Un envahissement
« Il va falloir clarifier et modifier votre gouvernance, c’est devenu obligatoire depuis la loi HPST »… « une bonne gouvernance sera un facteur de cohésion »… « il va falloir s’adresser au Bureau de la gouvernance du secteur social et médico-social »… « le secteur social et médico-social doit repenser ses modes de gouvernance »… « la nouvelle gouvernance dans le secteur médico-social, c’est avoir la bientraitance et la participation des usagers comme axes de performance »…
Depuis quelques années, toutes ces expressions fleurissent, certes avec une grande satisfaction des utilisateurs pour ce terme qui apparaît comme « conceptuel », mais, j’en suis désolé, qui est employé à tort et à travers, sans même que les utilisateurs sachent même le définir exactement. Souvent, le terme est employé de manière erronée…
… par exemple quand il s’agit de parler uniquement, certes avec un terme chic, d’un gouvernement (national ou d’une organisation) en décrivant ses « instances formelles de décisions politiques et stratégiques » (règles de fonctionnement d’un conseil d’administration, d’une assemblée générale, pouvoirs d’un président etc.),
… ou, autre exemple, quand il s’agit de parler de nouvelles formes de pilotage, comme dans les« réorganisations des pouvoirs publics pour la gouvernance du social et du médico-social », avec notamment la mise en place des ARS. Pour ce dernier exemple, la gouvernance déguise en réalité une direction plus affirmée, un contrôle accru d’exigences (de performance, d’efficience ou financières) plus actives, l’organisation d’une dynamique concurrentielle, le tout étant habillé avec quelques instances où sont présentes certaines parties prenantes (essentiellement les usagers), mais ce créant pas une participation à la décision ou le maintien d’un « néo-partenariat » (le terme est de Michel Chauvière) entre décideurs et opérateurs.
Cet usage immodéré et erroné du terme « gouvernance » prend sa place dans l’avancée de nouvelles formes de management (du niveau global et gouvernemental au niveau local dans chaque structure) où est attendue une plus grande performance, non par la décision autoritaire, mais par la recherche d’une forte participation, implication, autoformulation des contraintes (performances, moindre coût, mutualisation, bientraitance, etc.) par les acteurs (agents, salariés) eux-mêmes. Cette inscription dans un nouvel univers managérial public explique en partie les procès qui peuvent être faits au concept de « gouvernance » lui-même
Un terme à multiples facettes
J’ai déjà évoqué dans ce blog, dans un article de 2006 (cliquer ici pour y accéder) et un autre de 2007 (cliquer ici pour y accéder) les autres raisons de cet usage immodéré et erroné.
D’abord, le terme a de multiples facettes, par son origine :
française au départ (la « gouvernance » comme mode de gouvernement, dès le XIIIe siècle dans les provinces et les baillages),
puis anglaise (mode d’organisation du pouvoir féodal),
puis après une longue éclipse, américaine (la reprise du terme de « governance » en 1930 comme mécanisme entre firmes pour assurer une coordination efficace des échanges),
et enfin universelle (dès les années 1970, il s’agit d’uns approche visant la façon de gouverner en associant au pouvoir, voire en partageant le pouvoir).
Ensuite, le terme est associé à des intentions, à des philosophies très différentes ,chez ses utilisateurs (voir Pascal Lamy, in « La gouvernance, utopie ou chimère », Revue Études, Février 2005). On trouve par exemple :
- la recherche d’un contrat social d’un nouveau type,
- l’habillage « de manière soft » d’une direction au service de l’économie libérale (privatisation, loi du marché, dérégulation et abandon de l’Etat-nation),
- l'ambition de certaines élites (plutôt de gauche) de revendiquer un nouvel art de gouverner (entre la conduite affirmée, l’écoute et l’association aux décisions),
- la volonté pour lutter contre un « big governement », par multiplication de strates intermédiaires de décision,
- la recherche (gauchiste selon certains) de modification des organisations dites autoritaires pour justifier uniquement une inflation d’instances et bureaucraties nouvelles…
Mais surtout, cet usage immodéré et erroné est lié au fait que le concept, et donc les pratiques, de « gouvernance » comportent trois dimensions différentes et nécessairement articulées :
- D’une part, la clarification et la lisibilité des instances chargées de formuler des orientations ou des commandes.
- D’autre part, le fonctionnement concret autour de l’harmonisation et de l’association aux décisions, entre participation et recherche de compromis, avec implication des acteurs dans des modes de mises en œuvre des décisions prises.
- Enfin, une philosophie visant avancées ou progrès (social ou des organisations) sans règlement unique par décision autoritaire, mais avec participation ouverte aux débats internes et externes.
Mon souhait
De fait, il me semble nécessaire que chacun, mettant en avant le terme ou des pratiques de « gouvernance », s’attache non pas à formuler un des aspects de cette approche, mais les trois dimensions ensemble et articulées.
Dans la pratique, l’approche peut s’inspirer de la philosophie énoncée par Jürgen Habermas : « l’éthique de discussion ». Celle-ci vise à mettre en avant une implication systématique des acteurs, non dans les décisions d’orientations ou de normes, mais dans l’exploration des modalités concrètes de ces décisions ou normes. Pour le secteur social et médico-social, tant au niveau des instances de pilotage que des organisations elles-mêmes, ceci passe notamment par :
- Des travaux sur les diagnostics associant toutes les parties prenantes,
- Des décisions / orientations partant de ces diagnostics,
- Des instances participatives pour explorer toutes les dimensions pratiques des mises en œuvre.
Je souhaite ainsi qu’à chaque fois qu’une instance (direction d’association, de structure hospitalière, pilote d’une politique territoriale ou nationale) se réfère à une « gouvernance ou à une nouvelle gouvernance », elle détaille : les instances et règles formelles de décision politique ou stratégique, les modalités de participation aux décisions (instances partagées pour des diagnostics, instances partagées et participatives de travail sur des plans d’action), les modalités et l’état d’esprit du débat interne en vue de la construction d’un esprit commun.
Pour ce secteur social et médico-social, il est clair que, malgré la généralisation de l’usage du terme de « gouvernance », nous nous éloignons en pratique de ces souhaits.
Daniel GACOIN
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