J’ai eu la chance d’animer une journée nationale d’étude de l’UNAPEI (Union Nationale d’Associations de Parents et
amis de personnes handicapées mentales) le 4 décembre 2009 à Paris,
journée qui a réuni près de 200 participants sur le thème de l’évaluation. Elle
avait pour but de faire un point, assez large et en présence de nombreux
experts ou responsables publics, sur les positionnements et les pratiques qui
progressent dans les évaluations internes ou externes des établissements et
services sociaux et médico-sociaux (ESSMS).
Les contenus de la journée ont
largement tenu leurs promesses…
J’ai été frappé par la qualité des contenus
abordés :
> Des
confirmations de l’Agence Nationale de l’Évaluation Sociale et Médico-sociale,
l’ANESM (représentée à la tribune par Michèle Pondaven et dans la
salle par Dominique Lallemand) : conformément à sa recommandation de
juillet 2009 (voir mes 5 billets des 22 et 23 août 2009), l’ANESM rappelle une
définition claire de l’évaluation interne. Elle porte sur les effets produits
par les activités et leur adéquation aux besoins et attentes des personnes
accompagnées, ceci excluant toute démarche centrée sur l’examen d’une
conformité des pratiques à des standards.
> Des
prises de position fortes de Michel Laforcade (ancien
DDASS, spécialiste de l’évaluation et de la qualité, récemment nommé comme
préfigurateur de l’ARS du Limousin) : au-delà de ses propos philosophiques
(toujours aussi stimulants), il a rappelé la nécessité d’intégrer parole et
participation des usagers dans les démarches, et a repris un de ses principaux apports : la nécessité, selon
lui, de partir d’un référentiel (position peu en adéquation avec l’ANESM qui
considère possible le fait de ne pas en avoir) à condition d’en faire un
support « martyr »,
c’est-à-dire de le reconstruire.
> Des
explications de Pierre Savignat (auteur en 2009 de « L’évaluation interne des
établissements et services sociaux et médico-sociaux » chez
Dunod) : au-delà de sa faconde très plaisante, il a fortement indiqué
qu’il n’y a pas contradiction, mais complémentarité, entre les démarches
qualité et l’évaluation interne, à condition de ne pas les confondre.
L’évaluation en effet ne saurait être normative mais reste centrée sur les
missions et les effets des pratiques, au regard de besoins ; elle ne
devrait pas par contrecoup être basée sur l’examen d’une conformité à des
standards.
> Un
approfondissement intéressant de François Charleux (auteur en 2009 de « Réussir l’évaluation interne d’un établissement ou service
social ou médico-social », chez ESF-Éditeur - voir ma critique du
livre dans ce blog) : l’évaluation s’inscrit selon lui dans une vision
managériale (« évaluer le management
de la bientraitance »), avec en outre l’idée du caractère adaptable,
non normatif, ouvert d’un référentiel, devant être construit avec les acteurs
et partir des réalités de terrain.
> Des nombreuses questions sur l’évaluation externe, introduites
d’emblée par le directeur général de l’UNAPEI, Thierry Nouvel : sa complémentarité avec l’évaluation interne ?
Ses dates butoirs ? Son commanditaire ? Ses moyens ? L’éventuelle
publication de ses contenus ? Il y a avait parfois de l’inquiétude dans
les propos, à laquelle le décret sur l’évaluation externe (mai 2007) ne répond
pas totalement. Seules les dates butoirs (2 ans avant la fin de la première
autorisation de fonctionner pour toutes les structures existant avec le 21
juillet 2009), et le commanditaire de l’évaluation externe (demandée par
l’organisme habilité, mais « engagée à l’initiative de
la personne physique ou de la personne morale de droit public ou de droit privé
gestionnaire de l’ESSMS » dit le
décret) ont pu être réellement clarifiés.
> De très nombreux témoignages de terrain (ADAPEI de Haute-Loire, APEI de Maubeuge, APEI de Mantes la Jolie, un
ESAT d’Armentières) : ils attestaient la construction possible, réaliste,
utile des démarches d’évaluation, pourvu qu’elles soient construites sur
l’addition réelle des points de vue et sans « usine
à gaz ».
> La présentation par l’UNAPEI des outils
qu’elle met à disposition des adhérents
(notamment l’outil PROMAP 2).
Les contenus étaient certes sans surprise, mais il était intéressant de
voir des démarches en place, sans forfanterie, avec ce qu’elles supposent (loin
des gros discours idéologiques ou managériaux), avec ce qu’elles entraînent naturellement
(comme disait Pagnol), tant dans leur utilité que parfois leur difficulté…
Des témoignages d’usagers
particulièrement intéressants
> Celui
de la présidente de l’association « Nous aussi » : « Il est important qu’on soit consulté
sur la qualité des services que nous utilisons » disait-elle, « Il est important que nous donnions
notre avis ». Elle présentait quelques démarches pratiques pour cela
insistant pour affirmer qu’elles permettaient une évolution « indispensable pour être considérés et
vivre comme des citoyens à part entière ».
> Celui d’une personne déficiente et
travaillant dans un ESAT (accueil, standard) : elle a présenté la
participation d’usager lors d’une évaluation interne au sein de groupes de
travail, et notamment les points de vue qui s’y sont alors exprimés. Ainsi, les
usagers ont demandé que soient égalisés les salaires entre les travailleurs
oeuvrant sur le site de l’ESAT et ceux travaillant pour des prestations
extérieures (davantage valorisés). Très fortement également, les travailleurs y
ont manifesté leur net désaccord pour une implication de leurs familles, leurs
parents, sur leur lieu de travail. Enfin cette personne a tenu à indiquer quant
à sa participation à l’évaluation que : « c’était beaucoup de plaisir et de préparation, mais j’ai adoré ».
> Celui
d’une autre personne travaillant en ESAT :
l’évaluation, disait-elle, ce sont « des mots difficiles qu’il a fallu apprendre et
comprendre », mais « on
a tenu compte de ce que j’ai dit pendant les réunions », « j’ai pu
dire quand je n’étais pas d’accord » et « c’était dur mais positif ».
Une
conclusion
Cette journée a confirmé que le positionnement
de l’évaluation s’est clarifié, en partie, du côté des pouvoirs publics, mais
qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir du côté des experts pour prendre en
compte ce positionnement.
Les expériences engagées dans les ESSMS,
présentées de manière détaillée, ont montré une mobilisation et même une
utilité évidente pour les démarches réalisées.
J’ai surtout été intéressé par ces retours de
terrain, à travers les témoignages de professionnels, loin des grandes
questions politiques, également à travers la prise de parole de personnes
handicapées. Ils ont montré que l’approche « démocratique »
de l’évaluation, à travers la prise en compte et l’échange des points de vue,
dont celui des bénéficiaires, dépasse largement la seule approche « managériale », apportant un
travail sur des contenus concrets, liés à la vie des personnes et qui ne sont
pas des « petits » enjeux. Il
est alors possible, avec modestie, avec
respect, avec ambition d’en faire le centre des évaluations : c’est bien
une des conditions pour que l’humanité ne soit pas absente de la
rationalisation des organisations. Merci encore à tous ces témoins…
Daniel GACOIN
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