.
Depuis mai , de nombreux
commentaires ont fleuri dans la presse spécialisée (ou grand public), sur une réforme voulue par Benoît
Apparu, secrétaire d’État à l’Urbanisme et au Logement,
au bénéfice des
personnes sans domicile (SDF) et consistant à déployer, dans chaque département,
des services intégrés de l'accueil et de l'orientation (SIAO). Pour le
commun des mortels, c’est un peu nébuleux, pour les professionnels ou spécialistes
de l’action sociale, cela peut parler davantage.
Une nécessité de réforme…
Dans chaque département, un dispositif de veille sociale existait depuis
1998, chargé d'accueillir et d'orienter les SDF : Samu social, mais également
associations tournant la nuit (maraudes) pour porter secours aux personnes
dormant dans
la rue. Mais comme chacun s'appuyait sur sa propre
maraude ou ses propres centres d'hébergement, il n’existait pas vraiment de
coordination : des sans-abri pouvaient (peuvent encore) se voir refuser un
hébergement quand des places sont disponibles dans le département, simplement
parce que l'association à laquelle ils s’étaient adressés l'ignorait ou ne
savait pas où se trouvaient ces places.
… traduite par une idée simple…
Avec la réforme, est prévu un dispositif coordonné d'orientation pour
toute personne sans domicile, chargé d’organiser son parcours vers le
logement : pour chaque personne, une réponse adaptée, du premier accueil à
une orientation vers l'hébergement ou l'accès au logement. Ce dispositif (le
SIAO) aura plusieurs objectifs :
- simplifier les démarches d'accès à l'hébergement ou au logement
(ordinaire ou adapté) pour les personnes sans domicile fixe ou risquant de
l'être, et simplifier l'intervention des travailleurs sociaux qui les
accompagnent ;
- traiter avec équité les demandes en s'appuyant sur la connaissance des
disponibilités de l'ensemble de l'offre existante et orienter la personne
en fonction de ses besoins et non seulement en fonction de la disponibilité de
telle ou telle place ;
- coordonner les différents acteurs et améliorer la fluidité hébergement
- logement ;
- participer à la constitution d'observatoires locaux, afin de mieux
évaluer les besoins et les réponses apportées.
Il est prévu que le Préfet choisisse un (ou deux) opérateur(s) unique(s)
sur son département, après concertation locale, avec un GIP (groupement
d'intérêt public), ou une association ou un groupement d'associations,
opérateur(s) qui serai(en)t lié(s) à l'Etat par une convention et devrai(en)t
assurer et bien coordonner deux niveaux de prise en charge : « l'urgence » (accès aux
structures, suivi des situations chroniques, articulation des interventions,
attention aux personnes ne faisant pas de demandes) et « l'insertion » (guichet unique à l’hébergement
d‘insertion, gestion des places d’accueil disponibles, orientation vers le
logement adapté ou le logement ordinaire).
… et par une réalité…
Le dispositif de veille sociale antérieur (plateforme d'accueil, comité
départemental de veille sociale), assurant la coordination des acteurs
impliqués dans l'urgence sociale est maintenu, mais réorienté : avec le
115, un ou des accueils de jour, une ou des équipes mobiles et un ou des
services d'accueil et d'orientation, il devra fonctionner sans interruption
pour « accueillir les personnes sans abri
ou en détresse, procéder à une
première évaluation de leur situation médicale, psychique et sociale et les orienter vers les structures ou
services qu'appelle leur état ».
Mais plus globalement, le SIAO coordonnera les propositions et
l’accompagnement du parcours pour toute personne qui en a besoin, avec accueil,
évaluation, mise à l'abri si nécessaire et orientation vers un hébergement ou
un logement adapté ou non. Et il coordonnera la gestion globale et l'attribution
des places d'urgence et d'insertion (et/ou de logement adapté).
… idée qui, dans son principe, a été
bien accueillie…
Les principes fondateurs de la réforme ont été
validés par tous les opérateurs de l’action sociale :
- Inconditionnalité de l'accueil et
la continuité de la prise en charge (garantie pour chaque personne et famille
sans domicile fixe ou risquant de l'être, ayant besoin d'un hébergement, de la
possibilité d'y accéder, en urgence si nécessaire, et d'y demeurer jusqu'à son
orientation vers une proposition adaptée),
- Principe du « logement d'abord »
(chaque personne ou famille accueillie dans un hébergement ne doit y rester que
le temps nécessaire et doit pouvoir accéder au logement dans les meilleurs
délais dès lors qu'elle y est prête),
- Accès au service public (toute personne doit pouvoir trouver un
service de l'accueil et de l'orientation en tout point du territoire, sans
discrimination, avec une réponse à ses besoins).
Les objectifs assignés aux SIAO ont
également été approuvés : notamment l’idée d’une vraie coordination des
actions, d’un accès véritable à un parcours, d’une nécessaire veille et
observation sociale, le développement d’une offre de logement d’insertion, (dont
le logement de transition ou adapté). Enfin, les modalités annoncées ont
également été accueillies avec intérêt :
- L’annonce d’une large
concertation avec l'ensemble des associations parties prenantes au SIAO et avec
les partenaires institutionnels (collectivités locales, bailleurs sociaux, acteurs
du logement adapté notamment), en lien avec les services de l'État chargés du
logement pour aboutir à la désignation consensuelle d'un opérateur unique ou de
deux opérateurs,
- L’annonce également des crédits dédiés à hauteur de 5,9 millions
d'euros via les directions régionales de la jeunesse, des sports et de la
cohésion sociale pour la mise en place de ces SIAO. À noter, il s'agit d'une « enveloppe d'amorçage, non reconductible,
qui pourra selon les besoins, financer l'émergence ou le renforcement de la
fonction de coordination et d'animation du réseau des partenaires du
département » et non financer les moyens des évaluations et des
accompagnements.
