Bientôt des évaluateurs externes venant d’autres pays européens ! La nouvelle est passée totalement inaperçue, n’a été relayée par aucun média du secteur social et médico-social. Seul le blog d’Olivier Poinsot (cliquer ici pour y accéder), toujours excellent, l’a évoquée. Il fallait s’y attendre pourtant !
Une évolution très lente
Depuis la loi du 2 janvier 2002, le feuilleton des décisions pour l’évaluation sociale et médico-sociale s’est déroulé avec son lot de surprises et surtout de retards. Les dernières précisions concernaient en novembre 2010 le calendrier de ces évaluations, internes et externes (avec, en décembre, les exceptions concernant le secteur de la protection judiciaire de la jeunesse,…). Mais l’élément le plus important dès 2002, c’est le caractère décisif de la dernière évaluation externe : selon l’article L. 313-1 du Code de l’action sociale et des familles, « le renouvellement, total ou partiel, est exclusivement subordonné aux résultats de l'évaluation externe mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 312-8 ». C’est dire la responsabilité des évaluateurs habilités par l’ANESM (Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux) pour cette évaluation externe.
Précisément sur ce thème, les pouvoirs publics n’ont pas confié cette responsabilité à des organismes publics mais à des « cabinets conseils », relevant du secteur lucratif. Pourquoi ? Parce que la conception, assez paradoxale, des pouvoirs publics était que cette activité d’évaluation ne relevait pas du service public, ou d’un service d’intérêt général (SIG), mais de l’activité de services. Le prolongement ? L’habilitation de ces organismes devait respecter les obligations de la Directive Services de l’Union européenne du 12 décembre 2006 (longtemps appelée directive Bolkestein), qui a établi une liberté d’établissement et d’action des entreprises de services. À noter : seuls les services d’intérêt général (SIG), comprenant les services sociaux d’intérêt général (SSIG) et les services d’intérêt économique général (SIEG) sont exclus du champ de l’application de la directive, mais on a vu les débats que cela entrainait (ainsi, il y a peu, les structures d’accueil de la petite enfance n’ont pas été identifiées comme SSIG).
Ainsi, la position retenue (évaluation dans l’activité de conseil, dans le champ de la Directive Services et donc liberté d’établissement des organismes évaluateurs) a entrainé une ouverture tous azimuts et « une habilitation », par vague successive, de 708 organismes. Attention ! Ce terme « d’habilitation » est présenté par de nombreux évaluateurs comme un label, une reconnaissance de leur qualité, alors qu’il n’est qu’une porte d’entrée, soumise ensuite à 2 garde-fous : des critères de compétences pour les personnes chargées de réaliser les évaluations dont l’appréciation est réalisée par les établissements et services évalués, une mission de contrôle a postériori confiée à l’ANESM tant sur le respect des critères de compétences des évaluateurs que sur le respect du cahier des charges de l’évaluation externe, mission par mission. On a vu récemment le débat qu’a suscité la forme possible de ce contrôle (voir à ce sujet notre récent billet dans ce blog – cliquer ici pour y accéder).
Cette ouverture a créé une nouvelle activité avec la perspective d’un marché lucratif : le directeur de l’ANESM l’avait lui-même indiqué en 2008, il s’agit d’un marché de 350 à 400 millions d’euros par période de 7 ans, soit une moyenne de 10 000 euros par mission d’évaluation. Rappelons qu’en période de resserrement budgétaire, ce marché se réalise au détriment des moyens pour les accompagnements sociaux et médico-sociaux. Cette ouverture de marché a suscité de nombreuses aspirations, et, déjà aujourd’hui, des déceptions… Je suis régulièrement sollicité par des personnes ou organismes qui ont rêvé tout haut d’une nouvelle vie, comme évaluateur, et qui déchantent : ils ne trouvent pas de missions, tirent la ficelle par les deux bouts, avec une activité qui ne décolle pas. Le vrai rythme de croisière de cette activité n’est en effet à prévoir qu’en 2013-2014.
