Le 22 avril, Pierre Jamet, Directeur
général des services du Département du Rhône, a remis, avec les experts qui
l’ont assisté, un rapport au Premier ministre sur la situation
financière des Départements.
L’objectif du rapport : mesurer la situation, faire des propositions pour
une meilleure maîtrise des dépenses des Départements.
Une
très forte attente…
Ce rapport arrive dans un contexte
tendu : situation financière de crise des Départements, baisse des
financements, conflit ouvert entre certains Départements (indiquant que l’État
ne tient pas ses engagements de leur transférer le financement des mesures qu’il
a rendues obligatoires) et le Gouvernement (ses membres, la majorité qui le
soutient, indiquant à demi-mots ou tout à fait ouvertement que la mauvaise
gestion des Départements serait à l’origine de la situation). Il était donc
attendu…
… et de
nombreuses réactions positives
Côté positif en effet, le panel de réactions
est très large :
- Le Premier ministre indique « que le rapport analyse, de manière
objective et actualisée, la situation financière des Départements en mettant en
avant la pluralité
des situations et le rôle possible d’une qualité de gestion
dans les résolutions. Il met en évidence la pluralité des situations et le rôle
de la qualité de la gestion ».
- Côté majorité présidentielle, on se
réjouit : 1. que le Premier ministre ait décidé, à la suite de ce rapport « de rencontrer en mai les neuf Présidents
de Conseils généraux membres de la commission exécutive de l’Assemblée des Départements
de France (ADF) ». 2. Qu’il permette une étude de quarante propositions concrètes,
mais aussi d’évoquer « la question
du financement de la décentralisation sociale et donc de la couverture par
l’Etat des trois allocations de solidarité universelle, sujet d’une importance
essentielle qui pèse très lourdement sur les finances départementales et dont
l’aggravation est inscrite du fait du vieillissement de la population ».
- Côté opposition, il existe des
réactions positives : « Ce rapport est une bonne
nouvelle pour les Départements et il faut saluer la qualité du travail et
l’honnêteté intellectuelle de Pierre Jamet. Son rapport témoigne des justes
prétentions des Départements », dit
ainsi Arnaud Montebourg (PS). L’ADF indique que ce rapport ne fait que
confirmer « le constat établi depuis
longtemps par elle (récemment validé par l’agence de notation internationale
Standard & Poor’s) », ajoutant
que « l'ensemble des
conseils généraux seront très rapidement confrontés à une situation financière
dramatique ». « C’est dès à
présent qu'il convient de modifier le montant de la compensation et les
méthodes de péréquation, en distinguant clairement, comme le souligne le
rapport, ces deux objectifs ».
… mais
également négatives
On relèvera également de nombreux propos
dénonciateurs :
- L'ADF relève également que la mesure financière de compensation
provisoire proposée par le rapport « ne
règle en rien les problèmes structurels, auquel chaque département se heurte
aujourd’hui », alors que « le
véritable problème est bien celui du financement de l'APA, de la PCH et du
RSA », et de nombreux membres de cette assemblée fustigent « un diagnostic lucide, mais des
propositions décevantes ».
- L’opposition (Laurent Fabius et Elisabeth Guigou pour le PS) critique
le « manque total d’ambition »,
son « mauvais diagnostic »
et ses « fausses solutions (…)
qui prennent le problème à l'envers : seules une prétendue maîtrise accrue des
dépenses locales et une généralisation des bonnes pratiques y sont
évoquées », en ignorant « l'arrêt
du Conseil d'Etat condamnant l'Etat à créer un fonds de compensation sur la
protection de l'enfance en Saône-et-Loire et en Seine-Saint-Denis ».
