Après le coup de pied du dernier rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté, consacré aux Centres Éducatifs Fermés (CEF), l’Organisation Nationale des Éducateurs Spécialisés (ONES) enfonce le clou : l’emploi d’éducateurs « faisant fonction » est loin d’être circonscrit aux CEF et touche, selon elle, l’ensemble des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS), tous secteurs d’activités confondus.
Le contexte
Dans les ESSMS, des emplois éducatifs sont prévus pour l’action socio-éducative d’enfants, adolescents ou adultes, voire pour des familles, dans le cadre de missions reliées à la protection de l’enfance, ou la protection judiciaire de la jeunesse, la réinsertion sociale, l’accompagnement du handicap, etc. Seuls les établissements et services pour personnes âgées ne sont pas concernés. Les emplois éducatifs, une des branches historiques du Travail social, concernent des éducateurs spécialisés, des moniteurs éducateurs, des éducateurs sportifs, des éducateurs techniques spécialisés, des éducateurs de jeunes enfants… Depuis de nombreuses années (le phénomène a toujours existé a minima), sembleraient se développer non seulement des métiers atypiques et complémentaires (chargé d’insertion, médiateur, agent de développement), mais également l’emploi de personnes ne disposant pas des diplômes de référence pour assurer des fonctions éducatives.
Le rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté sur les CEF (lieux d’accompagnement avec contrainte pour mineurs délinquants, avec un encadrement spécialisé et important en nombre et discipline) avait été, en décembre 2010, particulièrement incisif : « des équipes (…) constituées d’éducateurs « faisant fonction », parfois sans compétences particulières, peu ou pas formés à l’encadrement des mineurs (…) » ayant un « (…) recours abusif, voire usuel, au moyen de contrainte physique, laquelle est parfois érigée, dans les équipes les moins qualifiées, au rang de pratique éducative(…) ».
L’enquête ONES
L’ONES a procédé depuis mai 2010 à un recueil d’informations par l’intermédiaire de son site auprès de professionnels de terrain : il est précisé dans l’enquête publiée par l’ONES que ces répondants sont composés « de 59% Éducateurs spécialisés ou Assistants de service social diplômés, et de 13 % stagiaires en travail social dans le cadre d’une formation professionnelle préparant à un diplôme de niveau III », le reste des répondants n’est pas précisé. Parmi les caractéristiques des répondants :
- Leur secteur d’activité : 29 % en protection de l'enfance (MECS, AEMO, Foyer éducatif, prévention spécialisée..), 39% dans le secteur du handicap (IMP, IMPro, SESSAD, MAS, SAVS....), 19% dans le secteur social ou d’autres structures du médico-social (CHRS, CHU, CADA, CCAA…),13% dans un autre secteur.
- Leur structure de travail : 77% du secteur privé associatif, 23 % du secteur public, 66% des répondants appartiennent à une équipe constituée de moins de 10 personnes.
Les constats de l’enquête ONES
Pour 59 % des répondants, les équipes comprendraient 1 à 6 personnes non diplômées en travail social (ES, AS, CESF) faisant « fonction éducative » ou « socio-éducative ». 50% des personnels de certaines équipes éducatives n'auraient aucune formation ni diplôme en travail social. Dans certains foyers éducatifs, 28% seulement de l'équipe est titulaire d'un diplôme d'État (2 personnes sur 7) les autres étant sans qualification. Les répondants indiquent alors des formes de « tutorats formatifs », des diplômés en direction des non diplômés. Ces mécanismes induiraient, selon l’ONES, « entre les acteurs plus de surveillance et de contrôle, méfiance, étouffant leur autonomie et leurs capacités d’initiative ».
67% des répondants rapportent qu’il est d’usage que le personnel non diplômé « faisant fonction » sur des postes éducatifs ou socio-éducatifs se présente aux usagers, aux parents, et partenaires en tant qu'« éducateur ». Rapports, projets éducatifs, courriers, contrats éducatifs ou d’hébergement, peuvent être annotés de la mention « éducateurs » ou « éducateurs spécialisés » sans que le signataire soit titulaire d’un diplôme. Selon l’ONES, ce mésusage porterait « de facto atteinte au respect du consentement libre et éclairé des personnes. En effet, l’usager ou son représentant légal, ne peuvent consentir de façon libre et éclairée à la prise en charge qu'à condition que les informations qui leur sont fournies soient justes, notamment en matière de qualification et de compétences des personnels chargés de leur accompagnement ».
