Une réorganisation liée à la Révision Générale des Politiques Publiques
(RGPP)…
La RGPP a été engagée en 2007. Elle vise à
développer, par imposition, un examen des programmes d’action publique, basé
sur des indicateurs de « performance »,
pour des décisions d’amélioration (meilleure organisation, transferts,
appels à la concurrence, sanctions). Cette nouvelle forme de gestion de
l’action publique correspond au récent tournant « néo-managérial » dans l’application du New Public
Management (théorie envahissante de gestion de l’action publique présentée dans ce blog
dans un billet d’août 2009 : cliquer pour y accéder). La RGPP part d’ambitions officielles : améliorer
les services pour les citoyens et les entreprises, moderniser et simplifier
l’État dans son organisation et ses processus, adapter les missions de l’État
aux défis du xxie
siècle, valoriser le travail et le parcours des agents, responsabiliser par la
culture du résultat, rétablir l’équilibre des comptes publics et garantir le
bon usage de chaque euro.
Dans une première phase, elle a visé
des cibles (neuf ministères, cinq grandes politiques, dont les solidarités,
la gouvernance des finances publiques, et leurs fonctions supports), examinées
à partir de questions simples, concernant
la pertinence, la cohérence, l’efficacité et l’efficience des actions.
Cette interrogation a été menée par des groupes de travail (équipes d’audit, en
parallèle à des équipes ministérielles) mobilisés dans un calendrier resserré. Il
a entrainé dans une première vague (2007 et 2008) des décisions rapides
(soixante-quatorze) autour de six axes de modernisation, adoptées lors de 3
conseils de modernisation des politiques publiques.
Une deuxième phase a été programmée
à partir de la fin de l’année 2009 autour de deux idées : réduction des
dépenses de fonctionnement et amélioration de la qualité de service par un
examen des démarches subies par les usagers, d’une part, gestion des cadres
dirigeants (fixation d’objectifs, évaluation annuelle, rémunération liée à la
performance et formations à la conduite du changement), d’autre part.
Dès ces premières applications, la
simplicité apparente et le volontarisme cachaient mal les manques évidents : absence de participation et
d’implication des parties prenantes (agents, usagers), non-indépendance des
auditeurs, décisions prises en aval déjà pensées en amont, notamment pour une
approche mécanique de réduction du nombre de fonctionnaires (mise en cause en
décembre 2009 par la Cour des comptes elle-même), absence de communication
publique des audits et des décisions prises. Nous aurons même noté la question
démocratique fondamentale : orientations prises par des « auditeurs – instructeurs - décideurs »
qui n’ont pas de mandat démocratique, ces orientations étant pensées
officiellement autour d’une justification gestionnaire (bien appliquer les
politiques décidées en amont), mais, en boomerang, venant impacter les
politiques, les empêcher et parfois même les définir en dehors de toute
légitimité.
… et une phase nouvelle de la RGPP dans l’action sociale et
médico-sociale
Dans le secteur social et médico-social, les
grandes réorganisations des administrations de référence sont aujourd’hui en
train de s’appliquer, dans le droit fil de la RGPP. S’il est nécessaire d’y
voir un peu clair, ce n’est pas évident… Je vous propose une présentation en 5
points
1. L’objet… L’action sociale et
médico-sociale relève de politiques sociales sectorielles (lutte contre la
pauvreté, politique du logement etc.) et catégorielles (modes d’accompagnement
des populations en difficulté : handicapées, inadaptées, dépendantes,
etc.). Elle est basée sur une philosophie « rationnelle
humaniste » visant « l'autonomie et la
protection des personnes, la cohésion sociale, l'exercice de la citoyenneté, à
prévenir les exclusions et à en corriger les effets » et plus globalement veut œuvrer pour le maintien ou la restauration
d’un lien entre les populations en difficulté (handicapées, inadaptées…) et le
corps social.
