Un thème d’actualité…
L’attente était importante : des polémiques
nombreuses sont en place autour de la question des personnes autistes, à la
fois du fait d’une forte médiatisation, mais également de procès divers et
variés. Trois thèmes forts dans les polémiques : 1. La recherche et son
développement supposé insuffisant en France, notamment du côté des
neurosciences, 2. Les nouvelles méthodes comportementalistes et leur supposée
plus grande efficacité par rapport aux autres méthodes professionnelles
notamment les écoles d’inspiration psychanalytique, 3. Des mises en cause de
pratiques sectaires (certaines associations posant des supposées méthodes
miraculeuses et enrôlant des parents à la fois dans des certitudes et dans un
rejet des professionnels). Ces
polémiques se sont amplifiées ces dernières années du fait notamment du
volontarisme des pouvoirs publics (un 2ème plan autisme en cours, le
soutien du développement de places en établissement, ou en milieu ordinaire), suscitant
une guerre d’influences (méthodes, centres ressources) entre experts très
éloignés, et surtout un lobbying important d’associations très entières dans
leur approche et volontiers dénonciatrices. Je pense notamment à la dernière
campagne anti-packing (le packing est un mode de gestion de comportement de
crise qui vise, par un enveloppement dans du linge mouillé, à permettre à la
personne de trouver une occasion d’apaisement) où les dénonciations ont été
très ciblées (notamment de la part de l’association Léa pour Samy) contre un
professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (Pierre Delion), dont
le moins que l’on puisse dire est qu’il est totalement étranger à toute
approche coercitive ou inhumaine.
… et un mandat donné à l’ANESM
La
recommandation de bonnes pratiques professionnelles, parue le 19 janvier 2010, répond
à un mandat confié à l’ANESM dans le cadre de la mesure 30-2 du Plan Autisme 2008-2010 :
élaborer des « critères de qualité des
interventions en direction des personnes autistes pour assurer la dignité des
personnes pour lutter contre les dérives et les pratiques dangereuses ». Ce
mandat est parallèle à un deuxième : l’élaboration, avec l’HAS, d’un cahier des
charges national et d’un référentiel d’évaluation des structures expérimentales
pour l’accueil de personnes autistes (mesure 29 du Plan Autisme, avec une mobilisation financière de 1 million d'euros). À noter, la recommandation du 19 janvier
est une première étape pour des travaux sur des références
opérationnelles : la mesure 9 du Plan Autisme comprend un travail de l’HAS
sur les pratiques professionnelles dans le secteur sanitaire, un travail
ultérieur de l’ANESM sur les pratiques professionnelles dans le secteur
médico-social et un encouragement à des recherches-actions dans des
établissements médico-sociaux.
Un contexte justifiant
une forte attente… un mandat très ciblé et exigeant… Nous aurions pu nous
attendre à un document particulièrement ciselé.
Un contenu à 3 composantes …
L’ANESM a utilisé, pour la
construction de cette recommandation, l’approche la plus courante de ses
élaborations de contenu, la « méthode
de consensus formalisé », issue du secteur sanitaire : analyse
bibliographique et études qualitatives, rédaction par un groupe d’experts de
recommandations, étude de ces recommandations par un groupe de professionnels
réalisant une cotation des contenus proposés, re-formalisation et validation
finale.
> Des principes directeurs : rappel des droits des usagers, spécificités des personnes avec autisme ou troubles envahissants du développement, prise en compte de l’interaction entre personne et environnement, vigilance spécifique à l’égard des situations de maltraitance.
> Un premier chapitre sur les modes d’accompagnement et de prise en charge : évaluation, co-élaboration du projet de vie, amélioration de la qualité de vie et du développement des potentialités, soutien de l’implication des familles et proches, gestion des « comportements-problèmes ».
> Un deuxième chapitre sur l’accompagnement des professionnels : au niveau des pratiques institutionnelles ou des pratiques des professionnels. C’est dans ce chapitre que sont présentés des contenus concernant la vigilance des personnes et des familles sur les risques de dérives liés à « certaines pratiques »
Le texte de 64 pages se trouve ainsi pensé comme un
document de base, plutôt centré sur une bientraitance des personnes, avant des
recommandations à venir sur des pratiques professionnelles elles-mêmes.
