La RGPP, une approche qui suscite de très fortes oppositions…
Depuis que le gouvernement français, en 2007, a voulu dépasser le cadre habituel de la réforme du service public (via des programmes de modernisation et d’évaluation) pour lancer un programme de Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP), il a mis le doigt sur un processus qui s’emballe régulièrement…
> La RGPPP est dotée de nombreuses vertus par ses promoteurs : démarche globale visant une optimisation des fonctions de l’État avec des outils modernes et lisibles de pilotage, démarche efficace pour régler le mal administratif et adapter les missions de l’État aux défis du XXIe siècle,
> La RGPPP est pour ses détracteurs une hydre symbolisant l’avènement du néolibéralisme au sein de l’État : elle consacre la promotion, préparée depuis de nombreuses années, du tournant néolibéral de la gestion de l’État par ouverture à la concurrence, culte de la performance, réduction des dépenses.
… qui nécessite de rappeler les principes de cette réforme…
La RGPP est officiellement construite sur un principe simple : examiner la réalité de la mise en œuvre des politiques publiques dans les administrations centrales et déconcentrées de l’État (dans une première étape, neuf ministères, cinq grandes politiques, dont les solidarités, la gouvernance des finances publiques, et leurs fonctions supports) à partir d’un audit posant les questions suivantes : que faisons-nous ? Quels sont les besoins et les attentes collectives ? Faut-il continuer à faire de la sorte ? Qui doit le faire ? Qui doit payer ? Comment faire mieux et moins cher ? Quel scénario de transformation ? Une première étape s’est réalisée en 2007-2009 (300 mesures engagées avec un suivi dit « minutieux »), une nouvelle étape a démarré pour 2011-2013 avec 150 nouvelles mesures.
… et les 3 engagements de la RGPP
La RGPP est organisée autour d’engagements, déclinés ensuite en objectifs opérationnels. Trois engagements sont ainsi mis en avant :
> Améliorer la qualité de service rendu aux usagers : un objectif de 8 usagers sur dix satisfaits, sur des axes opérationnels comme créer des guichets uniques, améliorer l’accueil des citoyens dans les services publics, réduire les délais de traitement/d’attente, traiter les réclamations, ou encore dématérialiser les démarches.
> Réduire les dépenses publiques : un objectif de dix milliards d’euros d’économies en 2013 (après les 7 milliards économisés de 2007 à 2009), répartis en 3 milliards d’euros pour la masse salariale, 2 milliards d’euros en fonctionnement et 5 milliards d’euros en dépenses d’intervention.
> Poursuivre la modernisation de la Fonction publique et valoriser les initiatives des agents : l’État, premier employeur de France, devrait devenir le meilleur employeur de France, par la mise en place de la rémunération au mérite et de la réduction du nombre de corps, le reversement aux agents de la moitié des économies générées par le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux.
Mes réflexions…
Depuis que j’examine ces questions, je tente de garder un positionnement constant dans cette affaire.
> Sur le principe (celui de se donner des objectifs lisibles dans le pilotage des missions et la modernisation des services publics), je suis plutôt favorable à une démarche modernisatrice. J’émets néanmoins une condition : que cette réforme ne soit pas une révision des politiques ou, plus exactement, un changement de politiques décidées démocratiquement. Malheureusement cette condition n’est pas respectée dans les faits. Et bien sûr, je pense qu’il est nécessaire de discuter, point par point, les objectifs adoptés.
> Dans les modalités, je suis en revanche effaré par le tour pris par cette affaire, avec des objectifs qui sont souvent clinquants, des audits ou examens de résultats apparents qui sont établis de manière nébuleuse, et surtout des agents qui subissent une réforme sans apporter leurs compétences, tant en termes de diagnostics opérationnels qu’en modalités de réalisation des objectifs. Je crains à terme une avancée vers un effet « France Télécom » (changements stratégiques permanents, absence de perception du terrain chez les décideurs, managers de proximité envahis par des impératifs de performance changeants et stressants, modalités harcelantes de vie dans les services) et son processus de gestion concrète par évitement (une organisation bien rôdée pour faire apparaître des chiffres satisfaisants, totalement arrangés pour la vitrine). Je crains également l’effet d’une recherche d’économies pressant les agents de la fonction publique (faire toujours plus d’efforts), confrontés par ailleurs à des politiques non maîtrisées (le soutien des banques sans réelle contrepartie lors de la crise de 2008, etc.) ou à des politiques fiscales avantageuses pour les plus favorisés sans réelle contrainte : par exemple 7 milliards d’économies via la RGPP pour 14 milliards de recettes en moins via la loi TEPA.
Je suis très interrogatif sur les contenus et méthodes pour élaborer les constats et les objectifs : un plan de rigueur peu lisible, une méthode autoritaire et en petit comité, changeant parfois les politiques officielles. Et surtout, dès aujourd’hui, je constate un énorme effort en « com » pour mettre en avant des résultats apparemment extraordinaires.
