La Revue Esprit…
Dans notre
paysage, il existe des revues de culture et de pensée sur la vie en société,
certes anciennes, certes peu engagées dans la communication par Internet ou les buzz créant des évènements, mais qui restent des références. La Revue Esprit,
de haute exigence intellectuelle, créée en 1932 par le philosophe Emmanuel
Mounier, est de celles-là. Elle apporte une vision politique originale :
une philosophie personnaliste de départ, puis le développement d’une approche
personnaliste communautaire dans les années 1950, au point d’être assimilée à
la dérive philocommuniste (philosophes aveuglés et porteurs d’une
propagande pro soviétique) puis la
participation aux diverses tentatives pour faire naître une « nouvelle gauche », enfin un
rôle de carrefour intellectuel, toujours vivace aujourd’hui. Pour comprendre son évolution historique,
cliquez sur le lien suivant pour accéder à une synthèse publiée sur son site.
… et son apport à l’action sociale…
Mais pour les personnes engagées dans l’action
sociale et médico-sociale, La Revue Esprit apporte un héritage plus précis et
précieux encore. :
> Il est d’abord basé sur le lien entre Emmanuel
Mounier et l’École des cadres de chantiers de Jeunesse à Uriage, pendant la Seconde Guerre mondiale, parce que
cette école a été une pépinière de personnes engagées ensuite dans la vie
publique pendant les Trente Glorieuses, notamment dans les structures d’action
sociale. L’école d’Uriage a assumé une haute idée de l’éducation des jeunes (malgré
un lien, au départ, avec le thème de la reconstruction nationale du Maréchal
Pétain), basée sur le partage de vie et l’apprentissage réciproque. L’école est
entrée en 1942 dans la Résistance. Outre son directeur, Pierre Dunoyer de
Segonzac, et Emmanuel Mounier, l’École d’Uriage avait rassemblé des
personnalités comme Hubert Beuve-Mery (futur fondateur du journal Le Monde),
Paul Delouvrier et Simon Nora (des modèles de hauts-fonctionnaires engagés), Jean-Marie Domenach (intellectuel qui dirigera la Revue
Esprit jusqu’en 1976), Joffre Dumazedier (futur fondateur de l’Association Peuple et Culture
et auteur du célèbre livre de 1962, Vers
une civilisation du loisir ?), le chanteur Jacques Douai, Yves Robert (réalisateur de films dont le célèbre La guerre des boutons), Henri Joubrel (futur responsable des Éclaireurs de France et un
des pères du métier, reconnu,
d’éducateur spécialisé).
>
Cet héritage est plus précis encore puisque la Revue a sans cesse impulsé une
pensée influente sur le Travail Social, notamment à travers 3 numéros
majeurs qui restent une référence et ont été largement commentés
-
Un numéro de 1965 : L’Enfance
handicapée (avec la participation d’auteurs majeurs comme François
Tosquelles, un des penseurs de la psychothérapie institutionnelle), qui va
contribuer fortement à la nécessité de créer des institutions et des
professionnels, notamment les éducateurs spécialisés,
-
Un numéro de 1972 : Pourquoi le
travail Social ? Il présentait trois approches contradictoires :
la nécessité d’une action professionnelle auprès des personnes les plus
démunies ou handicapées, la défiance à l’égard d’une fonction de surveillance-correction du travail social (Michel
Foucault en était l’auteur), une autre vision du travail social (« le travail social, c’est le corps
social en travail »)
- Un numéro de
1998 : A Quoi Sert Le Travail Social ? Il interrogeait la diversité des situations
d’intervention sociale, leur réelle utilité (on est alors très porteur d’une
approche évaluative), et la logique d’un même secteur institutionnel pour des
approches et institutions souvent contradictoires.
C’est pourquoi je reste un lecteur assidu de cette Revue, en vous
incitant à vous y abonner, ou à acquérir ses numéros en librairie.
Le dernier numéro de décembre 2009…
et l’article sur l’affaire d’Angers…
J’étais été très intéressé par un article, à la fin du dernier numéro,
intitulé Droits des grands-parents,
droits de la femme, droits de l’enfant : quelle hiérarchie ? En
huit pages, il revient sur la récente controverse judiciaire d’Angers… J’en
rappelle les termes : un couple, apprenant que leur fille avait accouché
sous X, engage une procédure pour pouvoir faire des tests génétiques prouvant
qu’ils sont les grands-parents de l’enfant qui est né, pour pouvoir donc faire
annuler, à terme, son statut d’adoptabilité et surtout pour pouvoir demander en
fin de processus la garde de l’enfant. L’affaire, qui a fait un certain bruit,
a démarré, non par cette demande, mais par une position d’un juge des référés
du TGI d’Angers qui a autorisé des examens sanguins et une comparaison entre le
sang de chacun des membres du couple et l’enfant concerné… La
conséquence : l’annulation juridique, de fait, de la volonté de la mère
d’effacer tout lien entre son enfant et ses ascendants, et plus globalement une
question, largement médiatisée, sur une éventuelle avancée vers la disparition de
l’accouchement sous X.