- Le calendrier lui-même. Il a semblé être la marque d’un réel
engagement de l’État. Du vote d’un amendement sénatorial dans une loi initiale
(loi du 25 mars 2009 dite loi Boutin), ayant intégré les SIAO dans un nouvel
article (L.345-2) du code de l'action sociale et des familles (CASF) au
déploiement d’une stratégie officielle et complète (stratégie 2009-2012) par B.
Apparu et au calendrier final (mise en place des SIAO en septembre 2010), tout
semblait s’annoncer sous les meilleurs auspices.
Et pourtant… des protestations
nombreuses aujourd’hui
Des insatisfactions se sont
exprimées ces 3 derniers mois, étonnantes de prime abord compte tenu de l’accueil
initial de la réforme. Malgré son ambition (un
service public de l’hébergement et de l’accès au logement), la réforme, menée
dans un contexte budgétaire extrêmement tendu (baisse des subventions et ou
nombre de places d’accueil), provoque de nombreuses tensions.
Elles
sont d’abord locales et institutionnelles : le principe de départ
d’une construction des SIAO avec « une véritable concertation locale »
sans imposition par
l'Etat ne semble pas être aussi évident sur le terrain avec de réelles frustrations
et rivalités. Mais les principales tensions
sont surtout politiques : « malgré la bonne volonté du ministre,
cette réforme est mal engagée parce qu’elle n’est pas reprise comme une
priorité du gouvernement » selon Nicole Maestracci, présidente de la
Fédération Nationale des Associations d’Accueil et de Réinsertion Sociale
(FNARS), Plus précisément quatre critiques sont avancées :
- Des budgets peu transparents et qui
seront insuffisamment assurés, y compris les enveloppes de création des SIAO,
dans un contexte de réduction budgétaire forte et annoncée par avance,
notamment pour le soutien, après modernisation des centres, d’un réel volume de
places d’accueil. À quoi servirait une coordination si les places d’hébergement
et en logement sont insuffisantes ? La mission du SIAO risquerait de se
limiter, à terme, à gérer la pénurie de places en faisant le tri dans
l'orientation. Toujours sur ce même registre, le nombre de salariés (financés
par les budgets publics) pour animer les SIAO reste inconnu : il est prévu
dans la dernière circulaire de l’État une rationalisation
des dispositifs existants pour permettre un redéploiement des crédits (en
provenance des centres d’accueil ?) au profit des SIAO…
- La version actuelle des SIAO serait diluée par rapport
aux ambitions initiales, avec une confusion dans la définition de ses missions,
et, au bout du compte, une « version a minima »,
- La question de l’observation sociale et de
ses supports pose de nombreuses interrogations, notamment l’outil de cette
observation sociale. La FNARS
souhaitait en effet que soit rapidement adopté le « logiciel ProGdis 115 »
(utilisé par cette même FNARS qui anime l'Observatoire
national du 115), mais l’État a choisi de lancer un appel d’offres pour un
outil à venir en… 2012, ce qui va rendre peu compatibles les différents outils
utilisés entre plates formes et pour un certain temps. Mais surtout les
associations redoutent, au-delà de solutions onéreuses et peu efficientes, la création
de fichiers nominatifs des sans-abri alors que ProGdis 115 permet dès aujourd’hui une utilisation avec une
adaptation minimale et préservant l’anonymat des bénéficiaires.
- Le calendrier lui-même tel qu’il
a été fixé pour la mise en œuvre de la réforme (les SIAO en place dès le 15
septembre 2010) est jugé totalement irréaliste.
… que je ne peux que relayer
Une
première question se pose, selon moi, dans ce contexte, qui concerne la mise en
danger d’une stratégie explicite, d’une volonté parlementaire affirmée, par des
pratiques de gestion (surtout faire des économies) qui interroge (d’un côté, on
limite, on rogne des crédits au nom de l’efficience économique, de l’autre on
prévoit une forme de mise en concurrence pour un outil informatique dispendieux
et peu pratique, éventuellement peu assuré sur un plan éthique). Je dirais que
nous sommes ici, une nouvelle fois, dans une forme d’application de l’esprit de
la Révision Générale des Politiques Publiques : une apparente rigueur de
gestion, mais peu crédible finalement (souvent de type « deux poids, deux
mesures ») et une absence de respect des politiques publiques.
Ma
deuxième question est davantage liée à la complexité de ce qui est prévu dans
chaque département (un dispositif de veille sociale maintenu, coordonné par un
SIAO avec deux opérateurs, le tout pouvant se développer dans la concurrence
même si l’objectif est une coordination)… Finalement la bonne idée va devenir
si compliquée qu’elle nécessitera une simplification à terme : un meilleur
contrôle et une centralisation (portée par l’idée des guichets uniques) et donc
un retour en arrière à prévoir. J’ai d’ailleurs interrogé dès le départ la
pertinence d’une superposition entre dispositif 115 et dispositif SIAO.
Daniel GACOIN
Les commentaires récents