L’étude récente sur la bientraitance dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes : sortir du catastrophisme, prendre en compte de réelles questions

.

L’Agence Nationale de l’Évaluation Sociale et Médico-sociale, l’ANESM, a publié il y a un mois, un rapport analysant les réponses à un questionnaire sur la bientraitance dans les Établissements d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD).

 

Une actualité brulante…

Cette étude paraît après une phase de médiatisation de la question des maltraitances en maisons de retraite : une affaire révélée à Bayonne en novembre 2009, des déclarations immédiates et intempestives de la Secrétaire d’État en charge des Aînés (« engager un combat sans merci »… « mettre en demeure les structures »… « coter les établissements en fonction de critères de maltraitance », « rendre publics les résultats des évaluations »…), puis un projet de loi en février 2010. Ce scénario par dramatisation (coups de menton, mise en place d’une loi qui réglerait tout, suivis de l’absence de moyens de cette politique volontariste) est bien rodé depuis quelques années. Cependant à côté de propos menaçants, existe une politique dite alternative, en l’occurrence de soutien aux pratiques de bientraitance (un plan en dix axes présenté également en février).

 

… d’où l’intérêt de l’étude de l’ANESM

Les 9 680 établissements d’hébergement pour personnes âgées sont de différente nature. La majorité (7 000 établissements) accueille des personnes âgées dépendantes : ce sont les EHPAD, certains ayant des unités spécifiques dédiées aux personnes présentant une maladie d’Alzheimer ou apparentée. L’ANESM leur a transmis un questionnaire à renseigner, pour chacun, par un groupe comprenant le directeur de l’établissement, le médecin coordonnateur, un ou plusieurs soignants, le président du conseil de la vie sociale, d’autres professionnels de l’établissement.

L’ANESM a obtenu un taux de réponse remarquable : 76 % (5 080) des EHPAD ont transmis une réponse exploitable. L’ANESM s’en félicite (moi aussi), évoquant une forte mobilisation des équipes. Je modère cette analyse car personne ne sait si les réponses ont été l’occasion d’un travail des équipes (ou uniquement du directeur, avec le médecin coordinateur et le président du CVS). On ne sait pas non plus si les transmissions déclaratives sont révélatrices de la réalité (il est possible que certains l’enjolivent). Néanmoins, le taux de réponses et les contenus sont très intéressants.

 

… avec une image intéressante des EHPAD

Les réponses proviennent d’EHPAD gérés pour 27 % d’entre eux par des organismes privés lucratifs, pour 30 % par des organismes privés non lucratifs (associations), pour 43 % par des organismes du secteur public : des données en phase avec les statistiques INSEE sur les EHPAD. Il sera intéressant de remarquer, pour chaque item, les différences (statistiquement significatives) entre types de structures (privé lucratif, privé non lucratif, public).

> Chaque EHPAD offre en moyenne 82 places d’accueil, avec des différences entre le privé lucratif (plus petites structures et moyenne de 69,6 places), le privé non lucratif (moyenne de 73,7 places) et le public (plus grandes structures et moyenne de 95,7 places).

> L’âge moyen des personnes accueillies est de 85 ans, avec (toujours en moyenne) 44 % des résidents atteints de maladie d’Alzheimer ou maladies apparentées. Si l’âge moyen est partout le même, l’ouverture à des résidents présentant une maladie d’Alzheimer (ou maladies apparentées) serait plus importante pour le privé lucratif (49 % des résidents) que pour le public ou le privé non lucratif (42 % des résidents).

> Le niveau de dépendance des résidents est relativement important : le chiffrage moyen de cette dépendance correspond à un GMP de 671,1. GMP signifie Groupe-iso-ressources (GIR) Moyen Pondéré : il est calculé par addition du GIR de chaque résident, il permet de chiffrer les moyens à développer pour l’accompagnement de la dépendance ; un GMP à 671,1 indique une réalité de dépendance (attention ce n’est qu’une moyenne) nécessitant une aide partielle à totale pour l’autonomie corporelle. Étonnamment, le privé lucratif présenterait une plus forte dépendance (GMP de 699) que le public (GMP de 666) ou le privé non lucratif (GMP de 652).

> Le nombre de salariés, tous postes confondus, serait de 47,2 Équivalent Temps Plein (ETP), soit une moyenne de 0,56 salarié par résident, et de 37,8 ETP pour les salariés directement en lien avec les résidents, soit 0,46 salarié par résident. Les différences sont notables : un secteur public favorisé avec un ratio de 0,61 salarié par résident (dont 0,47 salarié en lien direct par résident), par rapport au secteur privé non lucratif présentant un ratio de 0,56 salarié par résident (dont 0,44 salarié en lien direct par résident) et au secteur privé lucratif présentant un ratio de 0,55 salarié par résident (dont 0,44 salarié en lien direct par résident). Pour le secteur privé lucratif, le plus faible taux d’encadrement est à mettre en lien avec une population (voir plus haut) pourtant plus dépendante.

> Le turnover moyen des salariés en lien direct avec les résidents est de 8,6 % par an en moyenne, mais encore avec de grandes différences entre le public (6,7 %), le privé non lucratif (8,2 %) et le privé lucratif (11,8 %).