… avec un petit rappel tout
d’abord…
> La loi sur l’accouchement de manière anonyme (appelé accouchement
sous X) correspond à une histoire ancienne. Si le droit romain était contraignant (une traduction dans le droit civil du Mater semper certa est, pater semper incertus : la mère est toujours connue de manière sûre, le père, lui, est toujours
incertain), en France, Vincent de Paul avait instauré « le tour », tourniquet dans le mur d'un hospice où une
mère pouvait déposer l'enfant en sonnant ensuite une cloche, pour avertir l’hospice
afin de faire basculer le tour et de recueillir le nourrisson : il
s’agissait de lutter contre les infanticides, les
avortements ou les expositions des enfants abandonnés. La législation a
confirmé ce positionnement en 1791, en 1904, en 1941 (avec un décret-loi sur la
protection de la naissance : accouchement anonyme, prise en charge gratuite
de la femme un mois avant et un mois après le l'accouchement), également dans
les lois suivantes.
> Néanmoins, un lobbying fort se met
en place dans les années 1980-1990 autour du droit à l’accès aux origines pour
les enfants concernés par ces accouchements sous X : « l'intérêt de
l'enfant à connaître son origine familiale » est reconnu comme une « composante
du droit à la vie privée »,
défendu par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. Ce lobbying aboutira à la
loi du 22 janvier 2002 et la création par Ségolène Royal du Conseil National pour l'Accès aux Origines Personnelles
(CNAOP) : sans annuler une volonté express de la femme qui
a demandé le secret de son identité, le
CNAOP peut recevoir des demandes d’enfants (sans limite dans le temps) et
favoriser une demande de levée du secret de l’identité des parents, recevoir
une volonté nouvelle de parents de faire connaître leur identité. Le CNAOP sert
alors d’intermédiaire. Mais la loi a toujours maintenu le respect de la volonté
d’une femme (malgré la volonté d’un enfant, ou d’un père, ou de grand-parent)
de garder son anonymat.
… et le contenu de cet article
Analysant les tergiversations, l’hésitation
de la Justice dans une situation complexe ou s’entrechoquent des intérêts
personnels ou juridiques contradictoires, l’article montre le privilège final
d’un des points de vue (en l’occurrence celui des grands-parents) :
une décision qui ne contribue ni à la clarté, ni
à la solidité du droit, fragilisant un édifice dont il est le garant… L’article
détaille ainsi :
> Une confusion introduite par la justice,
reprise largement dans les termes utilisés par les média (parce qu’il est
difficile de trouver des désignations adéquates) : les termes
« parent », « mère », « grand parent » sont
appliqués au mépris du droit alors que par sa décision, la femme qui accouche
sous X affirme qu’elle n’est pas la mère,
> Une clarification : la décision de
justice, contrairement à ce qui a été dit ici ou là, ne permet pas, en l’état,
aux « grands-parents » de
revendiquer quoi que ce soit : une garde de l’enfant n’est pas
envisageable, tout juste une dénonciation de l’adoptabilité qui n’est pas un
gage de qualité-stabilité pour l’enfant,
> Un avertissement : la décision de
justice est inscrite dans une tendance générale au refoulement du droit à
l’accouchement sous X qui tient insuffisamment compte des conséquences (déclarations
de fausse identité, abandons dangereux, infanticides…),
> La réalité de l’intérêt et des droits de
l’enfant : le statut et le développement affectif stable sont loin d’être
acquis avec cette décision,
> La droit de la femme : la solution
choisie (atteinte au droit à l’accouchement anonyme) est justifiée par des
atermoiements supposés, que rien ne prouve, et on se trouve devant un déni de
droit,
> Les droits des
« grands-parents » : ils sont peu compréhensibles avec cette
décision (pour être « grand-parent », il faut qu’il y ait
« parent », or la femme concernée ne l’a pas accepté) puis basés surtout
sur une acceptation d’un désir (inscrire un enfant dans une lignée familiale),
non sur des arguments juridiques.
Sa
thèse finale ?
Le droit d’adultes
revendiquant un statut grand-parental a été privilégié sur le droit de la femme
(anonymat, autonomie de décision par rapport à ses propres parents) et sur
celui de l’enfant (protection et bien-être) sans que les conséquences de ce
privilège n’aient été raisonnablement évaluées.
Je pense qu’il est judicieux, notamment au
moment où va s’engager un débat majeur sur la « bioéthique », que cette tendance à privilégier un « droit à » du groupe le plus
influent ne soit pas la règle, sans examen de toutes les conséquences
possibles.
Daniel GACOIN
PS :
à noter, dans ce numéro :
> Un dossier consacré au thème de la Terre et ses limites : les enjeux écologiques,
mais également économiques et sociaux de la gestion mondiale actuelle, avec
un très intéressant article sur le défi de la gauche, et un autre article,
remarquable, sur la ville durable
> Un petit article complémentaire au
contenu limpide : Le projet du Grand
Paris peut-il ignorer la question sociale ?
> Un autre petit article sur l’arrivée des
Agences Régionales de Santé,
> Enfin une critique du dernier film de
Jim Jarmush, « The limits of
control ». Cette critique est remarquable et je vous conseille d’aller
voir le film après l’avoir lue : cela donne des clés de lecture indispensables pour
ce film à voir absolument !
bonjour Daniel Gacouin C'est de nouveau J. Montfort travaillant au CAE de SURESNES (92) qui vous dit bonjour et vous souhaite une Année N° 10 riche en trouvailles pour améliorer la qualité du lien social ,ce qui n'est pas une mince affaire!...a bientôt Cordialement !(01 47 28 03 03:lieu de travail)
Rédigé par : montfort j | 29 décembre 2009 à 12:05