soit calculé non sur les recettes, mais sur les bases fiscales de départ. Il me semble que la réflexion mérite d’être approfondie : tant pour l’approche globale, que pour l’affectation au champ de la protection sociale, ne faudrait-il pas aller plus loin ? Désigner des secteurs clés puisqu’existeraient en parallèle des cotisations sociales, donc des dépenses sociales correspondantes ?
Quoi qu’il en soit, n’hésitez pas, achetez ce livre, consultez leur site : l’ensemble est indispensable, incontournable et très facile à aborder !!
Daniel GACOIN
Je partage tout à fait ton intérêt pour ce livre et la démarche des auteurs, qui apportent une lueur d'espoir concernant le fait que l'on pourrait avoir une fiscalité plus lisible et qui ne soit pas exclusivement consacrée à aider les plus riches...elle serait de fait plus facilement appropriable et contribuerait à un sentiment du collectif bien érodé ces temps ci.Enfin une démarche intelligente et constructive dans le domaine fiscal !
Rédigé par : Laurent Barbe | 10 avril 2011 à 20:11