> Enfin le nombre moyen de postes salariés en lien direct avec les résidents qui seraient budgétés et non pourvus correspondraient à 4,5 % des effectifs en moyenne, mais toujours avec des différences fortes : pour le public (3,23 % des effectifs), pour le privé non lucratif (5,29 % des effectifs), et pour le privé lucratif (6,9 % des effectifs). Pour ce dernier, le fort taux de postes non pourvus vient encore aggraver la remarque précédente. 

 

La réalité des EHPAD sur le thème de la bientraitance

L’aspect intéressant vient des contenus plus précis sur des pratiques dites de bientraitance, enfin telles que les formule l’ANESM dans son questionnaire.

> Il apparaît ainsi dans les EHPAD un processus d’admission intégrant de façon majoritaire une visite préalable et le recueil de l’accord du résident. Il reste donc encore 1 établissement sur 3 qui ne met pas en place une visite préalable de la maison avant une admission et 1 établissement sur 5 qui ne recueille pas l’accord du résident ou de l’entourage.

> Il apparaît également que le projet personnalisé d’accompagnement, reconnu comme démarche fondamentale, ne donne pourtant pas lieu à la mise en place d’un temps systématique d’observation dans tous les EHPAD pour le définir, ce temps étant plus fréquent pour les résidents présentant une forte dépendance (Alzheimer). L’identification des risques et fragilités de la personne n’est pas systématique pour 1 EHPAD sur 3, comme le recueil des habitudes et centres d’intérêt des personnes dans 4 EHPAD sur 10. Le recueil des attentes pour le projet personnalisé en va de même non systématique dans 6 EHPAD sur 10. Le projet personnalisé n’est pas réévalué régulièrement dans 1 EHPAD sur 3.

> Les éléments concernant l’équilibre entre autonomie et protection sont plus difficiles à appréhender à partir des réponses au questionnaire : la liberté de circuler est inversement proportionnelle au taux de résidents présentant une maladie d’Alzheimer ; elle progresse quand les professionnels ont réellement réfléchi collectivement aux difficultés et aux besoins de soins des résidents.

> 75 % des EHPAD ne possèderaient pas de protocole de gestion des risques et évènements indésirables, 60 % ne disposeraient pas d’un procédure relative au traitement de faits de maltraitance.

> Le nombre d’EHPAD avançant vers une attention individualisée, une pratique respectueuse de la liberté et de la protection serait proportionnel aux taux de professionnels formés aux thèmes de la bientraitance.

Le reste des items, reliés notamment à la gestion des ressources humaines, ne permet pas d’apprendre grand chose, sinon une justification a postériori d’une hypothèse, celle de l’ANESM : la promotion de la bientraitance auprès des professionnels permet de transformer positivement la vie des résidents (participation collective, activités, écoute de l’expression). CQFD.

 

Quelques enseignements …

Il est dommage que nous n’ayons pas de données qualitatives comparant les établissements du privé lucratif, du public et du privé non lucratif. La situation décrite, malgré les imprécisions du mode d’exploitation, confirme la forte évolution des EHPAD, très loin du catastrophisme des images véhiculées dans les médias avec le concours de responsables publics parfois. J’ai coutume de dire que les EHPAD constituent le secteur qui a fait le plus grand bond en avant qualitatif depuis 20 ans, dans l’ensemble social et médico-social.

Beaucoup reste à faire certes, mais l’essentiel tient dans des démarches plutôt que dans des outils. La mise en avant du thème de la bientraitance va de ce point de vue dans le bon sens, malgré le côté agaçant d’un ensemble de recettes, savamment ressassées notamment à l’ANESM, autour de quelques points clés, parfois limités. Je reste étonné de la définition donnée de la bientraitance, au début du texte. Autant la définition initiale (juin 2008) de l’ANESM était ambitieuse, mais alambiquée, large, insaisissable, autant la définition donnée dans ce questionnaire est plus concrète, mais limitée ; « un accompagnement dans toutes ses dimensions (médicale, psychologique, sociale) inscrit dans une logique d’individualisation, de respect des droits et de prévention ».

Il me semblerait utile de penser à mettre en phase les moyens, surtout en cette période de restrictions, avec les pratiques réellement développées ou à développer. Je ne suis pas sûr que ce questionnaire, déclaratif, soit le meilleur des outils pour cette étude comparée. C’est peut-être l’enjeu de demain, avec l’évaluation de l’efficience (rapport résultats / coût) des EHPAD et avec son éventuelle communication médiatisée.

Daniel GACOIN

Comments

[Rédigé par : Dominique Lallemand]

Bonjour , merci de bien vouloir noter le deroulé de l'acronyme ANESM pour Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et medico-sociaux

[Rédigé par : Daniel Gacoin en réponse au message de Dominique Lallemand]

Bonsoir,

Merci de ce rappel formel, il est vrai que cela fait longtemps que j'essaye de gagner de la place dans mes textes en résumant, à tort, le déroulé de l'acronyme ANESM tout en n'ignorant pas le réel (mais très long) déroulé.

Je note que je ne suis pas le seul, y compris les premières présentations gouvernementales : voir la présentation de 2007 (www.sante.gouv.fr/drees/seminaire/qad/seance1/anesm.pdf) et le logo de l'ANESM de l'époque

Merci néanmoins, le véritable déroulé étant déjà intégré dans mon prochain livre, à paraître, sur l'évaluation

Cordialement

Daniel Gacoin