Les répondants indiqueraient en grand nombre, « l’appauvrissement de la réflexion et des pratiques, le manque de prise de recul et la difficulté à impulser et renouveler des projets » qui renforceraient « une perte de sens du travail qui contribue au départ des professionnels diplômés, plus anciens ou nouvellement arrivés sur l’équipe ». Selon l’ONES, « placer des personnes en situation de faire fonction éducative dans des situations d'expériences relationnelles particulièrement difficiles en leur demandant d'y voir clair, c'est leur demander de décrypter des signes ténus sans qu'ils détiennent ou qu'ils soient en mesure de construire les instruments susceptibles de décodages adéquats ». « Trop souvent, les signes d'anxiété, de détresse, de mal-être des usagers sont interprétés comme autant de défiance de l'autorité ou de mises à l'épreuve des règles ». « L'absence de qualification des personnels a pour conséquence de faire courir le risque aux usagers d'une éviction des dispositifs censés leur venir en aide ».
Le travail de nuit serait couvert de façon quasi totale par les « faisant fonction ». La tendance à recourir à des « veilleurs » pour couvrir cette activité, sans identification du niveau de prévalence de cette systématisation serait donc forte. Or ces personnels sont le plus souvent sans qualification, étudiants ou salariés de sociétés privées à but lucratif.
Les positions de l’ONES dans le prolongement de cette enquête
D’une part l’ONES dénonce « l’embauche de personnels sous-qualifiés qui conduit a une déqualification des équipes socio-éducatives et à l’embauche de personnels non diplômés et non qualifiés sur des postes requérant pourtant une qualification », l’ensemble de ces éléments portant « directement atteinte à la qualité des prestations proposées tant dans le secteur public que privé ».
D’autre part elle demande que :
> « les critères d'évaluation externe et interne des établissements et services sociaux et médico-sociaux comportent un volet explicite et obligatoire concernant la qualification réelle du personnel ainsi que les écarts constatés avec le projet d’établissement »,
> « les « faisant fonction » éducative soient quantifiés de façon nationale, secteur par secteur et que le phénomène soit évalué qualitativement »,
> « la fonction de « faisant fonction » éducative soit interdite en tant que telle »,
> « les personnels concernés bénéficient d’un véritable accompagnement pour entrer en formation »,
> « une évolution de la législation » intervienne « pour protéger les usagers des mésusages de la qualité d'éducateur spécialisé » en protégeant le titre professionnel, afin d’éviter une déqualification des personnels recrutés comme « faire fonction ».
Des remarques
L’enquête ONES comporte, me semble t-il, des failles : une compilation de réponses provenant d’un échantillon non représentatif, exprimant un point de vue qui a pu être grossi, un nombre total de réponses qui n’est pas mentionné, des approximations. C’est bien normal, puisqu’il ne s’agit pas d’une étude statistique. Elle révèle néanmoins une situation bien réelle, quoique bien différente selon les régions et surtout le type d’ESSMS : pour ma part je constate des situations positives dans de nombreux secteurs, et des situations très dégradées dans certaines zones (dont la région parisienne), pour des types d’établissement (l’internat en protection de l’enfance, protection judiciaire et l’inclusion sociale semblant les structures les plus à risque) et des types de situation (certains établissements étant véritablement à risque : management inadapté, structuration interne délicate, absence de référence et d’évaluation réelle).
Il me semble assez juste de travailler à un outil statistique permettant de mesurer cette situation : en réalité, il existe déjà (les indicateurs socio-économiques remis chaque année) même s’il reste à parfaire. Je plaide d’ailleurs pour une publication systématique de ces données par les autorités de contrôle.
J’aime l’idée d’introduire, dans les indicateurs d’évaluation interne ou externe, des éléments précis sur cet usage des « faisant fonction » et des éventuelles utilisations abusives de titre dans les documents administratifs décisifs pour les usagers.
Merci donc à l’ONES de cette étude… qui reste à prolonger.
Daniel GACOIN
Cher Daniel,
Merci d'avoir relayé notre enquête. En effet, nous ne sommes pas des statisticiens et la présentation que nous avons faite manque un peu de précisions. Pourtant, l'ensemble des données que nous avons recueillies est beaucoup plus large que ce que nous avons présenté et nous nous attacherons sans doute à le compléter ultérieurement. Ce sera un article "work in progress" comme on dit!
