La future commission européenne…
Le grand public en France en aura peu entendu parler, cocoricos obligent
autour de la nomination de Michel
Barnier chargé du marché intérieur et des services
(qui interviendra dans la suite des négociations sur les services sociaux
d'intérêt général, les SSIG), mais une autre nomination a une importance
considérable pour les domaines sociaux.
Si la Commission Européenne concoctée par le
président José Manuel Barroso
est ratifiée par le Parlement européen, un homme politique hongrois, Làszlò Andor, sera chargé de l'emploi, des
affaires sociales et de l'intégration. Il s’articulera, au sein des 27
commissaires européens, avec la Suédoise
Cecilia Malmström (Affaires
intérieures, chapeautant les questions d'immigration), la Chypriote Androulla Vassiliou (Education, Culture, Multilinguisme et
Jeunesse), le Maltais John Dalli (Santé et Protection des consommateurs)
et enfin la Luxembourgeoise Viviane
Reding (Justice, Droits
fondamentaux et Citoyenneté).
Elément important !
Làszlò Andor est certes un économiste, mais il est très intéressé par les
questions sociales : ancien rédacteur
en chef de la revue trimestrielle hongroise Eszmélet (Conscience), revue
culturelle et sociétale de gauche, auteur de réflexions générales et de
propositions dans différents domaines :
> L’importance pour les États
d’avoir une politique économique très active et la nécessité pour les
gouvernements de contribuer à l’élimination des différences entre les citoyens
(notamment par la promotion de l’égalité des chances),
> La nécessaire d’une correction
du modèle économique capitaliste et d’un pouvoir plus important des
organisations internationales prenant en compte les intérêts de tous les pays
membres,
> La critique des actions de
l’OTAN (guerre en Irak),
> Le développement des régions
les plus défavorisées,
> La nécessité des gouvernements
eux-mêmes d’avoir une juste vision de leurs tâches en vue de la modernisation
de leur pays sans se référer uniquement à l’Union européenne.
Au moment de mettre en avant cette future
nomination, je la relativise, la politique sociale restant essentiellement,
principe de subsidiarité oblige, de la responsabilité des États.
… et
mon conseil de lecture : le livre de Jean-Claude Barbier « La longue
marche vers l’Europe sociale »
Précisément sur ces questions, je vous propose de lire ou de relire un
ouvrage paru en novembre 2008 « La
longue marche vers l’Europe sociale ». Il a été publié aux PUF dans l’excellente
collection Le Lien social. L’auteur est un sociologue, spécialiste des
politiques publiques, de la protection sociale, des questions de travail et de
ressources humaines, c’est également un « évaluationniste »
très en lien en France avec la Société Française de l’Évaluation.
Dans un premier chapitre, il
montre non seulement qu’historiquement la protection sociale est étroitement
associée à un fort sentiment d’appartenance à une communauté politique
nationale, mais que, de surcroît, les ressources et les dispositifs utilisés
(langue, administration, droit) sont fondamentalement débiteurs des
infrastructures nationales. Cela pose bien sûr la question d’une crédible
sortie de ces frontières instituées. La fin du chapitre historique est
relativement pessimiste, en lien avec le freinage des politiques sociales
européennes depuis 2004 : « comparée
à son volet économique, l’Europe sociale est à la traîne », « si
relance de l’Europe sociale il doit y avoir, les bons sentiments post-nationaux
ne sont pas d’une grande aide, ni le volontarisme ».
C’est précisément après ce constat
que l’ouvrage est intéressant car, pour Jean-Claude Barbier, c’est l’ignorance
de la diversité culturelle qui freine la marche vers plus de social. Toute la
seconde partie de l’ouvrage vise à expliquer comment prendre au sérieux,
sociologiquement, une telle diversité. Il passe d’abord en revue de nombreux
travaux comparatifs sur les approches sociétales, sur les typologies de la
protection sociale, sur les variétés du capitalisme, sur des querelles stériles
(universalisme-culturalisme), sur les possibles objectivations par les sciences
sociales. Il énonce ensuite deux principes éthiques de base incontournables en
matière de comparaisons internationales : respecter l’Autre pour faire de
la bonne science sociale, ne jamais défaillir dans la volonté d’établir des
vérités objectives.
Mais surtout, pour développer une
pratique comparative effective, il aborde dans une troisième partie la culture
politique de chaque communauté nationale :
par exemple la culture française (solidarité professionnelle, l’égalité
formelle, sécurité sociale) ou anglaise (universalisme du soutien minimal, tolérance
aux grandes inégalités ou encore principe de self-help) etc.. Autre exemple : les
modes de gestion de la solidarité, la pluralité des règles de négociation des
conventions, les rôles joués par l’État dans chaque système de protection
sociale sont révélateurs de l’importance des significations propres à chaque
société, etc.. Il insiste sur la difficulté d’un rapprochement rapide sans
clarification des termes de référence : ainsi « Fairness n’est pas
l’équivalent du français justice sociale, ni de l’allemand Gerechtigkeit
», ou encore le vocabulaire
à usage international (Workfare, flexicurité, etc.) « ignore les variétés culturelles, tronque les réalités nationales
et permet d’imposer des schémas d’action souvent contestables ».
L’esprit général des propositions
est intéressant, même s’il s’inscrit dans le très long terme : se garder
de toute tentation à l’uniformisation par l’économie et par le droit, et cela
au mépris de la diversité persistante de la politique et de la culture, agir
essentiellement en faveur du rapprochement des cultures, la compréhension
linguistique et surtout le sens des mots avec priorité aux langues et à
l’apprentissage réciproque des cultures. Si plus d’union et de solidarité sont
souhaitables dit-il, il convient de chérir la diversité et non l’uniformité, le
multilinguisme généralisé, seule chance d’un véritable et futur « vivre ensemble ».
Si l’ouvrage est parfois un peu
ardu, le plaidoyer est passionnant.
… avec pour se détendre, un
petit divertissement et des travaux pratiques
Puisque le multilinguisme est une
des voies pour avancer vers l’Europe sociale, je ne résiste pas au plaisir de vous
proposer de consulter régulièrement le site Cafébabel, et notamment la rubrique
« La Tour de Babel » (en
cliquant sur le lien suivant). Je m’amuse très régulièrement à y voir présentées
des curiosités linguistiques ou des comparaisons d’expression particulières,
parfois en argot ou en langue courante des différents pays. C’est souvent drôle
comme pour les différentes expressions …
> de parents parlant à leur
bébé : une même habitude pour faire « gazou-gazou »,
mais chacun avec des mots propres,
> dans le rapport avec les
anciens (de notre « Faut pas pousser mémé
dans les orties », à l’anglais « to teach one’s grandmother to suck eggs », soit « t’es entrain d’apprendre à une grand-mère comment gober
des œufs… »),
> évoquant des amours éphémères (du « rollitos de una noche
» espagnol au « botta e via » italien, etc.)
>
désignant le soupirant-confident éternel (le « pagafanta »
des espagnols, soit « celui qui paye des fantas »),
>
sur les femmes au volant (féministes s’abstenir),
etc.
etc.
Si
par l’humour, l’échange culturel, devenant amusant, est socialement utile,
comme le suggérait Jean-Claude Barbier, pas de raison de s’en priver !
Daniel GACOIN
Commentaires