Des
évènements récents indépendants mais révélateurs…
Vous aurez peut-être été alertés par des évènements a priori
indépendants, inégalement repris par la presse, concernant la Protection Judiciaire
de la Jeunesse (la PJJ) : 1. L’annonce d’une accélération de la lutte contre la
délinquance des mineurs, 2. L’avancée d’un corps d’auditeurs au sein de cette
même administration de la PJJ, 3. Un drame humain (tentative de suicide sur le
lieu de travail) d’une directrice départementale de cette administration, 4. La
sortie enfin, il y a huit jours, d’un ouvrage très intéressant de Dominique
Youf,« Juger et éduquer les mineurs
délinquants », édité chez Dunod. Ces 4 évènements sont des
révélateurs : un changement est à l’œuvre au sein de la PJJ, qui peut
encore basculer vers le pire ou le meilleur.
… d’une recherche d’amélioration,
d’un changement
Rappelons d’abord que la PJJ est une des directions du Ministère de la
Justice, en charge de la projection de la jeunesse, gérant les actions
éducatives auprès de mineurs, notamment délinquants, dans des établissements ou
services PJJ ou supervisant les établissements et services du « secteur associatif habilité », mettant
en œuvre les mêmes types d’actions. Cette administration a été soumise, depuis
près de 15 ans, à un recentrage progressif sur le public des mineurs
délinquants (et non plus de tous les jeunes en danger), avec un développement
de nouvelles formes d’action. Une des conséquences : des réorganisations
successives (du national au local) reliées à un plan en plusieurs étapes
engagées depuis 2002. Elles ont été accélérées après de fortes remises en cause
(notamment un rapport de la Cour des Comptes détonnant en 2003 : on y indiquait
par exemple que la PJJ ne savait pas combien de mineurs elle suivait, n’avait
pas de contrôle de gestion réel, l’inadéquation activités / ressources par
site, un contrôle externe « lacunaire »,
etc.). La Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) a favorisé
l’évolution des structures et du nombre d’agents (en augmentation dans certains
domaines, en diminution dans d’autres). Cette évolution est souvent éloignée
d’une conception globale s’appuyant sur ses déterminants visibles dans des
champs politique, philosophique, stratégique, organisationnel ou technique.
Le sens
politique du changement dans le vent de réformes continuelles ?
La Garde
des Sceaux parle, quant à elle, de réformer « l’ordonnance
de 45 » (texte de février 1945 évoquant la primauté de l’éducatif pour
les mineurs délinquants, les principes d’irresponsabilité pénale et de
juridictions spécialisées pour ces derniers). Elle serait
remplacée par un « code de la justice
pénale des mineurs » avec pour but de rendre lisibles les textes (« on s’y perdait dans les ajouts
successifs au texte de 1945 », dit la Ministre), de renforcer la
pédagogie de la sanction, de faciliter des procédures plus accélérées (saisines
directes des formations de jugement, limitation de la durée de certaines
investigations, tribunaux de mineurs statuant à juge unique pour les
infractions les moins graves), de pouvoir sanctionner les éventuelles inexécutions
de leurs obligations par les mineurs. La Ministre souhaite poursuivre le
recadrage des interventions pénales ou éducatives : caractère exceptionnel
de l’emprisonnement des mineurs, collaboration équipes éducatives / équipes
pénitentiaires, mise en place d’un dossier unique de personnalité pour les
suivis éducatifs, sanction forte pour les multirécidivistes. Il est question d’amplifier
l’implication parents et des victimes. L’objectif est d’aboutir à un projet de
loi d’ici l’été 2010.
Compte tenu du caractère répétitif de ces réformes / intentions, j’ai
apprécié que le Premier ministre propose de créer
une « mission permanente d’évaluation de la politique de la prévention de la
délinquance », en collaboration avec les mairies. Il va y avoir
du travail ! Textes non mis en œuvre, mesures non financées, approches à
vertu incantatoire… les décalages entre intention et réalité sont en effet bien nombreux.
L’événementiel, la politique du chiffre, les réorganisations apparentes risquent
de primer sur la politique réelle, fût-elle pour partie sécuritaire. Il serait
temps de revenir à une conception fondée, globale, équilibrée, d’une politique
de lutte contre la délinquance qui comporterait (enfin !) trois volets
complémentaires :
1. La sécurité publique et l’acceptation
d’une démarche de « prévention
situationnelle » complète (cette doctrine, pourtant intelligente en
matière de sécurité publique, est rarement détaillée et présentée dans sa
globalité, et je vous propose de la comprendre dans l’excellent ouvrage : La sociologie de la délinquance juvénile,
de Gérard Mauger sorti au début de l’année 2009 aux Éditions La Découverte),
avec sa partie sécuritaire certes, mais reliée à un ensemble cohérent.
