Une thèse assez courante…
Les médias relaient régulièrement les propos de sociologues ou de
politiques ressassant la même antienne, parfois en transformant les
statistiques : les riches sont de plus en plus riches, les pauvres sont de plus
en plus pauvres, le fossé tendrait à s’accroître inexorablement ces dernières
années, le pouvoir d’achat des plus pauvres et des populations moyennes ne
cessant de se dégrader.
… qu’il convient de vraiment
étudier
C’est pourquoi, je propose de lire réellement les apports des dernières
enquêtes INSEE sur ce sujet.
1. Elles ont été publiées dans les actualités de l’INSEE et sont téléchargeables
sur son site. Attention ! Elles présentent une situation à fin 2007, ne
sont pas représentatives des réalités liées à la crise financière récente et
ses conséquences.
2. La première enquête (cliquer ici pour y accéder) porte sur les
revenus
et le patrimoine des ménages en France. Vraiment intéressante, elle
propose, outre une synthèse, 27 études thématiques très riches d’enseignement,
certes sur les revenus et le patrimoine, mais également sur la réalité chiffrée
de la pauvreté, sur le niveau de vie des immigrés, etc.
3. Une deuxième enquête (cliquer ici pour y accéder) porte sur les
évolutions
des salaires sur la période 2002-2007. Elle comporte 20 études
thématiques plus une synthèse. Là aussi les informations sont intéressantes
avec des précisions pour les salaires dans la fonction publique, par secteur
d’activité dans le secteur privé, selon l’âge, le sexe, les régions, etc.
4. Une troisième étude (cliquer ici pour y accéder) présente les grandes
disparités de salaires dans le secteur privé, avec notamment 1 % des salariés
percevant de très hauts salaires, en très fort hausse pendant les 5 dernières
années.
Premier résultat, l’écart entre
riches et pauvres s’accroit, non parce que les pauvres sont plus pauvres, mais
parce que les riches ont explosé en nombre et en niveau de richesse
> Pour les personnes les plus pauvres, la
pauvreté ne serait pas en progression : la
proportion de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté (avec moins que
60 % du revenu médian, soit moins de 908 euros mensuels) est passé en 3 ans de
13,1 % à 13,4 % de la population, évolution présentée par l’INSEE comme non
statistiquement significative. Cela porte le nombre de personnes concernées à 8
millions en 2007.
> Pour la population à revenus moyens, en 2007, le revenu médian, de 18 170 euros par an, a augmenté de 2,1 %
de 2005 à 2007. Il est néanmoins très différent selon les âges. Pour les personnes
de 18 à 24 ans, il est de 18 120 euros annuels, puis s’élève fortement entre 25
et 40 ans, avant d’atteindre pour les 40-49 ans un revenu médian de 24 450
euros annuels, avec un plafond à 24 990 euros annuels pour les 50-64 ans. Il décroît ensuite chez les
personnes âgées de 65 ans ou plus pour retrouver un niveau proche de celui des 40-49 ans (24 450
euros).
> Pour les personnes les plus riches, en 2007, est constatée une très forte augmentation du nombre de
personnes à haut revenu (+ 28 % chez les personnes dépassant les 100 000 euros
constants de revenus par unité de consommation), une explosion des revenus des
personnes à très hauts revenus (+ 11 % pour les revenus d’activités qui
constituent uniquement un tiers de leurs revenus, + 46 % pour les revenus du patrimoine, + 55 % pour les revenus exceptionnels), une très grande
diversification des sources de revenus des plus riches. Deux grands groupes
émergent chez ces ménages : ceux dont les revenus sont liés essentiellement à
leur activité (cadres dirigeants, PDG ou professions libérales) et ceux dont
les revenus sont liés majoritairement à la détention d'un capital. Au passage,
l’INSEE note que les revenus des plus riches sont imposés en moyenne à 20 %
alors qu' « en appliquant le barème progressif de l'impôt sur le
revenu » et les abattements, ils devraient l'être à 36 %. Les niches
fiscales leur profitent donc singulièrement.
Deuxième résultat, il faut se
méfier des chiffres sur la faible augmentation des personnes pauvres
À côté
du chiffre d’une progression infime (+ 0,3 % pour les personnes en dessous du
seuil de pauvreté), l’INSEE indique que les personnes vivant dans une très
grande pauvreté (au dessous, non plus du seuil 60 % du revenu médian soit moins
de 908 euros mensuels, mais sous celui de 50 % du revenu médian, soit moins de 757
euros mensuels), a lui nettement augmenté, ce qui est bien plus alarmant, en
passant de 6,2 à 7,2 % de la population (+ 16 %) et touchant ainsi 4,3 millions
de personnes en 2007 au lieu de 3,7 millions de personnes en 2005 (1,4 millions
de personnes en plus !!!).