2. Les acteurs initiaux…
L’action sociale est planifiée dans des programmes, financée, contrôlée par les
pouvoirs publics, alors qu’elle est mise en œuvre par des établissements et
services (37 500 aujourd’hui) gérés soit par des organismes publics (34 % des
places) soit par des organismes privés à but non lucratif (55 % des places),
soit par des organismes privés à but lucratif (11 % des places). Les pouvoirs
publics évoqués ici étaient composés, depuis 1983 (décentralisation), de :
- Les collectivités locales ou organismes de protection sociale (Maire, CCAS, service social départemental, CAF, MSA,…), comme responsables des guichets d’accueil pour l’action sociale de proximité,
- Le ministère de la justice, via ses administrations déconcentrées pour la protection judiciaire de la jeunesse (dont une part de la protection de l’enfance),
- L’administration du Conseil général, sous l’autorité de son Président, pour l’Aide sociale à l’enfance (et une part de la protection de l’enfance),
- L’administration du Conseil général, sous l’autorité de son Président, pour l’action sociale envers les familles, les personnes âgées, handicapées, la population en difficulté en général,
- L’administration déconcentrée de la Direction générale de l’action sociale dans les départements, la DDASS, pour l’action médico-sociale ou sanitaire envers les personnes âgées, les personnes handicapées, ou souffrant d’addictions, (y compris le contrôle des services de protection juridique en tutelle ou curatelle), et pour les Établissements et Services d’Aide par le Travail,
- L’administration déconcentrée de la Direction générale de l’action sociale (DGAS) dans les départements, la DDASS, pour l’action sociale en faveur des personnes en situation d’exclusion (logement, services d’inclusion sociale et de réinsertion) ou en lien avec les Directions départementales du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (insertion par l’économique par exemple),
- Le préfet, via des instances inter-sectorielles et interministérielles pour l’application des politiques de la ville, de la rénovation urbaine, de la cohésion sociale.
3. Les acteurs nouveaux en place à partir de 2010… L’esprit général des lois récentes (de la loi du 2 janvier 2002 à la loi
récente dite HPST du 21 juillet 2009, en passant par la loi de décentralisation
de 2004, la loi pour les personnes handicapées de février 2005 et les 4 lois du
5 mars 2007 – de protection de l’enfance, de prévention de la délinquance, sur
le droit au logement opposable, sur la réforme de la protection juridique des
majeurs) a présidé à une redistribution des cartes. Ainsi, les pouvoirs publics
en charge de la conduite de l’action sociale et médico-sociale se composent maintenant
de :
- Les collectivités locales ou organismes de protection sociale (Maire, CCAS, service social départemental, CAF, MSA,…), comme responsables des guichets d’accueil pour l’action sociale de proximité,
- Le pilotage spécifique du Président du Conseil général pour le guichet unique qu’est la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH),
- Le ministère de la justice, via ses administrations déconcentrées uniquement pour la protection judiciaire de la jeunesse (et non plus, à terme, pour la protection de l’enfance, la PJJ étant « recentrée sur le pénal »),
- L’administration du conseil général, sous l’autorité de son président, pour l’Aide sociale à l’enfance et pour l’ensemble de la protection de l’enfance (dont cellule de signalement),
- L’administration du conseil général, sous l’autorité de son président, pour l’action sociale envers les familles, les personnes âgées, handicapées, la population en difficulté en général,
- L’Agence Régionale de Santé pour l’action médico-sociale ou sanitaire envers les personnes âgées, les personnes handicapées, ou souffrant d’addictions, (sans le contrôle des services de protection juridique en tutelle ou curatelle), et pour les Établissements et Services d’Aide par le Travail,
- L’administration déconcentrée de la Direction générale de la Cohésion Sociale (la DGCS qui remplace maintenant l’ancienne DGAS) dans les départements, pour l’action sociale en faveur des personnes en situation d’exclusion (logement, services d’inclusion sociale et de réinsertion) ou l’administration déconcentrée commune au ministère de l’économie et au ministère du travail et de l’emploi (pour l’insertion par l’économique). A noter, l’Administration déconcentrée de la DGCS aura en charge le contrôle des services de protection juridique en tutelle ou curatelle,
- Le préfet, via des instances inter-sectorielles et interministérielles pour l’application des politiques de la ville, de la rénovation urbaine, de la cohésion sociale.
- La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) chargée de la redistribution d’enveloppes spécifiques pour des créations de places dans le médico-social.