Notre difficulté est aussi de croiser les éléments de l'enquête avec les nombreux témoignages que nous recevons de ci de là, et qui ne sont pas véritablement formatés pour une reprise statistique, mais qui donnent beaucoup de "chair" à nos études.
Ceci étant, comme tu le rappelle, le phénomène est très ancien. Je me souviens bien de la période 2004, 2005 où il était justement question de qualifier ces "faisant fonction" par le biais de la VAE. Plusieurs rapports avaient soulignés à l'époque la réalité et l'ampleur du phénomène (IGAS, conseil économique et social)
Un ancien de l'ONES me faisait remarquer hier qu'en 1966 et 1967, leur combat était déjà de professionnaliser ces personnes s'occupant d'enfants sur leur seule charité ou vocation.
Pourtant, j'ai le sentiment que ce phénomène ancien se modifie et touche plus particulièrement certains secteurs et certaines catégories de professionnels. Nous irons sans doute chercher de ce côté là.
Rédigé par : jean marie Vauchez | 23 janvier 2011 à 21:28
Bonjour, après l'un l'autre....
Bien évidemment que cette enquête est fondée sur une "compilation de questions" donc de réponses d'après lesquelles se construit l'analyse...comme toute enquête d'ailleurs....en connaissez-vous fondées sur des équations mathématiques?
Si vous aviez bien lu l'enquête, vous auriez noté qu'elle concerne 104 répondants, d'ailleurs comment pourriez-vous affirmer que l'échantillon est non-représentatif?
De plus sur quoi vous basez-vous pour avancer que le point de vue des répondants "a pu être grossi" ? Remettriez-vous en question notre impartialité?
Patrice Mariani
Rédigé par : patrice | 23 janvier 2011 à 23:15
Cher Daniel,
Juste un petit mot sur le "exprimant un point de vue qui a pu être grossi" qui a fait réagir en interne.
En effet, notre dernier travail de ce type portait sur les résultats du DESS, et, avec une méthodologie semblable, nous avons obtenu dès la fin septembre 2010 des résultats très semblables à ceux que la DGES et le ministère de l'enseignement supérieur nous ont fournis en décembre 201à et janvier 2011.
Tout cela pour dire que la recherche de l'objectivité est un importante pour nous et que tous ce que nous avons mentionné recouvre des réalités que nous avons vérifiés.
Rédigé par : jean marie Vauchez | 26 janvier 2011 à 16:01
Monsieur,
Comment puis-je obtenir, eu égard au silence de l'ONES, de la solidarité départementale et de la justice, la confirmation qu'une personne se déclarant éducateur spécialisé est bien compétente à exercer dans le cadre d'un placement d'enfant ?
Le chantage à la signature (sans laisser lire le document à signer) sur personne présentée comme vulnérable dans le dossier d'assistance éducative (non pour la protéger mais pour l'empêcher de recueillir sa petite-fille placée) et l'annulation en conséquence de la visite en présence de ma nièce placée (7 ans), relevant d'une évidente maltraitance, m'a fait douter des compétences de cette intervenante qui se déclarait d'une voix posée psychothérapeute et éducatrice spécialisée. Autant je suis sûr qu'elle n'a pas le droit d'exercer comme psychothérapeute puisque l'ARS a fini par reconnaître qu'elle n'avait aucun n° ADELI, autant il m'est impossible pour l'instant de savoir si elle est effectivement éducatrice spécialisée (elle a travaillé comme maître de conférence en histoire de l'art pour le département qui l'emploie maintenant, c'est dire...).
Ce flou préoccupant existe toujours à propos d'une autre intervenante dont les méthodes ne sont guère plus saines, qui est la référente de l'équipe départementale en charge de ma nièce avec cette fois-ci le département qui la couvre sans en justifier et une présidente de la chambre des mineurs de la cour d'appel qui en fait une assistante de service social.
Voila l'opacité d'un système génocidaire au sens de l'annihilation d'un groupe familial.
J'invite Monsieur Jean-Marie VAUCHEZ à bien vouloir permettre que la clarté soit faite sur des pratiques qui constituent un véritable scandale et doivent cesser.
Et je remercie toute personne qui me permettra de faire écarter ces "faisant fonction de" qui traumatisent la jeunesse injustement placée.
Rédigé par : henri guihard | 20 novembre 2019 à 17:20