… qui nécessite de dire les choses
nettement : l’absence de rigueur dans la méthode…
M’intéressant à la construction du contenu, je
constate :
> Un groupe de travail de 13 personnes particulièrement interrogeant : la forte représentation d’une association nouvellement créée (ancrée dans une théorie particulière, la théorie de l’esprit) représentée par deux personnes (dont une présentant un syndrome d’Asperger, ce qui a pu apporter des contenus bien intéressants néanmoins), une très faible présence de spécialistes médicaux reconnus, en France comme à l’étranger, une très faible représentation des différentes types d’institutions, de professionnels et de pratiques, une psychologue développant en amont une approche sur les « comportements-problèmes » qui semble avoir eu une forte influence (son approche a été reproduite presque à l’identique dans le texte final). Heureusement, le groupe de cotation était un peu plus ouvert.
> Une étude bibliographique particulièrement pauvre : 16 livres, 15 articles, quelques guides (dont des guides étrangers), quelques sites Internet. Il y manque des apports vraiment structurés (écoles, concepts, théories et méthodes, tant en France qu’au niveau international). A ce niveau de travail, c'est quand même inquiétant.
> Une absence totale d’études sur les pratiques sectaires, les méthodes maltraitantes ou soupçonnées telles (parfois à tort), sur certains modes d’entrisme auprès des parents ou structures d’accueil pour personnes autistes. Comment mener un travail de recommandation, dans le mandat confié, sans réaliser cette recherche ?
… a donné un résultat décevant…
Les contenus eux-mêmes sont consternants :
> Une reprise des concepts de la bientraitance (la recommandation antérieure de l’ANESM) vaguement illustrés pour leur application auprès de personnes autistes ou souffrant de troubles envahissants du développement.
> Des lapalissades euphémistiques et consensuelles qui vraiment interrogent sur les apports réels de cette recommandation. Je cite un exemple de ces propos gratuits n’apportant rien mais ne pouvant être contredits, non reliés à des positionnements ou des méthodes : « il est recommandé que la personne apprenne à gérer, par anticipation, des situations susceptibles de générer du stress (évènement festif particulier, consultation médicale, situation inédite,…) ».
> Un contenu promettait d’être intéressant : la gestion des « comportements-problèmes » (approche soutenue par la psychologue Séverine Recordon-GaborIaud, membre du groupe de travail). Hélas, une définition est citée sans référence à des auteurs et, surtout, les 3 approches proposées (identification recherche de l’origine pour faire face, prévention et gestion des moments de crise) sont terriblement réductrices.
> Le contenu sur la gestion des apprentissages, qui pouvait donner des indications (y compris en termes de proscription) aux porteurs de telles ou telles méthodes est particulièrement pauvre (on ne soulève même pas la problématique que posent les sanctions dans certaines méthodes).
> Enfin, et là le texte atteint des sommets dans la platitude (désolé pour cette image !), le contenu spécifique sur les atteintes à la dignité et les pratiques dangereuses propose une demi-page (sur 64 !) de recommandations ridicules, ne nommant ni les situations ni les types de pratiques. On parle juste de « risques de dérives » (lesquelles ? c’est l’inconnu) « liées à certaines pratiques » (lesquelles, c’est également l’inconnu), on propose essentiellement de se renseigner et d’être prudent !
… qui ne peut qu’inquiéter pour
l’avenir
Je suis souvent critique, mais j’essaie toujours d’être pondéré et de
chercher les points positifs dans mon regard sur les recommandations de l'ANESM. Mais je
redis, devant ce texte précis, que l’euphémisme consensuel a ses limites et
qu’il n’est pas possible que l’ANESM assume des contenus d’une telle pauvreté,
surtout quand un mandat officiel lui est donné concernant des pratiques
dangereuses. La faiblesse bibliographique, l’absence de rigueur et finalement la
faiblesse des contenus, cela n’est pas concevable à long terme. Personne ne
peut sérieusement se référer à cette recommandation y compris même des parents
qui, grâce à Internet, ont accès à
un savoir bien supérieur au contenu de ce texte.