L’INSEE
pondère également les chiffres apparents des revenus en expliquant combien les
charges incontournables (y compris pour la population moyenne) ont augmenté au
point de réduire le revenu disponible, sauf pour la proportion des personnes
les plus riches (plus de 84 500 euros annuels par unité de consommation). A
noter également, le cumul possible entre pauvreté par faiblesse du revenu et
pauvreté par faiblesse des conditions de vie. Les populations particulièrement
exposées : les familles monoparentales, les personnes vivant dans un
ménage immigré. Une étude spécifique montre ainsi que les personnes immigrées
perçoivent des revenus nettement inférieurs à la population française, à
catégorie socioprofessionnelle égale (y compris en tenant compte des
prestations sociales) :
Troisième résultat, les évolutions salariales moyennes ont été très faibles,
de 2002 à 2007, inférieures à la progression du Produit intérieur brut (qui a
été de + 2 % par an en moyenne)
> Pour le secteur privé : + 0,6 % par an en moyenne (avec
une évolution plus favorable pour les ouvriers et les cadres)
>
Pour les fonctionnaires, l’hétérogénéité est importante : + 0,1 % par an pour
les fonctionnaires d’État, - 0,3 % par an pour la fonction publique
hospitalière, + 0,5 % par an pour la fonction publique territoriale.
>
Dans le secteur privé, les 1 % de salariés percevant les plus haut salaires
reçoivent un salaire moyen de 215 000 euros annuels, avec une évolution très
forte de ces montants pendant les 3 dernières années
Mes questionnements
Je
reste convaincu dans l’idée que la discrimination positive, doctrine souvent mise
en avant dans les orientations gouvernementales actuelles, peut avoir une
pertinence si, au-delà de processus compensateurs pour l’augmentation des
chances des populations les plus en difficultés, elle permet une réelle
augmentation de leur revenu disponible.
En
outre, démonstration est faite par l’INSEE que des inégalités phénoménales
existent, surtout du fait d’une explosion des revenus des plus riches,
notamment dans leur revenu hors activité (capital, revenu exceptionnel) et par
leur bénéfice de niches fiscales. Tout cela est indécent… Il me semble juste de
soutenir une réforme fiscale complète, tous les éléments étant posés sur la
table, vecteur majeur d’une nouvelle justice sociale.
Daniel GACOIN
PS 1. Pour
ceux qui seraient intéressés, je vous propose de lire en complément le livre de
Louis Maurin, Déchiffrer la société française, La Découverte, octobre 2009, présentant
un panorama complet de la situation de la population française (hélas, avec des
statistiques s’arrêtent en 2007) et des questions sociales et sociétales.
PS : 2. Je vous propose de lire, si vous ne la connaissez pas encore la revue
XXI (disponible chez tous les libraires et certains marchands de journaux). Depuis son lancement, cette revue apporte à chaque numéro un nouvel angle de vue sur des évènements de la rue et la vie du monde, c'est un must, notamment
parce que l’on y sort du pré carré franco-français, avec une vraie attention aux
pays les moins développés.
Dans le dernier numéro, le numéro 10, vous pourrez
lire un article, dans le prolongement de ce billet, sur les conditions de vie
des personnes les plus pauvres, écrit par Christophe Robert, Délégué général
adjoint de la Fondation Abbé Pierre : il indique qu’au-delà du revenu, la façon
dont augmentent certaines charges assèche inexorablement et bien au-delà de ce
que disent des statistiques officielles, le revenu réel des personnes en
situation de pauvreté. L’article porte le titre : « Travailleurs pauvres : il faut en
finir avec le discours sur la méritocratie ».
Au
passage, j’en profite pour vous proposer de lire, dans ce même numéro 10 de la
revue XXI, 3 trois articles sur le Rwanda, notamment celui d’un ex-gendarme décrivant
la manière avec laquelle il a progressivement découvert la supercherie dans
laquelle il avait été entrainé par la hiérarchie française lors de l’opération
Turquoise au cours du génocide de 1994. Je ne me sentais pas fier d’être
français, je vous assure… et j’ai été bouleversé. Cet article est in-dis-pen-sa-ble !
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