Premier
intérêt du rapport : le diagnostic qualitatif
Le rapport Jamet propose en effet un
diagnostic de départ : les Départements
se sont vus confier la gestion de trois nouvelles prestations sociales en
dehors qui pèsent considérablement sur les budgets départementaux, alors même
qu’elles n’obéissent pas aux principes de la décentralisation (décision et politique
propre du Département). Ces trois prestations concernent soit les personnes en
situation d’exclusion (le RSA, Revenu de Solidarité Active, à la suite du RMI, Revenu
Minimal d’Insertion), soit les personnes âgées dépendantes (l’APA, l’Allocation
Personnalisée d’Autonomie qui a remplacé la PSD, la Prestation de Solidarité
pour la Dépendance), soit les personnes handicapées (la PCH, Prestation de
Compensation du Handicap, qui se substitue à l’ACTP, l’Allocation Compensatrice
pour Tierce Personne). Le rapport pointe le bouleversement, en dehors
des questions financières, posé par ces prestations : « toutes
supposent une analyse individuelle de la situation des bénéficiaires, toutes
font l’objet d’une standardisation ne laissant guère d’autonomie aux décideurs,
toutes se révèlent plus coûteuses que prévues, toutes contraignent les élus
départementaux à être très présents dans les différentes instances
d’attribution ». « La montée en charge des dispositifs, les difficultés
ou tensions budgétaires en découlant font naître un sentiment d’impuissance,
voire une véritable angoisse collective des décideurs, apeurés de ne pouvoir, à
terme, remplir leurs obligations. Sentiment renforcé par l’impression de n’être
compris et encore moins entendu, ni par les administrations déconcentrées de
l’Etat, ni par les administrations centrales ; alors même qu’ils voient poindre
de nouvelles charges liées à la désertification médicale : création des maisons
de santé ou de garde médicale, par exemple ».
Deuxième
intérêt du rapport : le diagnostic quantitatif
Est présenté un effet de ciseaux
entre la croissance des recettes et celle des dépenses des Départements, devenu
manifeste ces dernières années. Il est détaillé pour la période 2000-2008, les
comptes 2009 n’ayant pas encore été arrêtés. Sur cette période de 8 exercices
budgétaires, le différentiel
entre les recettes et les dépenses en taux annuel de croissance est de 1,3% en moyenne, et s’est accentué
avec la crise sur la dernière année. Si l’on s’en tient aux seules recettes et
dépenses de fonctionnement, le
différentiel passe à deux points par an sur la même période, les
dépenses s’étant accrues de 9,3% en moyenne annuelle entre 2000 et 2008 et les
recettes, de 7,3%. Les dépenses croissent de manière inéluctable
(essentiellement du fait des 3 prestations citées plus haut) alors que les
processus de compensation stagnent, voire diminuent, et les perspectives
réduisent encore toute augmentation des recettes (fin de la taxe
professionnelle).
La réalité concrète dans ce
contexte en 2009 et 2010 : « de
nombreux Départements, pour parvenir à l’équilibre budgétaire,
inscrivent en dépenses des crédits insuffisants au regard du poids du RSA, de
l’APA et de la PCH ». « L’adoption des décisions budgétaires
modificatives en 2010 sera révélatrice de la situation réelle de
crise »
Troisième
intérêt du rapport : des propositions
40 propositions sont présentées avec :
> Pour la réalité financière : une mobilisation rapide et un
fonds exceptionnel de l’État pour 2010 et peut-être 2011,
> Pour la partie budgétaire : une amélioration des modes de
présentation des documents budgétaires,
> Pour le pilotage de la décentralisation : un travail autour
d’outils de gestion adaptés, de référentiels et de bonnes pratiques,
> Pour la promotion de normes : une approche par simplification,
mais également mise en avant d’obligations standardisées,
> Dans le domaine de la simplification administrative : de
nouvelles modifications structurelles censées apporter des améliorations sont
avancées (par exemple : unification des établissements départementaux de
l’enfance, unification des services de PMI et de santé scolaire, etc.,
> Pour la promotion d’expérimentations : il est proposé diverses
mesures très sérieuses (de type amélioration de certains grands guichets
d’accès à des prestations) et d’autres plus décalées (le soutien du
covoiturage, du statut d’auto-entrepreneur des séniors etc.),
> En matière de mutualisation : la promotion d’achats ou de
service communs (matériel, formation, informatiques, etc.),
> Enfin pour la mise en cohérence des services : une réforme du
secteur de l’insertion professionnelle et de la Sécurité civile.
Mes réactions
Je confirme pour ma part le sentiment d’un texte très intéressant en
matière de diagnostic (quoiqu’insuffisamment dénonciateur concernant le manque
de suivi par l’État de ses responsabilités sur les 3 prestations évoquées) mais
d’un texte totalement décalé, voire absurde sur le plan des solutions :
les mesures de bonne gestion et d’économie sont certes nécessaires, mais
n’attaquent pas la problématique de fond, celle d’un État que se défausse de
ses engagement de compensation à l’euro près des obligations qu’il a transférées
aux Départements. La conclusion selon moi : sur le terrain les bénéficiaires
vont donc continuer à être confrontés à des rétentions diverses dans l’accès à
des droits, du fait d’un financement notoirement insuffisant.
Je laisse chacun juger par soi même en cliquant ici pour accéder et
télécharger le rapport, très facile à lire.
Daniel GACOIN
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