Il est courant d’évoquer, depuis plus de 20
ans, une évolution forte des modes de direction au sein du secteur social et
médico-social. Dans ce secteur en effet, les directeurs ne sont plus des
acteurs centrés sur la clinique sociale ou éducative, les modes
d’accompagnement, la présence forte sur les lieux et les temps de prise en
charge, la proximité du terrain, l’animation quotidienne des équipes.
Une évolution managériale s’est en effet développée dès
les années 1990, au point
de devenir envahissante aujourd’hui… Elle se
manifeste dans 4 axes forts, qui deviennent des points de passage obligés, pour
l’activité de tous les directeurs.
Pour la logique de projet :
l’activité des directeurs va se centrer, certes sur des projets institutionnels
avec le double objectif de formulation des orientations et de participation des
professionnels (et des usagers) à l’expression de modalités pratiques de mise
en œuvre, mais également dans une logique, dans un cadre concurrentiel, de
réponses aux sollicitations ou injonctions des pouvoirs publics (moins
d’initiatives et d’innovations, plus de formalisations, un temps réduit pour
les réponses aux injonctions).
Pour la logique structurelle :
deux dimensions occupent l’activité des directeurs. La première est
interne : normalisation, mode de participation avec valorisation d’équipes
de direction mais également de postes de coordination qui dépassent les
logiques-métiers, mutualisations de moyens au sein de dispositifs devenus plus
complexes, suivi des activités par tableaux de bord, mise en place de méthodes
de gestion des ressources humaines, dont la gestion prévisionnelle des emplois
et des compétences. La deuxième dimension est externe : il s’agit tant de
la dynamisation des coopérations (avec implication des directeurs) que des
démarches de regroupements, rapprochements, voire fusions (en lien avec les
instances politiques de l’organisme gestionnaire).
Pour la logique de garantie et d’efficience : la démarche des directeurs regarde des modes de construction des projets
personnalisés et de la participation des usagers, mais également la mise en
place des évaluations (interne, puis externe) avec des temps d’élaboration
(objectifs, ou référentiels, ou cadre évaluatif), puis de regard sur les
pratiques, puis de construction et suivi des améliorations dans les activités
et les pratiques. Les mots d’ordre dans ces approches : la lisibilité des
actions et de leur impact, la participation (professionnels et usagers) aux
démarches, l’engagement dans des améliorations.
Pour la logique contractuelle :
l’évolution globale (New Public Management oblige) indique une action des
directeurs ou directions des organismes gestionnaires pour construire des
engagements formalisés entre les pouvoirs publics (les autorités de contrôle et
de tarification) et les établissements ou services sociaux ou médico-sociaux
autour de contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM). Ces « CPOMisations » (l’expression
n’est pas de moi !) sont particulières : obligations à terme (au
moins pour les structures d’une certaine taille), constructions complexes (avec
des possibles engagements inter-établissements, inter-secteurs,
inter-associatifs, via des regroupements), démarche intégrant la participation
des professionnels et plus globalement des « parties prenantes »
(usagers, partenaires), relative hypocrisie (les pouvoirs publics s’engagent
sous réserve d’une possibilité de moyens à venir), engagement dans des
réalisations (une responsabilité des directeurs) avec la contrepartie de la
souplesse dans les modes de gestion.
Des conséquences…
Le prolongement de tous ces nouveaux
repères ? La perte de contact avec le terrain, une gestion du temps très
tendue, des nécessités pourtant de garder du temps pour concevoir des
orientations ou des modes d’animation, l’appui sur des personnes ressources,
l’appui sur des méthodes nouvelles au risque de la standardisation.