4. La reconfiguration des services déconcentrés de l’État, au niveau
régional et départemental… Il est difficile de faire
simple, mais disons rapidement que les anciennes DDASS (ou DRASS) disparaissant
du fait de la gestion par les ARS du secteur médico-social, les services
déconcentrés comprennent ainsi :
Un niveau régional : des directions régionales de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion Sociale (DRJSCS), des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) qui sont des services déconcentrés communs au ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi et au ministère du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville. Elles fusionnent près d'une dizaine de structures parmi lesquelles les directions régionales et départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DRTEFP et DDTEFP). Chaque DIRECCTE comprend un pôle « politique du travail », un pôle « entreprises, emploi et économie » et un pôle « concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie ».
Un niveau départemental : 2 schémas d'organisation (!!) sont en cours de mise en place. Premier schéma : les départements comptant plus de 400 000 habitants où trois Directions départementales dites Interministérielles (DDI) sont installées depuis le 1er janvier 2010 soit une direction départementale de la cohésion sociale (DDCS), une direction départementale des territoires (DDT) et une direction départementale de la protection des populations (DDPP). Deuxième schéma : les départements comptant moins de 400 000 habitants, où deux Directions départementales Interministérielles (DDI) sont installées: direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) et DDT.
5. La mise en place des ARS… Les
réalités sont à la fois simples et complexes avec un schéma général qui a fait
l’objet de décrets parus, pour les derniers, en mars et le 1er avril
2010 :
Une organisation globale : une politique globale assurée par un conseil de surveillance et deux commissions de coordination des politiques publiques (dont une consacrée à l’action médico-sociale) et une direction opérationnelle assurée par le directeur de l’ARS (chaque directeur a mis en place une configuration de son administration à sa propre conception), avec des services provenant soit des anciennes DDASS ou DRASS, DDTEFP ou DRTEFP, ou d’ailleurs.
Un domaine d’intervention très large : l’ensemble du sanitaire (dont la médecine libérale, dont la prévention sanitaire) se trouve sous l’autorité du directeur de l’ARS, et l’ensemble du médico-social relevant de l’assurance maladie (soins en faveur des personnes âgées, en faveur des personnes handicapées), ce qui fait qu’une partie des financements contrôlés par l’ARS seront conjoints avec des financements des Conseils généraux (pour les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, pour les foyers d’accueil médicalisé pour personnes handicapées, etc.).
On le voit, le grand meccano qui s’est mis en
place, théoriquement pour simplifier, pour faire mieux et moins cher, etc. etc.
interroge fortement : en réalité, ce meccano se serait-il pas qu’un
puzzle, avec une pièce systématiquement manquante qui plus est ?
À noter : il existe encore de nombreuses
inconnues, un peu comme si les pouvoirs publics comblaient au fur et à mesure,
les trous qu’il découvrent au gré des étapes de l’application concrète… Ainsi
le Directeur Général de la Cohésion Sociale (DGCS) Fabrice Heyries a diffusé le
23 mars 2010 une circulaire dans laquelle il fait un point complet sur la
réorganisation des services de l’État et sur la mise en place des ARS. Il
prévoit que les ARS pourront, à terme, assurer :
- le subventionnement des centres régionaux d'études et d'actions sur les handicaps et les inadaptations (CREAI), qui relève en 2010 des DRJSCS,
- la répartition des crédits et le subventionnement des groupes d'entraide mutuelle (GEM) orientés à titre principal vers les personnes handicapées psychiques, placés en 2010, « à titre transitoire et en lien avec les ARS », sous la coupe des DRJSCS et des DDCS dans l’attente d’une clarification législative (dont celle du rôle de la CNSA dans la répartition des crédits).
Concernant les CREAI, faire dépendre ces
derniers des ARS me semble une profonde erreur, dans la mesure où ces
structures, en partie financées par leurs adhérents, s’occupent tout autant du
secteur social (protection de l’enfance, inclusion sociale) que du secteur
médico-social (personnes âgées, personnes handicapées).
Mais plus largement, des questions méritent d'être posées devant cette profonde réorganisation :
- Combien d'étapes sont encore à prévoir ? À quel moment pourrons-nous enfin nous appuyer sur une assise stable et cohérente, après plus de 10 ans de changements perpétuels ?
- Le « gain »
que génèrerait cette réorganisation sera-t-il évalué ? Cette évaluation sera t-elle communiquée au
grand public ? Intégrera t-on dans cette évaluation la lisibilité des
nouvelles structures pour les différents acteurs de l’action sociale (dont les
usagers) ?
Daniel GACOIN
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