Cette double question se pose en effet… et pas simplement parce que le départ du responsable de la Direction de la Protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), au sein du Ministère de la Justice, est aujourd’hui annoncée. Philippe-Pierre Cabourdin, ancien magistrat à la Cour des comptes, venu au ministère de la justice il y a 8 ans, ayant pris la tête de la DPJJ en 2007, vient d’être nommé recteur de l’Académie de Reims (*). Son départ n’est pas forcément synonyme de modification d’une politique maintenant bien ancrée dans le paysage, une politique que je qualifierais de « changement pour le changement ».
Une politique ?
Quelques rappels s’imposent : la Protection judiciaire de la jeunesse, autrefois appelée « l’éducation surveillée », est une direction du Ministère de la Justice. Elle a en charge un secteur d’activité mis en œuvre en minorité par des établissements et services dépendant directement du Ministère de la Justice, et en majorité par des établissements et services gérés par des associations, appelées dans notre jargon, « secteur associatif habilité » (le SAH). La mission de la PJJ à l’égard du SAH est d’autoriser et contrôler l’activité de ses structures. De fait, la PJJ est ainsi, pour sa direction nationale et ses directions déconcentrées, engagée à un double niveau : celui de l’action, avec ses structures propres, et celui du contrôle en direction du SAH. Structurellement et dans cette double dimension, la PJJ a longtemps géré, directement ou à travers le SAH, les mesures judiciaires en faveur de la jeunesse prises au titre de l’ordonnance de février 1945 pour l’enfance délinquante, mais également les mesures judiciaires prises au titre de l’article 375 et suivants du Code civil en faveur des mineurs en danger.
Trois orientations semblent avoir guidé le directeur de la PJJ depuis son arrivée en 2007 :
> Première orientation : le recentrage de la PJJ sur le pénal.
Elle a été mise en place bien plus tôt, au moins depuis 2002. Elle s’est réalisée avec des avatars : jamais véritablement accomplie en totalité, du fait notamment de la mission de contrôle de la PJJ sur les structures du SAH accueillant des mineurs confiés par mesures de protection. Le recentrage s’est traduit essentiellement par une diminution du nombre de places gérées directement par la PJJ.
Est-ce cohérent ? Non, si l’on considère que la diminution des places visait une diminution des budgets alors que celui-ci est directement en contradiction avec les objectifs volontaristes de lutte contre la délinquance (comment faire plus avec une réduction de moyens ?). Non, si l’on examine les dépenses réelles, de fait transférées au SAH et toujours importantes. Non, enfin, si l’on pense que des recrutements d’agents à la PJJ ont été consacrés à l’affectation de ces derniers aux Centres de détention pour mineurs (de l’administration pénitentiaire et non de la PJJ). Non, enfin quand on pense qu’une centaine de cadres de la PJJ (formés pour diriger des établissements et services) ont été affectés à un service d’auditeurs des établissements et services. La conséquence : une forte diminution des places directes des structures PJJ (la sous-activité de certaines structures est une constante, la diminution du nombre de structures est l’élément marquant des dernières années…).
> Deuxième orientation : le relais de la volonté des ministres successifs de modifier l’ordonnance de février 1945.
Elle est liée à la volonté, constante depuis 10 ans, de diminuer, par une plus grande sévérité à l’égard des auteurs de délits, la délinquance des mineurs. Elle passe par une recherche d’abaissement de l’âge de la responsabilité pénale, l’abandon des juridictions spécialisées (le tribunal pour enfants), la sévérité accrue contre les récidivistes, la responsabilisation des parents coupables de laxisme, etc.
Néanmoins, les réformes affleurent en permanence, sans jamais aboutir, ou quand elles aboutissent, elles sont vite ignorées avant toute mesure de leur efficacité par l’idée d’une réforme supplémentaire. Mon étonnement : on n’y comprend plus rien parce que, au nom de l’efficacité, sont adoptées des mesures, énoncées comme décisives puis rapidement présentées comme insuffisantes. Au fond, peut-être que ce qui compte est moins une politique réelle qu’une rhétorique maintenant le public en haleine…
Le dernier avatar : une réforme du code pénal pour les mineurs a été préparée en 2009 mais n’a pas été présentée au Parlement, des rapports sont demandés par la suite mais une nouvelle réforme, ignorant leurs contenus, est aujourd’hui présentée dans le projet de loi dit de « participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs ». Elle vise, concernant la justice des mineurs, un traitement plus rapide et plus lisible de la délinquance, avec création de tribunaux correctionnels pour mineurs, avec saisine directe des magistrats possible par des officiers de police judiciaire : nous dépassons ici les limites de l’acceptable. Accessoirement, il est question d’un regroupement de toutes les données recueillies dans les procédures d’assistance éducative et de procédures pénales dans « un dossier unique de personnalité ». L’objectif est de favoriser l’efficacité de la justice des mineurs par des mesures pénales adaptées à leur personnalité, mais le dossier unique concerne autant les procédures pénales que les procédures d’assistance éducative (!).
