Intervenant il y a peu dans un Institut régional de formation auprès de
directeurs d’établissements ou de services sociaux ou médico-sociaux (ESSMS) en
formation CAFDES, j’ai été interpellé par une question intéressante… J’y présentais
en effet le nombre d’ESSMS (22 000 en 2001, 33 000 en 2003, 37 500 en 2008)
dans une journée de formation sur les regroupements (notamment les Groupements
de Coopération Sociale et Médico-Sociale, les GCSMS). Mes interlocuteurs relayaient
une réalité, présentée comme une évidence : « les pouvoirs publics veulent
réduire le nombre de structures, d’organismes gestionnaires, faire des
économies d’échelle, favoriser les fusions et les mutualisations de moyens ». Comment
alors comprendre d’un côté une volonté de diminution du nombre de structures,
et de l’autre une telle augmentation (en 7 ans, passage de 22 000 à 37 500
structures) ?
J’avais encore à l’esprit mes réponses à cette question quand j’ai lu le
dernier rapport d’activité de l’Agence Nationale de l’Évaluation et de la
qualité des établissements et services Sociaux et Médico-sociaux (ANESM). Ce
rapport est disponible sur le site de l’ANESM. Je le présenterai plus en détail
dans un prochain billet. Sachez simplement que c’est une mine de renseignements
et que je le trouve dix fois plus intéressant, plus riche, que celui de l’année
dernière
que j’avais vertement critiqué. Or, dans les annexes de ce rapport, on
trouve le tableau suivant :
Conclusion : ce n’est pas un passage de
22 000 à 37 500 ESSMS qu’il nous faut constater, mais un passage de 22 000 à 38
500, soit 75 % d’ESSMS en plus pendant une période de 9 ans (+ 8,33 % par an).
Comment expliquer cette augmentation ? Ne contredit-elle pas la thèse
habituelle d’une volonté des pouvoirs publics de rationalisation avec
regroupements, fusions et recherche d’une diminution du nombre de
structures ?
L’augmentation est le résultat de plusieurs facteurs :
- Avant 2002, certaines structures n’étaient
pas comptabilisées dans les ESSMS, parce que la définition de la loi de 1975
n’avait pas pris en compte des modèles (notamment les services d’accompagnement
à domicile, les lieux de rupture et structures expérimentales, etc.) créés postérieurement.
La loi du 2 janvier 2002 a, en élargissant la définition des ESSMS,
automatiquement créé une augmentation du nombre global (au moins 3000
structures de plus).
- Se sont créés de nombreux petits services ou
mini-établissements, souvent dans de nouveaux modèles d’intervention, ou
alternatifs à la prise en charge dans des établissements dits « fermés » ou à gros effectif.
- Les établissements eux-mêmes, « institutions » souvent monolithiques (une
maison, un directeur, une équipe stable, des usagers stables) se sont
transformés en « dispositifs » :
une pléiade de petits services articulés, au bénéfice de l’accompagnement de
parcours. C’est ce que l’on pourrait appeler l’effet « panier de services », pour paraphraser une expression
parue dans une circulaire officielle de l’ex Direction générale de l’Action
Sociale (DGAS) de mai 2007, circulaire visant le développement des
regroupements entre structures. En conséquence : un établissement est devenu
plusieurs entités dans la comptabilisation des structures, même si, comme cela
a souvent été le cas, son effectif global a baissé.
L’augmentation va se poursuivre :
- La tendance à l’effet « panier de services » va se maintenir : augmentation
des multiples services satellites pour chaque établissement d’antan,
- Les créations d’alternatives aux
établissements (en analyse des « avantages
concurrentiels », les stratèges du développement des entreprises
appellent cela une recherche de produits ou de services de remplacement) vont
augmenter, avec un ajout de nouvelles structures sans fermeture totale des
anciennes, même si cela correspond à un effectif beaucoup plus faible,
- Des services non comptabilisés sont en cours
d’habilitation (je pense par exemple aux services de tutelle/curatelle qui sont
en cours d’habilitation depuis le début de l’année 2010).
Les regroupements et fusions ne vont pas se développer au niveau des
structures, mais au niveau des organismes gestionnaires, et surtout, resteront
limités :
- Des fusions entre petites associations (en
difficulté) et d’autres associations, petites ou grandes, vont se poursuivre,
mais contrairement aux sirènes alarmistes, je ne crois pas à une recomposition
par de très nombreuses fusions, du moins dans les prochaines années. Les
pouvoirs publics l’ont clairement dit (l’actuel directeur de la Direction
Générale de la Cohésion Sociale, remplaçant l’ex-DGAS, l’a d’ailleurs réaffirmé
en janvier 2010) : il n’y aura pas de décision administrative, pas
d’obligation pour des regroupements et fusions. Ceci est plus que logique… les
pouvoirs publics n’ayant pas, sauf situation limite nécessitant des décisions
de fermeture, d’autres moyens que l’incitation (plus ou moins subtile selon les
cas) car ils ne peuvent être à terme accusés de « gestion de fait ».
- Les mutualisations, regroupements (via des
réseaux souples ou formels comme les GCSMS) vont augmenter indéniablement, sans
diminuer le nombre d’organismes gestionnaires, mais en permettant de limiter le
nombre de négociations budgétaires. Rappelons au passage que la division par 10
du nombre de budgets d’ESSMS à négocier chaque année (mot d’ordre de l’ex DGAS
au milieu des années 2000) ne voulait pas dire fusions des organismes gestionnaires.
Ce mot d’ordre signifiait une avancée vers des Contrats Pluriannuels
d’Objectifs et de Moyens (CPOM) avec une négociation tous les 5 ans, pour un
établissement d’une certaine taille ou pour plusieurs établissements, soit au
sein d’une même association, soit reliés par un GCSMS.
- Plus globalement, la gestion publique mise
en avant dans la théorie du New Public Management ne va pas vers des
regroupements trop importants, mais vers la multiplication d’unités autonomes,
décentralisées, avec une gestion fondée sur la réalisation d’objectifs et
l’évaluation des performances dans le cadre de programmes contractualisés. Cela
ne va pas dans le sens des gros regroupements…
Daniel GACOIN
Merci pour ces éléments : je partage avec vous le constat d'une tendance lourde à la multiplication des "structures" d'accompagnement, co-existant avec une contraction, probablement modérée mais réelle, des organismes gestionnaires. Toutefois il me semble que si des groupements ce créent pour "diminuer le nombre de négociations budgétaires" (objectif du "grand tarificateur" Hardy ) et donc porter des CPOM, le fait que les organismes gestionnaires perdurent dans le GCSMS n'aura plus guère de sens : quoi de plus "intégrant" qu'une dotation globalisée commune... partager un budget ... c'est une fusion de fait...
Cordialement
Claire Guérin
Réalités & Projets
Rédigé par : Claire Guérin | 12 mai 2010 à 11:02