2. Une justice des mineurs, avec des
juridictions permettant, même de façon accélérée et rigoureuse, l’exercice d’une
mise en scène de la relation à trois composantes (victime, auteur et ses
représentants légaux, société), sans contamination par les médias, avec un
arsenal gradué de mesures à dimension de sanction, de réparation, d’éducation
et de protection de la société.
3. Une intervention éducative, auprès des
mineurs notamment, pour laquelle il n’y a pas besoin de se précipiter outre
mesure : une intervention systématique et importante dès le premier fait
de délinquance, avec un investissement massif, puis une approche graduée en cas
de récidive, sans crainte de penser rétorsion (pour un temps donné), en
développant des actions d’apprentissage, en articulant les mesures
individuelles et une dynamique d’insertion dans la vie de la cité, avec une
politique de prévention globale, gérée par les maires (mais pas une gestion des
suivis individualisés).
Une réforme de plus est inutile, il suffirait
d’appliquer ce qui a été voté (rappelons que les mesures de 2006-2007, prévues
par la loi notamment, sont pratiquement inappliquées), ou ce qui est décidé
(rappelons que de nombreuses décisions de justice concernant les mineurs, dont
les mesures suivies par la PJJ, ne sont pas appliquées faute de moyens !).
De ce point de vue, il me semble que toutes les mesures nécessaires sont déjà
en place et qu’il est inutile de chercher encore et toujours à inventer de
nouvelles mesures qui seraient miraculeuses.
La
dimension stratégique du changement : pilotage ou contrôle ?
Un autre événement mérite le détour. En pleine période de mise en place
de l’objectif stratégique d’augmentation de l’activité de ses centres
d’hébergement (FAE, CER, CEF), de lancement de la nouvelle mesure d’activité de
jour, la direction de la PJJ met en place un corps d’auditeurs : 120
agents à terme, recrutés parmi les cadres (attachés territoriaux des directions
départementales ou régionales, directeurs), pour une administration qui compte
environ 3 800 éducateurs et 800 cadres, soit une ponction de près de 3 % de l’effectif
pour cette nouvelle fonction : mener des audits dans le cadre de la
mission de contrôle et d’habilitation des établissements et services, qu’ils
soient PJJ directement ou gérés par le « secteur associatif
habilité ». Une formation de ces auditeurs vient de débuter, il y a 3
semaines.
J’ai tout lieu de penser que la légitimité de ces « auditeurs », malgré leur utilité, sera loin d’être
fondée, précisément parce qu’il s‘agit d’audit (une recherche de conformité à
l’égard de certains points ? une évaluation des résultats ?) et non
d’une démarche conjointe dans le cadre d’un contrat de pilotage (de type
contrat d’objectifs et de moyens) ou d’une démarche d’inspection comme cela se
faisait auparavant (et plutôt bien ces dernières années). Je continue par
ailleurs à être très étonné de l’absence d’appel à des experts du secteur
habilité pour la formation des « auditeurs ». Je m’interroge sur
l’utilité d’une démarche de plus : contrôle-inspection, audit, évaluation
interne, évaluation externe… Il faudra bientôt plus de temps et de monde pour
toutes ces démarches que pour le travail de terrain avec les jeunes concernés…
La dimension stratégique et
organisationnelle du changement : les mauvais côtés du NPM…
Autre événement très interpellant, une réalité humaine dramatique à la
Direction départementale de la PJJ à Paris rapportée par la presse, une
tentative de suicide par la responsable de cette direction, en lien avec un
contexte général (réorganisations internes : recentrage sur le pénal,
fermetures de structures, ouvertures de nouvelles structures).
Il me semble particulièrement impossible de commenter une situation
individuelle, sinon pour rester à l’écoute et respectueux de ce quelqu’un a pu
vivre. En outre, je trouve toujours difficile de parler de stress au travail,
en se centrant sur la situation vécue par une personne (sa perméabilité, sa
gestion personnelle du stress, etc.) et de ne pas travailler les questions
organisationnelles et stratégiques dans lesquelles se développe ce stress.
Concernant la PJJ, il me semble important de proposer 2 axes de réflexion :
d’abord l’application du premier précepte du New Public Management (doctrine qui nous envahit depuis 10 ans),
ensuite la difficulté à développer un vrai management stratégique.
