J’ai déjà présenté dans ce blog des exposés des travaux d’Esther Duflo
(voir en cliquant ici mon billet de mai 2009), notamment ses leçons au Collège
de France. Cette Française de 38 ans
figure
dans la liste des cent intellectuels mondiaux les plus marquants établie par la
vénérable revue Foreign Policy. Professeure d’économie au Massachusetts Institute of Technology (MIT, Cambridge, Etats-Unis), est une spécialiste
de l'économie du développement et pionnière dans la méthode des évaluations
aléatoires en économie. Elle a reçu de nombreux prix
en économie, alors qu’elle occupe une discipline peu prestigieuse pour les
économistes (économie du développement). Elle a été élue pour inaugurer, à 37 ans, la chaire internationale « Savoirs contre pauvreté » au Collège de France, créée en partenariat
avec l'Agence française de développement (AFD). Enfin, elle vient de recevoir la médaille John Bates Clark
2010, distinction prestigieuse et véritable porte
d’entrée vers le « prix Nobel » d'économie.
Je vous propose de prendre connaissance
avec une synthèse de ses travaux, dont les 4 grandes conférences au Collège de
France, à travers deux ouvrages parus en Janvier 2010, au Seuil, dans la
collection La République des Idées, sous le titre « Lutte contre la pauvreté, 1 et 2 ». C’est très facile à
lire, court, concret :
> Un
premier tome s’intitule « Le développement humain » : concrètement,
énonçant que le fait d’assurer santé et éducation aux
citoyens est trop crucial pour être abandonné au hasard des circonstances, elle
propose une technologie de l’évaluation (tester les politiques en comparant les
prix et les effets) utilisant une sélection aléatoire d’échantillons tant pour
le groupe témoin que pour le groupe traité. Elle utilise cette approche en
matière d’éducation avec des résultats iconoclastes établis par des faits (des
motivations et responsabilisations). En matière de santé, elle tourne le dos aux querelles idéologiques et aux théories péremptoires,
développe sa méthode pragmatique d'évaluation aléatoire pour peser l’efficacité
possible des pratiques : par exemple la vaccination sera plus efficace
dans un pays en voie de développement, non par une organisation bureaucratique
structurée, mais par un travail sur la motivation (distribution parallèle de
sacs de lentilles gratuits).
> Le
deuxième ouvrage s’intitule « La politique de l’autonomie » : elle reprend ses travaux sur les questions de gouvernance et de
corruption et l’application de son approche
pragmatique : une étude sur 3 méthodes de lutte contre la corruption et leur
efficacité (on aimerait voir ces approches développées en France), une étude
sur l’efficacité de nouveaux modes de gouvernance (l’efficacité démontrée de la
participation populaire, l’efficacité démontrée des quotas en discrimination
positive). Une autre partie de l’ouvrage présente ses travaux sur l’efficacité
du microcrédit. On sort des sentiers battus, des grandes envolées lyriques,
approches théoriques ou mots d’ordre incantatoires. Le résultat : le
microcrédit n’est pas la recette miracle contre la pauvreté, le microcrédit est
même plus adapté pour financer des activités familiales que des entreprises
créant des emplois, l’utilité du microcrédit est effective mais modeste, le
développement d’un secteur salarial (industriel et de service) doit rester une
priorité économique pour les États pauvres, sans croyance dans des transferts
miraculeux, via le microcrédit, vers des organisations coopératives, certes
responsabilisantes et collectives, mais à l’efficacité globale limitée.
Je continue à apprécier l’approche modeste, mais sérieuse et
rigoureuse prônée par Esther Duflo : «Je souhaite pratiquer une
économie comme une vraie science humaine. Une science rigoureuse, impartiale,
sérieuse, mais une science de l'homme, avec la reconnaissance de toute son
imperfection et sa complexité. Une science qui soit humaine, humble et
condamnée à l'erreur, mais aussi généreuse et engagée.» (Esther Duflo,
Leçon inaugurale au Collège de France «Expérience, science et lutte contre la
pauvreté», 8/01/2009)
La sortie des grands discours,
l’accumulation des petites expériences, en tentant de toujours améliorer, avec
pragmatisme, l’efficacité des actions, voilà une belle leçon, non seulement
pour les questions de développement mais également pour toutes les questions sociales
et médico-sociales.
Daniel GACOIN
PS 1 : Pour parfaire vos connaissances
sur le micro crédit, je vous propose de lire :
- l’enquête Novethic 2009 (cliquer ici pour accéder au site) sur l’investissement
solidaire et responsable, avec le constat d’une forte
augmentation de ces investissements en 2009
- l’enquête Finansol La Croix 2009
(également publiée par Novethic > cliquer ici pour y accéder) : l’augmentation de l’épargne solidaire est
essentiellement due à l’épargne salariale : l'épargne salariale
solidaire a doublé en 2009
PS 2 : L’agence Française de Développement
vient de trouver un nouveau patron, Dov Zerah, imposé par le Président de la
République et annoncé lors du récent sommet de Nice. La presse s’est fait
l’écho des nombreuses questions que pose cette nomination hors normes. J’attends,
comme beaucoup j’imagine, de pouvoir être éventuellement rassuré…
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