A l’heure où les pouvoirs publics souhaitent aller plus loin dans les mesures contraignantes à l’égard des parents qui manqueraient à leurs devoirs (d’envoyer leur enfant à l’école, d’assumer une autorité pour limiter ses comportements déviants), j’ai adoré lire la dernière communication du Secrétariat général du Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance (CIPD).
Elle concerne l’application de la loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance, loi qui déjà énonçait une mise en place plus précise de mesures contraignantes : chaque maire (des communes davantage impliqués dans l’aide et l’orientation des familles en difficulté, recevant les informations confidentielles en provenance des travailleurs sociaux et pouvant proposer aux parents de mineurs en situation difficile un « accompagnement parental », pouvant également réunir un « Conseil pour les droits et devoirs des familles » (CDDF), pouvant désigner un coordonnateur parmi les travailleurs sociaux intervenant dans une même famille, ayant le droit de procéder à un rappel à l’ordre verbal à l’encontre des auteurs de « faits susceptibles porter atteinte au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité ou à la salubrité publique ».
Lors d’un colloque du 21 janvier 2008, organisé par le Centre d’Analyse Stratégique (un organisme sous l’autorité du Premier ministre !) la question des mesures contraignantes pour « la responsabilisation des parents : une réponse à la délinquance des mineurs » a été fortement mise en cause (on retrouvera mon commentaire sur le colloque dans le billet du 24 mars 2008 publié dans ce blog - cliquer ici pour y accéder). De manière concordante, dans ce colloque très officiel (cliquer ici pour accéder aux actes du colloque), tous les experts ont établi que, dans le cadre d’une responsabilisation des parents en vue d’une « co-production de la sécurité publique avec les familles », toutes les mesures contraignantes étaient …
… Porteuses d’un discours stigmatisant en progression certes, mais en décalage avec la réalité des parents,
… Porteuses d’une stigmatisation contreproductive,
… Officiellement inspirées d’exemples étrangers : ces exemples (comme les 1300 « parental orders » ordonnés en Angleterre depuis 2003) étant étudiés, il est établi que ces mesures de responsabilisation n’ont eu pratiquement aucun impact sur le comportement des enfants à long terme et n’ont eu qu’une faible incidence sur la prévention de la délinquance
… L’occasion de discours enflammés, mais qui sont restés lettre morte.
… Destinées davantage « à afficher des valeurs qu’à prévenir réellement la délinquance »
Pourtant, dans la foulée des discours qui s’enflamment à nouveau, avec mise en cause des parents laxistes, avec menace d’une mesure nouvelle de retrait des allocations familiales (pourtant déjà possible dans le cadre législatif actuel !!), le secrétaire général du CIPD n’a pas craint de publier un bilan plein de superlatifs sur l'application des dispositifs contenus dans la loi de 2007 sur la prévention de la délinquance. Il ne craint pas de parler « d’un véritable décollage » dans l’application de la loi du 5 mars 2007. A preuve ajoute-t-il : « un mouvement se met en place dans des municipalités de toutes sensibilités et de toutes tailles » … puisque 102 conseils des droits et devoirs des familles (CDDF) ont été créés ou sont en cours de création, contre 30 l'année passée. Il est également indiqué que126 maires pratiquent le rappel à l'ordre, et 10 pratiquent la procédure de transaction.
Par ailleurs, il est rappelé que 1 069 conseils locaux et intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance sont en place, 398 contrats locaux de sécurité et 50 stratégies territoriales de sécurité et de prévention de la délinquance : à noter, ces dispositifs sont antérieurs (ou adaptent des dispositions antérieures) à 2007.
Il est toujours original de parler d’un « décollage », pour une application de mesures (les CCDF) qui serait passée ainsi, en un an, de 30 à 102 communes : si en effet notre pays ne compte que 941 communes de plus de 10 000 habitants, les CCDF concernent toutes les communes et donc le « décollage » revendiqué concerne un passage de 0,083 % à 0,283 % des communes : quelle prouesse !! Mais surtout le ridicule de cette annonce sur un prétendu décollage n’apporte rien, le contraire eût été étonnant compte tenu des travaux du Conseil d’analyse stratégique évoqués plus haut) sur la portée de ces avancées . Il n’y a donc dans les annonces d’aujourd’hui que des effets factices … et la confirmation d’une certaine vacuité…
Soyons sérieux néanmoins : entre l’approche bêtement sécuritaire (comme on le voit avec ce bilan ridicule) et l’approche laxiste (revendiquée par quelques-uns), il existe, en matière de délinquance, une approche équilibrée, rationnelle et humaniste, que l’on trouvera d ans de nombreux travaux d’experts, tant ceux qui sont consacrés à la prévention situationnelle, que ceux qui sont consacrés à des approches légalistes et individualisées (voir par exemple l’excellent ouvrage de mon ami Dominique Youf, Juger et éduquer les mineurs délinquants, Dunod, 2009)
Daniel GACOIN
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