… et la preuve de mes interrogations…
Précisément, les documents officialisés en juin 2010 par le Conseil pour la modernisation des politiques publiques (CMPP) font la preuve de la tendance à mettre en avant de beaux résultats. Je vous propose tout d’abord de lire le rapport public (disponible sur le site de la RGPP en cliquant sur le lien suivant) de juin 2010 recensant une amélioration continue sur des indicateurs : Ainsi est présenté un tableau de synthèse, montrant des clignotants qui, sur une série de contenus, virent de plus en plus au vert :
Évidemment, tout cela est très beau, mais dépend de ce que l’on met dans les clignotants et de la manière avec laquelle on évalue les contenus. L’ensemble du rapport montre ainsi, avec des « éléments de langage » particulièrement bien arrangés et « une novlangue » saisissante : des informations apparentes mais construites essentiellement pour démontrer que « tout va bien grâce à la RGPP… qu’il faut poursuivre pour atteindre demain la perfection ! ».
Un bel exemple de la novlangue et de ses éléments de langage
En marge du rapport, les pouvoirs publics ont publié un petit cahier intitulé : « la RGPP produit des résultats concrets » (cliquer ici pour y accéder). Le document est sidérant : tout est ainsi merveilleux, dans le meilleur des mondes !! Je me suis intéressé aux items qui peuvent concerner les questions sociales. Ainsi :
> Pour le Guichet unique de l’emploi, selon le document tout va bien dans le cadre de la fusion des Assedic et de l’Agence nationale pour l’emploi, créant ainsi Pôle Emploi avec 60 sites d’accueil de plus. L’appréciation s’appuie sur des chiffres repris dans un exemple, sans utilisation de méthodes évaluatives sérieuses ni intégration de la parole des parties prenantes (demandeurs, agents),
> Pour l’accès plus direct au service public par des démarches en ligne, des chiffres d’utilisation sont cités (15 000 visiteurs par jour sur « mon.service-public.fr ») et mis en relation, sans aucune preuve, avec des réductions de délais d’attente, eux mêmes mis en relation avec plusieurs chantiers, je cite, de « réingénierie des processus » ou de « lean management » consistant à analyser l’organisation et les méthodes de travail d’un service pour en améliorer les résultats. On énonce des idées, ne présente aucune réalité sérieuse sauf des présentations du type « le temps d’attente aux urgences a baissé de 28 % dans un CHU où la démarche RGPP a été appliquée ». Aucune approche scientifique et sérieuse pour attester de la relation de cause à effet.
> Ainsi, pour l’amélioration de la qualité de l’accueil dans des services de l’État, sont évoqués trois départements pilotes qui ont atteint, je cite, « en trois mois un niveau de qualité de service exemplaire dans l’ensemble des services de l'État qui accueillent du public » : respect des engagements du référentiel Marianne comme le traitement des courriers en moins de quinze jours ou la prise en charge des appels téléphoniques en moins de cinq sonneries !!
> Pour la maîtrise des dépenses publiques, le document devient beaucoup plus précis, mais avec des exemples parcellaires et une appréciation globale : « avant la RGPP les coûts de fonctionnement de l’État n’avaient cessé d’augmenter, avec la RGPP la tendance a pu être inversée ». Suivent des énoncés de petites luttes concrètes contre des gaspillages ou utilisations de moyens publics, dont la mutualisation des achats, l’arrêt de certaines missions qui entrent dans le champ concurrentiel.
> Le développement de systèmes de répartition des moyens en fonction de l’activité et de la performance est présenté avec l’exemple des universités, visant notamment à les financer équitablement sur la base de la réalité de leur activité.
> Le must dans le document est le chapitre sur « une fonction publique moderne et motivée ». Ainsi, les « économies du non remplacement de fonctionnaires reversées en moitié aux agents »… y sont l’exemple parfait du déguisement : certes 0,5 milliards auraient été reversés aux agents, mais c’est très loin de la moitié des économies réalisées (2 milliards a priori, quoiqu'aucun chiffre sérieux ne soit avancé) et cela n’a été réalisé que dans les administrations montrant des résultats et sur un principe de mérite individuel (des critères nébuleux : je crains les primes versées surtout aux responsables de service). La « nouvelle politique des ressources humaines au service des agents » est un autre exemple : à part des réformes structurelles (création de cellules d’appui à la GRH, réduction du nombre de corps, mise en place de directions départementales interministérielles), il reste des mesures basées sur la performance (l’entretien de notation, certes remplacé par un entretien d’évaluation, permet de justifier la rémunération en fonction de résultats, endossée par l’agent lui-même) et le développement de la mobilité.
Derrière le catalogue et la novlangue, on perçoit malheureusement l’absence de politique publique (notamment en matière sociale, puisque des lois sont votées et non réellement mises en application : je pense aux lois généreuses de 2005 et de 2007, largement incantatoires) plutôt qu’une réelle modernisation des services publics. Les finalités et la méthode de réforme semblent totalement à reprendre pour rechercher moins d’effets d’image, des diagnostics plus sérieux, des objectifs davantage travaillés avec les agents, des clignotants utiles et sérieux, une lisibilité effective des résultats constatés, non réarrangés.
Daniel GACOIN.
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