Et la suite logique de cette évolution
La suite de l’ouverture du marché de l’évaluation : l’application de la Directive Services adoptée par l’Union européenne fin 2006 trouve aujourd’hui son prolongement logique. Puisque la Directive Services vise « à faciliter la liberté d'établissement des prestataires de services dans d'autres États membres et la liberté de prestation de services entre les États membres », il est logique de voir, à terme, des « cabinets conseils » d’autres pays de l’Union européenne pouvoir s’installer en France sur l’activité d’évaluation externe des établissements et services sociaux et médico-sociaux
C’est ce qui vient d’être rendu possible avec la loi n° 2011-302 du 22 mars 2011 portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques (cliquer ici pour y accéder).
Son article 5 stipule en effet :
I. - L'article L. 312-8 du code de l'action sociale et des familles est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Les organismes et les personnes légalement établis dans un autre Etat membre de l'Union européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen pour y exercer une activité d'évaluation de même nature que celle mentionnée au troisième alinéa peuvent l'exercer de façon temporaire et occasionnelle sur le territoire national, sous réserve du respect du cahier des charges mentionné au troisième alinéa et de la déclaration préalable de leur activité à l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Cette déclaration entraîne l'inscription sur la liste établie par l'agence. Un décret précise les conditions d'application du présent alinéa. »
II. - Le présent article est applicable à Mayotte
Deux précautions toutefois… D’une part, la possibilité de voir des évaluateurs externes venant d’autres pays de l’Union européenne ne s’effectuera que dans un cadre temporaire et occasionnel, et se réalisera sur la base du cahier des charges de cette évaluation externe (décret n° 2007-975 du 15 mai 2007). D’autre part, elle ne sera possible qu’après publication d’un décret français précisant les conditions d’application.
On se rappellera toutefois que nous attendons toujours la publication du décret précisant la manière avec laquelle seront prises en compte, partiellement, les données d’une certification dans une évaluation (ce qui montre, au passage, qu’il s’agit bien de deux éléments articulables, mais différenciés). Conclusion : si l’on pense à la lenteur de publication des décrets réglementaires, le décret concernant les évaluateurs européens n’est pas prêt d’arriver ! Mais il existe une autre hypothèse : les pouvoirs publics se presseront de le publier, pour accélérer la dynamique de changement en cours.
Pour ma part, l’idée d’évaluateurs venant d’autres pays européens ne m’effraie pas. Je pense même qu’en matière d’évaluation de l’efficience des activités, nous aurons des leçons à recevoir : pour éviter les applications de grilles qualité très instrumentales (une spécialité de certains évaluateurs, en contradiction avec le cahier des charges de l’évaluation externe), pour éviter des indicateurs de réussite / performance totalement absurdes…
Comme on le sait, je suis simplement inquiet d’un dérapage déjà bien engagé : augmentation des opérateurs de l’évaluation, contrôle a postériori par l’ANESM intervenant avec un effet retard, poursuite des décalages des évaluateurs avec les obligations réglementaires. Comme on le sait, les dérapages sont de 2 ordres :
1. L’existence de conflit d’intérêts patent, finalement non sanctionné,
2. Le non-respect évident du cahier des charges de l’évaluation, lui aussi non sanctionné. Par exemple des évaluations vérifiant uniquement la conformité de pratiques à un référentiel, et très loin de l’appréciation de l’atteinte des objectifs. Ou encore un exemple, paru dans la presse (Direction(s), Novembre 2010) : un organisme évaluateur qui se vante d’avoir réalisé l’évaluation, pour un montant moyen de 2 300 euros par structure, de 20 établissements et services sociaux et médico-sociaux. Si l’on pense à l’exigence du cahier des charges (documents à analyser au départ, enquêtes de terrain, rédaction d’un rapport, échange contradictoire sur ce rapport), il est impossible de réaliser des évaluations pour un tel montant, correspondant à peine à 2 journées de travail par structure. J’attends l’interrogation par l’ANESM de cette situation.
La nouvelle de possibles évaluateurs externes européens peut augmenter les aspects irrationnels des modalités de mise en place de l’évaluation externe. Il existe une version optimiste : cette nouvelle va obliger à une clarification des exigences publiques, notamment pour le respect du décret du 15 mai 2007. On peut toujours espérer !
Daniel GACOIN
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