Vous avez pu lire la semaine dernière un billet sur ce blog, et un autre sur celui de Laurent Barbe, interrogeant (fortement, disons même avec une certaine acidité) les futures modalités de contrôle des cabinets habilités pour les évaluations externes dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS). Ces billets faisaient suite à la diffusion, par des fédérations représentées au Conseil d’administration de l’ANESM, d’un compte rendu ou de ce qui pouvait apparaître comme tel, de la réunion de ce conseil, le 9 décembre 2010.
Sur les questions ainsi posées, Didier Charlanne, le directeur de l’ANESM, a donné des réponses lors d’une conférence de presse de rentrée, programmée depuis longtemps, et consacrée aux axes de travail 2011 de l’agence. Il me semble honnête de présenter les clarifications qu’il a souhaité apporter, d’autant qu’il a pris la peine de me les confirmer personnellement.
Petit rappel (résumé) pour comprendre la polémique ouverte sur ce blog ou celui de Laurent Barbe
> 652 organismes évaluateurs ont été habilités par l’ANESM pour procéder à l’évaluation externe des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS), évaluation qui a un caractère décisif pour le renouvellement de l’autorisation de ces ESSMS. L’habilitation des organismes évaluateurs est une autorisation pour l’activité, non une attestation de compétence ou de qualité, qui a été acquise à travers une démarche sans sélection, du fait de l’application stricte de la « directive Services » de l’Union Européenne (liberté d’activité).
> Dans le prolongement, l’ANESM est chargée de suivre a posteriori l’activité des cabinets habilités, et notamment leur respect du cahier des charges pour l’évaluation externe (défini par le décret du 15 mai 2007).
> Telles qu’apparaissaient les modalités de ce suivi / contrôle dans le document diffusé par des fédérations, il s’agissait, semblait-il, d’entrer dans une investigation basée sur un contrôle des organismes (leur qualité, leur fonctionnement) plus que sur le seul respect du cahier des charges (décret de mai 2007) pour chaque mission.
> Il y était également question d’une visite sur site, auprès d’un échantillon de cabinets dits « à risque », avec vérification de la conformité à un modèle d’organisation, vérification des ressources et de l’absence de conflit d’intérêt financier, matériel ou moral du cabinet et de ses collaborateurs, vérification de la qualité des méthodes et programmes d’évaluation, vérification de la confidentialité des données. La visite y était décrite avec des modalités (questionnements, pièces et informations à produire, etc.) et un prolongement : la production d’un rapport disponible aux ESSMS qui en feraient la demande.
> Au-delà de ce document, le site de l’ANESM présentait un profil de fonction et de compétences, pour les futurs contrôleurs des organismes, qui interrogeait : absence de connaissance du secteur ni des techniques évaluatives, formation supérieure hors action publique ou sociale, mais juridique, comptable ou financière, expérience en audit d’entités ayant des titres cotés dans les établissements de crédit, dans les entreprises régies par le code des assurances ou au sein du Haut Conseil du Commissariat aux comptes qui serait fortement appréciée, etc.
> J’interrogeais donc, la semaine dernière, ce qui me semblait être un grave dérapage : finalités, contenus et méthodes du contrôle que j’estimais, dans leur description, totalement décalées, profil de compétences des contrôleurs inadapté, et même inquiétant, position de l’ANESM allant au-delà de l’esprit du législateur.
> Mon petit billet et celui de Laurent Barbe ont été largement lus et commentés, et ont créé une certaine agitation.
Les rectificatifs de Didier Charlanne
Tout à fait officiellement, le directeur de l’ANESM a donc tenu à contredire la qualité des documents qui ont été diffusés. Je cite les propos qu’il m’a tenus ou qu’il a évoqués dans sa conférence de presse (repris notamment dans TSA Actualités du 26 janvier 2011) :
> « Ce que Daniel Gacoin a appelé « un compte-rendu du Conseil d’administration », diffusé par des membres du CA, n’était pas un document définitif, mais un document préparatoire au CA, qui a subi des évolutions ultérieures ».
> « L’annexe de ce document de travail préparatoire présentant les modalités concrètes du contrôle était une base maximaliste, présentée au CA, avant ajustement définitif. Il s’agissait de lui présenter un exemple d’une modalité extrême des contrôles qui pourraient être pensés de façon à lui permettre de délibérer ».
> « Le profil des contrôleurs avec expérience de l’inspection, ou de l’audit pour organismes ayant des titres cotés dans les établissements de crédit ou régis par le code des assurances, ou au sein du Haut Conseil du Commissariat aux comptes vise essentiellement 1 des 3 futurs contrôleurs (avec expérience de la recherche des conflits d’intérêt). Les 2 autres contrôleurs auront l’un une forte compétence juridique, l’autre une mission d’appui aux ARS ».
> « Le contrôle dont il est question se fera d’abord au vu du rapport d’activité de ces organismes habilités, puis d’un questionnement éventuel au vu de ce qui interroge dans ce rapport, en termes de respect du cahier des charges. Il n’est donc pas prévu de visite sur site ».
> « La synthèse / grille de lecture des rapports d’évaluation est en cours d’élaboration et doit faire l’objet d’un test. Ce document et le guide qui l’accompagnent, dédiés à l'évaluation externe, permettront aux autorités de contrôle de se référer à une grille uniformisée des rapports d'évaluations externes, qui a vocation à devenir opposable (à prévoir donc, un possible décret sur cette grille et des outils) ».
