Les Éditions de l’Atelier ont publié, en mars
2010, un livre de Daniel Le Scornet, président d’une association d’étude,
d’échange et de recherche (La Fraternelle
de recherches et de propositions), vice président de l’Appel des appels. Ce dernier mouvement, lancé il y a 2 ans,
dénonce un démantèlement et une marchandisation des services publics, ainsi que
leur prolongement dans une dynamique managériale, favorisant notamment un envahissement
de processus d’évaluation avec quantification perpétuelle. Ils feraient avancer
une civilisation invivable avec « surveillance
généralisée aspirant au contrôle social total », l’agent public
devenant un « contrôleur contrôlé », un « normalisateur
normalisé des subjectivités ».
Dans ce contexte, j’ai été très intéressé par
le livre de Daniel Le Scornet
: « Le
politique, fin de règne ». Il y revient longuement sur les impasses
des formes de gouvernance faisant la part belle à des participations factices
et sur une modification de la situation, à l’horizon 2012, un mythe en réalité
puisque l’arrivée de nouvelles orientations politiques se réaliseraient sans
révision des fondements de la démocratie participative.
Une préface de Roland Gori, psychanalyste et
universitaire, titrée « j’ai mal à
ma démocratie », souligne une apathie politique qui ferait la part
belle à la programmation bureaucratique, et propose de revenir, en contrepoint,
au fondement de la démocratie qui n’est « ni
une société à gouverner, ni un gouvernement de la société, mais proprement cet
ingouvernable sur quoi tout gouvernement doit en définitive se découvrir
fondé ».
Daniel Le Scornet évoque dans un propos
introductif sa longue participation à la vie publique et au mouvement social.
Chimiste de profession, puis chercheur de métier, il a été administrateur d’une
Caisse régionale d’assurance maladie, puis du conseil de surveillance de la
CNAM des travailleurs salariés, directeur d’une fédération mutualiste, membre
du Conseil économique et social et du Conseil économique et social européen,
administrateur de la Confédération Générale des Entreprises et mouvements de
l’Économie Sociale (CEGES), animateur d’un établissement public culturel de la
Ville de Paris, il a également milité dans plusieurs partis de gauche.
Paradoxalement, cette évocation d’une participation massive à la vie politique
et sociale est pour lui l’occasion d’affirmer qu’aujourd’hui la
fascination du pouvoir, et du contre-pouvoir, laisse une situation en
friche : « la panne de
l’espérance est grosse comme une maison », un patrimoine énorme se
trouve émietté dans un espace où « plus
rien n’est commun ».
Le propos désenchanté est d’autant plus fort
qu’il analyse cette situation comme résultante, tant des formes du pouvoir que
des représentations et pratiques du contre-pouvoir, résultante qui signe en
fait l’avènement d’une « a-démocratie ».
Faut-il croire alors à l’arrivée d’un post-matérialisme ? Sa réponse est
ambiguë, à la fois pessimiste et optimiste tant « la fin du politique, de ce régime du politique, ouvre à la
politique une nouvelle finalité ». Son hypothèse centrale vise à se
méfier d’une pratique protestataire vaine : « on assiste à une dérive autocentrée et autiste de
l’autonomisation », de chacune des formes qui composent « "le" mouvement social, la désormais société
civile (dés)organisée. C’est la poursuite d’un vaste processus d’hétérogénèse
commencé depuis longtemps, mais désormais totalement visible ». En
bref, il incite à se méfier d’opportunités nouvelles qui « inciteraient à un "chacun pour soi" plus exacerbé
encore ».
Je me suis totalement retrouvé dans cette
approche des mouvements de protestation, motions diverses, qui soutiennent le
maintien de cette « a-démocratie ».
C’est d’ailleurs ce que j’ai toujours interrogé derrière les textes de L’appel
des appels.
J’ai également aimé les quelques voies tracées
par Daniel Le Scornet :
- Un lien à travailler entre la démocratisation et la réforme d’une Sécurité sociale solidaire (dont une participation de ses bénéficiaires à la gestion de la Couverture Maladie Universelle, la CMU),
- Une « démocratie économique économe », avec une prééminence « à accorder à l’action, pour éviter son caractère sous-culturel, et donc, au fond, de droite » (D. Le Scornet reprend là une très belle réflexion de Pier Paolo Pasolini !), à partir d’un modèle de fonctionnement par hypothèses,
- Une utilisation des structures européennes comme opportunité démocratique, en n’oubliant pas la chance immense que pourrait constituer l’intégration de la Turquie,
- Un renouveau du dialogue et du pouvoir des corps intermédiaires dans ce fonctionnement par hypothèses (dont la création d’institutions propres pour la jeunesse, ou pour les retraités, leur permettant de gérer eux-mêmes leurs droits).
L’ouvrage est certes un peu touffu, abuse
parfois des formules paradoxales, mais comporte de véritables propositions de
travail, de changement d’état d’esprit pour une culture de la participation,
parfois en décalage avec la culture protestataire et les amalgames du
soi-disant « mouvement social ».
Merci Daniel de ces propos…
Daniel GACOIN
PS : n’hésitez pas à écouter un
document vidéo disponible (cliquer ici pour y accéder) sur le site de Libération, l’interview de Daniel Le Scornet dans le cadre des États généraux du
renouveau.
Le titre : « Prends
le fric et tire-toi ! ».
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