Élément supplémentaire : cette mesure serait adoptée alors qu’en ce moment même, une autre réforme est en cours : une Mesure judiciaire d’investigation éducative (MJIE) , mesure « unique modulable » est instituée pour remplacer les anciennes mesures d’investigation et d’orientation éducative (IOE) et les enquêtes sociales (ES). Le tollé est important aujourd’hui du côté du SAH mettant en œuvre les IOE et les ES. Selon ce secteur, la réforme est unilatérale, ignore les propositions faites en 2008 par ses associations, selon des modalités qui rendent impossible une mise en œuvre sereine : réalisation rapide, mais aussi tarification « complexe et quasi incompréhensible par les services, y compris ceux de la PJJ » (selon le communiqué de fédérations d’associations du SAH). Pour ma part, je m’interroge sur l’intérêt de cette nouvelle mesure, alors qu’il n’existe pas de retour négatif de la part des juges des enfants sur l’IOE : cette dernière avait été instituée à la fin des années 1980 pour améliorer les anciennes mesures d’Observation en Milieu Ouvert qui, elles, suscitaient beaucoup de critiques quant au peu de pratique d’investigation.
> Troisième orientation : la volonté d’optimiser une gestion managériale affirmée.
Cette dernière s’est mise en œuvre dans une démarche d’ensemble visant à simplifier les échelons intermédiaires dans l’administration déconcentrée de la PJJ : les 4 niveaux (national, régional, départemental, structures opérationnelles), ont été simplifiés avec 8 directions inter-régionales ; le choix des inter-régions concernées a été l’occasion d’une improvisation incroyable, et jusqu’à la dernière minute, avec des annonces et des contre annonces. Cette simplification augmente la distance entre directions stratégiques (fixant des impératifs aux structures, des regroupements et nouveaux projets) et directions de proximité devant faire travailler les équipes aux changements (rappelons-nous la tentative de suicide d’une directrice départementale en 2008 : une conséquence de cette distance dramatique…). L’élément majeur, c’est la fixation d’impératifs de gestion sans lien avec les priorités politiques. La DPJJ a par exemple imposé une réduction des financements du SAH (10 % sur 3 ans). Elle est d’ailleurs affirmée au moment où se met en œuvre la réforme de la MJIE, avec imposition d’un nouveau ratio : chaque éducateur ne doit plus travailler pour 35 mais pour 60 mesures en même temps. La conséquence à terme : la volonté de transférer une partie des activités du SAH (celui-ci parle d’une volonté de la DPJJ de le démanteler !) vers les structures propres de la PJJ alors que, je l’indique plus haut, toute la gestion de la DPJJ allait dans un sens contraire…
Conclusion : les impératifs de réorganisation structurelle, les impératifs de gestion dans le management de la PJJ sont sans commune mesure avec les objectifs rationnels, les objectifs politiques (l’efficacité de la justice et de la lutte contre la délinquance) qui sont pourtant affirmés (**).
Des perspectives ?
Il me semble que l’État est en train de dérailler, de perdre son sang-froid, en prenant des mesures successives, contradictoires et brutales. On est loin d’une véritable politique et d’un pilotage rigoureux, efficace, tant dans la prévention (la prévention situationnelle qui est pourtant une évidence) que dans la répression de la délinquance.
Il est temps de sortir des injonctions et de la rhétorique. Il est encore possible de penser une politique et sa conduite. L’idéal dans ce cadre : appliquer les dispositions antérieures, avec les moyens qui s’imposent, en associant les acteurs de terrain, les évaluer ensuite avant de penser de nouvelles réformes.
Daniel GACOIN
(*) élément original : la nomination de M.Cabourdin comme recteur est hors norme, puisqu’il sera ainsi le premier recteur ne possédant pas de Doctorat d’État ni d’Habilitation à Diriger des Recherches (c’est devenu possible pour 20 % des postes de recteurs depuis un décret de juillet 2010). « Nous avons besoin de profils plus polyvalents, avec des compétences de management et d'organisation, de suivi des dossiers, pour porter la politique éducative du gouvernement », a expliqué le ministre de l’Éducation nationale, qui ajoute concernant M. Cabourdin : « ses qualités de manager sont utiles pour mettre en oeuvre des priorités régionales, fixer des objectifs de performance, appliquer les contrats d'objectifs et de moyens signés avec l'administration centrale ». Au vu des résultats à la DPJJ, l’Académie de Reims n’a qu’à bien se tenir !
(**) Il convient de se rappeler Norbert Alter (L’innovation ordinaire, PUF) sur les inventions organisationnelles : « elles ne sont pas « raisonnables », elles ne font pas appel à la raison, cette faculté qui selon Descartes permet de distinguer le vrai du faux et d’appliquer ce jugement à l’action », « concernant les transformations des organisations, il existe donc une large indépendance entre la nature des questions posées et la nature des réponses apportées ». Il ajoute concernant les inventions organisationnelles, inspirées par des finalités posées comme indiscutables, que leurs promoteurs « ne se préoccupent que peu de leurs usages, mais bien plus de leurs qualités intrinsèques, un peu comme l’inventeur du moulin à eau, ou celui de la charrue, se souciaient plus de faire fonctionner leur objet que d’en connaître le tissu social d’accueil ».
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