> « L’ANESM envisage de mettre en place une "plate-forme" à destination de toutes les autorités en charge du renouvellement des autorisations (comprenant entre autres une "foire aux questions") et des organismes habilités, proposant des repères et des outils ».
> « L’ANESM est en train de retirer des habilitations à des organismes (5) qui n’ont pas respecté leur obligation de transmission de leur rapport d’activité à l’Agence, ou qui présentent des modalités qui interrogent : pas de facturation (la contrepartie dans ce cas ?), faible nombre de jours d’intervention (deux jours seulement), coût semblable pour des évaluations réalisées dans plusieurs ESSMS avec un nombre de jours d’intervention très différents… ».*
Mes réflexions
Par principe, je n’ai pas de raison de mettre en doute une expression aussi affirmée. Pour Monsieur Charlanne, il s‘agit de rectifier des erreurs de compréhension, pour d’autres, il s’agira d’un retour en arrière sur certains points qui ont fortement interrogé (unique profil de poste de tous les contrôleurs par exemple), pour les derniers, les précisions confirmeront les craintes suscitées par la lecture de nos premières réactions.
Depuis mon billet de la semaine dernière, j’ai reçu deux types d’expression de la part de mes collègues de cabinets habilités pour des évaluations externes : ceux qui interrogeaient le sens des contrôles et plus globalement l’évolution des repères concernant l’évaluation à la lumière de ce que je révélais, ceux qui en profitaient pour mettre en cause le principe même des contrôles. J’ai été très ennuyé par ces derniers : il me semble en effet impossible de m’associer à des réactions indignées de cabinets qui, d’un côté assument leur position d’experts pouvant apprécier la pertinence et l’efficience des activités et des prestations d’une structure (avec la sanction éventuelle que cela peut entraîner), et de l’autre, poussent des cris d’orfraie dès qu’il s’agit d’être contrôlé. Les mêmes assènent parfois avec certitude des méthodes problématiques : un référentiel immuable, à peine personnalisé, des arrangements avec la réglementation, etc.
Sur le fond, je prends acte des propos de Monsieur Charlanne et de son idée d’une concertation sur la synthèse / grille de lecture des rapports d’évaluation. Cette concertation est en effet nécessaire pour éviter des dérives vers des repères qui seraient, à terme, opposables. J’y serai disponible, pensant que c’est le moment d’être constructif, ce qui n’empêche pas de continuer à interroger le sens des évolutions : ce sens me semble en effet une avancée vers une « super autorité » devenant à terme une « haute autorité », avec des cadres n’ayant qu’une très faible connaissance des réalités de terrain dans les ESSMS et de l’évaluation, davantage tournés vers le contrôle, d’une conformité essentiellement, plutôt que vers la promotion d’un esprit évaluatif.
Je suis par ailleurs frappé par le nombre de retraits d’habilitation déjà décidés ou en cours d’étude : près de 10. Si je pars du chiffre de 210 évaluations externes réalisées ou en cours, à fin décembre 2010 **, cela fait un pourcentage immédiat assez conséquent (près de 5 %). On peut imaginer des retraits beaucoup plus nombreux à terme : surtout si le même pourcentage est appliqué aux 24 219 évaluations externes à réaliser avant le 31 décembre 2014 (il s’agit des 24 219 ESSMS autorisés et ouverts avant le 2 janvier 2002)… Et je me demande alors comme seront gérées, à terme, ces situations : si une habilitation est retirée, quelle validité sera accordée au rapport d’évaluation externe concerné ? L’ESSMS devra-t-il recommander (et payer sur son budget) une nouvelle évaluation externe ?
Deux éléments sont encore à clarifier :
> L’objet de l’évaluation : Monsieur Charlanne parle (ou les journalistes ont enregistré) de l’examen de la qualité des prestations. Pour ce qui me concerne, je n’oublie pas la pertinence et l’efficience des activités.
> L’objet du contrôle : je reste centré sur l’idée que le décret dit tous les éléments à vérifier, mission par mission ; il définit en effet l’objet, les impératifs de contenus, la méthodologie, les compétences des évaluateurs (dont la nécessaire expérience professionnelle). Rien que sur ces thèmes, les écarts vont être très importants. Par exemple : je connais de nombreux cabinets qui n’ont pas d’évaluateurs ayant une expérience professionnelle du secteur et qui vont pourtant contractualiser des évaluations. Pour ma part, je pense qu’il conviendra d’être très strict : un non-respect du décret, rien que ce non-respect, devrait valoir un retrait systématique.
Enfin dernier élément, le secteur médico-social (personnes âgées, handicap) revient en permanence dans les propos (références scientifiques médicales, ARS, etc.). Je souhaite qu’on n’oublie pas le secteur social, quitte à prévoir des modalités spécifiques…
Daniel GACOIN
* L’article numérique paru sur le site des ASH, le 25 janvier 2011, sur la conférence du Monsieur Charlanne, fait état d’autres situations problématiques de conflit d’intérêt, qui sont interrogées par l’ANESM chez certains cabinets : présences, parmi leurs équipes d'évaluateurs, de membres de fédérations d'établissements auxquelles adhèrent les ESSMS concernés par l’évaluation réalisée.
** Le même article sur le site des ASH, le 25 janvier 2011, cite ce chiffre de 210 missions, évoqué par Monsieur Charlanne.
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