Je dirais même plus : les pouvoirs publics devraient, à terme,
interroger la crédibilité de l’ANESM si elle persiste dans de telles errances. Je
m’inquiète même, avec ce premier texte, de l’apport crédible de l’ANESM sur le cahier des charges et le
référentiel d’évaluation des structures expérimentales, ou sur des recommandations
plus professionnelles, si elle ne change pas radicalement de voilure dans son
exigence méthodologique. L’ANESM doit à tout prix se ressaisir et ne plus
produire une telle « non-recommandation »…
Daniel GACOIN
bonjour monsieur Gacoin, j'ai lu avec intérêt votre billet sur les recommandation de l'anesm sur l'autisme.
merci pour votre vigilanc.
pourriez-vous me dire en quoi, l'approche de la psychologue que vous citez est réductrice ? Pourriez-vous développer davantage votre pensée ,
merci d'avance.
je suis chef de service dans une MAS pour personnes atteintes d'autisme.
Rédigé par : blaise | 16 mars 2010 à 16:26
Bonjour,
Je réponds volontiers à votre question, en dehors de votre projet bien reçu. La référence à des comportements-problèmes m'a étonné par l'absence de construction de la définition (en gros, le comportement-problème est un "comportement qui constitue une gène") qui ne s'appuie sur aucun corpus de savoirs avérés, et surtout par la limite des modes de réponses proposés. La piste peut être intéressante néanmoins, mais n'est étayée que par trop peu d'exemples.
Cordialement
Daniel GACOIN
Rédigé par : Daniel Gacoin en réponse aux questions de Blaise | 29 mars 2010 à 05:46
merci pour votre réponse.
Rédigé par : blaise | 30 mars 2010 à 18:13
La terminologie "comportements-problèmes" situe bien la problématique et met en lumière le retard des autorités de tutelle en matière de réflexion sur le handicap autisme.
Les Troubles de Comportements (TC) ou plutôt les Stratégies Comportementales sont des comportements inadaptés à la communication pour les Neuro Typiques mais elles ne sont en fait que le seul moyen de l'usager à compétence verbale réduite de communiquer.
Les Stratégies Comportementales ou simples TC ne sont que l'expression d'une communication alternative qui a été déterminée empiriquement et acquise par l'usager à défaut d'apprentissage d'autre moyen alternatif de communication (PECS, LSF etc)...
Le terme Problème doit être vu du côté de l'institution car de fait ces "comportements-problèmes" interrogent réellement sur le rôle et l'accomplissement des missions des institutions qui n'ont pas su offrir à l'usager d'autres moyens de communication que le recours à des stratégies comportementales.
A une époque où l'on a compris que ce n'est pas à l'usager porteur d'une déficience de faire l'effort de s'intégrer mais à la société de faire l'effort d'inclure les porteurs de handicap, la terminologie "comportements-problèmes" reflète bien le retard de mentalité qui règne encore au plus haut niveau des institutions.
Si ces comportements posent problèmes, à qui la faute ? A l'usager ayant un système de communication déficient ou à celui-ci qui n'a pas su lui enseigner un moyen de communication alternatif ?
Les travailleurs du médico-social, qui n'ont pas intégré le principe fondamental que les "comportements-problèmes" des personnes avec autisme sont seulement un moyen de communication, sont conduits fatalement vers la maltraitance.
Cette non connaissance des fondamentaux est un des tous premiers signes précurseurs de la maltraitance.
Sans cette compréhension basique par les autorités de tutelle, celles-ci ne pourront impulser que des politiques publiques conduisant à la mise en place de systèmes de maltraitance institutionnelle.
Sans de solides formations et de solides connaissances, les décideurs des politiques publiques ne pourront qu'entretenir ces pratiques qui mettent la France au ban des nations avancées car ne rêvez pas, ces pratiques ne sont pas encore éradiquées et au mieux la maltraitance physique ne sera convertie qu'en maltraitance psychologique.
Rédigé par : Laurent | 04 octobre 2010 à 12:02