… et des conseils
Dans ce contexte, il me semble judicieux
d’indiquer aux directeurs quelques pistes pour tenir la route :
- Garder, dans son emploi du temps, du temps de vraie disponibilité pour écouter, comprendre, tenter de saisir, être attentif aux questions de terrain, aux réalités vécues,
- Se garder du premier piège du management stratégique : une apparente rationalité (formuler des orientations raisonnées à partir des contraintes et opportunités), mais en réalité des plans d’évolution structurelle qui changent tout le temps, qui donnent même le tournis aux cadres de proximité et aux équipes de terrain. La conséquence pour pallier ces risques : se tenir à une certaine constance (le cadre des plans à 4 ou 5 ans paraît le meilleur des horizons), ce qui signifie avoir suffisamment réfléchi avant de poser des orientations nouvelles. Je note que les pouvoirs publics sont loin d’aider à cette constance…
- Se garder du piège du langage « abscons » (directeurs ne parlant plus que « structure », « management », « plans et objectifs », « méthodes standardisées ») ou du langage « éthico-managérial », mais garder a contrario des mots simples, accessibles à tous.
- Assumer les exigences et les décisions : il est en effet courant de voir des directions engagées dans une tentative paradoxale, consistant à faire travailler des équipes à formuler ou inventer les contraintes qui sont pourtant formulables en amont et par les directions. À cette forme paradoxale de recherche de l’auto contrainte, je préfère la décision claire, lisible, par la direction, et la collaboration / participation des acteurs aux modalités concrètes de mise en œuvre.
- Sortir de la vision unique de la résistance au changement : le langage courant des cadres et des directions est envahi en effet par une lecture unilatérale où les difficultés de mobilisation des équipes seraient dues essentiellement à une « résistance au changement ». Le prolongement de cette vision unique, c’est une défiance, voire un mépris à l’égard des réalités des professionnels, regardés parfois comme des wisigoths ou des demeurés, incapables de comprendre ou d’accepter des orientations stratégiques, alors même que cette vision fait l’impasse sur les contradictions successives dans les stratégies, la faiblesse de la communication sur les directions à prendre et le flou de ses contenus. Je note que les pouvoirs publics contribuent fortement à ce mépris : il suffit d’observer les propos récents et la faible attention aux réalités de terrain des deux Secrétaires d’État impliquées dans le secteur social et médico-social pour le constater. Les trois pistes essentielles à travailler : sortir de l’incantation auprès des professionnels à accepter une adaptation perpétuelle à un changement permanent, regarder les modes de communication et d’animation des directions, avoir une véritable estime, manifestée, dans la valeur des hommes.
- Croire aux projets, être engagé autour des modes d’accompagnement et de prises en charge : à l’interne (équipes, usagers, entourage), à l’externe (partenaires, pouvoirs publics), il me semble qu’il encore nécessaire et utile de trouver des directeurs fiers et investis dans l’offre de service, les projets et réalisations et pas uniquement engagés orgueilleusement dans la mise en avant de méthodes managériales.
- L’anticipation des démarches stratégiques : une évaluation, une démarche de projet institutionnel, un calendrier de réalisation des projets personnalisés, un CPOM, par exemple, c’est concrètement du temps (10 jours d’élaboration avec des groupes de travail pour un projet, au moins 10 jours de travail collectif pour une évaluation, plus les temps d’écriture de documents, etc.). Plus clairement : toute institution devra à terme consacrer au moins 15 jours de travail collectif aux grands travaux stratégiques (CPOM, évaluation, projet, forme d’organisation). Impossible de résoudre ce challenge (en équivalent temps plein, toutes ces démarches peuvent être chronophages, au moins un ETP par an) sans une programmation rigoureuse, donc sans une anticipation.
Daniel GACOIN
Votre présentation selon ces 4 axes est intéressante.
En tant que représentant des usagers, pour minimiser les écueils éventuels des 4 « points de passage obligés", je résumerai nos attentes ainsi : il est indispensable de bâtir des projets avec l'objectif principal d'améliorer la qualité du service rendu aux usagers tout en étant conforme à la réglementation et surtout pas le contraire.
Si les choses sont en effet en train de changer, encore trop de projets d'établissement basent leur légitimité essentiellement sur un engagement préalable de conformité à la réglementation.
En termes de communication, et notamment vers les équipes, l’engagement au plus haut niveau n’est pas du tout perçu de la même façon.
Pascal TREFFOT
Rédigé par : Pascal TREFFOT | 25 juin 2010 à 10:58