Dans la fonction publique, le management stratégique prend sa place dans
la doctrine du New Public Management
(voir mon billet du 30 août 2009) qui professe notamment la nécessaire
séparation, le cloisonnement à développer entre les cadres engagés dans le
management stratégique (qui définissent les buts et les moyens de les atteindre, en
lien avec une politique globale) et ceux engagés dans le management opérationnel (qui conduisent les acteurs de terrain dans leur activité, en lien avec ces buts
et moyens définis en amont). Je pense vraiment que l’erreur doctrinale,
l’erreur stratégique en outre, l’erreur humaine également, se situent
précisément dans ce processus clé, source des déviations : des dirigeants
a priori intelligents mais qui sont forcément conduits, sans connaissance de
terrain, à lancer des objectifs stratégiques sans écoute des réalités, sans
intuition fondée, par des injonctions tombant « comme des cheveux sur la
soupe », traduites en comportements liés à une politique du chiffre. Je
propose donc de repenser les modes d’organisation pour traiter des plans
stratégiques autrement, dans une véritable gouvernance (stratégie de
co-construction en amont des diagnostics, stratégie de co-construction en aval
des modes de mise en œuvre des orientations).
Concernant le management stratégique, il est important de rappeler que
les applications actuelles, en fonction publique, des approches managériales
sont particulièrement éloignées des véritables définitions conceptuelles et
pratiques de ce que l’on appelle le management stratégique : en clair, je
propose aux dirigeants stratégiques à la PJJ (du niveau national au niveau
inter-régional ou régional) de relire Henri Mintzberg… Il y a vraiment des
concepts à retravailler, sans remettre en cause le principe même du management
stratégique (plan, objectifs, résultats).
La dimension philosophie et technique
du changement : l’action éducative auprès des mineurs délinquants…
J’ai bu du petit lait en parcourant dans le détail l’ouvrage de
Dominique Youf, « Juger et éduquer
les mineurs délinquants », édité chez Dunod. Le lecteur fidèle de ce
blog se rappelle peut-être un billet de septembre 2006 (déjà 3 ans !!) sur
un article du même auteur paru dans la Revue Esprit, article qui s’appelait « Éduquer et punir ». Pour
mémoire, Dominique Youf est un professionnel, ayant un long parcours à la PJJ
avant de devenir chercheur et auteur sur les droits de l’enfance.
Son analyse était déjà remarquable que je résumerais ainsi : 1. Le
modèle d’intervention éducative, hérité de « l’ordonnance
de 45 », auprès des mineurs délinquants, dans les années 1970, qu’il
appelle « modèle
thérapeutique » a échoué, ce qui justifie que soient explorés d’autres
modes d’intervention auprès de ces mineurs (responsabilisation, position active
dans des apprentissages, etc.), 2. La réforme de la justice pour les mineurs
est très éloignée, depuis 15 ans, du modèle de 1945, notamment avec la
responsabilisation accrue des auteurs de délits, 3. Toute réforme de la justice
doit intégrer le nécessaire traitement, à égalité, des trois parties prenantes
que sont les auteurs, les victimes, la société.
L’ouvrage d’aujourd’hui reprend et démontre toutes ces thèses. Il ajoute
et détaille une partie nouvelle, qui m’a marqué en tant qu’éducateur :
l’impératif éducatif, non incompatible avec les réformes en cours et la
responsabilisation, suppose identification et volonté de développement des
capacités d’un jeune, non sa seule adaptation aux règles et au monde, une
nouvelle pédagogie est en cours de développement (position active, responsabilisation,
contrainte, découverte et développement de capacités) qui peut à terme résoudre
l’impasse antérieure (échec du modèle thérapeutique). J’ai trouvé les derniers
chapitres très constructifs : loin des hauts cris (haros sur la politique
sécuritaire), un cadre conceptuel à la fois philosophique et éducatif pour
intervenir auprès des mineurs délinquants, là où ils sont (y compris en milieu
carcéral). Un bon support pour penser, un bon support pour concevoir et mettre
en oeuvre des projets.
Merci encore Dominique, dans la foulée des trois évènements cités plus
haut, tu démontres qu’il est encore possible d’investir dans des projets, dans
la protection judiciaire de la jeunesse.
Daniel GACOIN
Bonjour,
Le fonctionnaire de la PJJ que je suis est comme il se doit tenu à un devoir de réserve concernant les faits dramatiques survenus à la DDPJJ de Paris le 15 septembre 2009. Le syndicaliste du SPJJ-UNSA, élu national à la CAP des directeurs de la PJJ se retrouve en revanche assez bien dans les informations et analyses livrées par Daniel avec mesure et acuité.
On peut notamment ajouter conternant la défenestration de la directrice départementale de la PJJ de Paris, dont encore une fois, le sens qu'elle a tenu à donner à son geste relève de la sphère de l'intime et qu'il doit être respecté comme tel. Il lui appartiendra, si elle le souhaite un jour de s'en expliquer. En revanche, sa mise en oeuvre sur le lieu de travail, dans le contexte décrit par l'animateur du présent blog, y compris au regard de la mise en perspective lumineuse réalisé par le décidément fort talentueux Dominique YOUF, nous amène à souligner deux effets colatéraux :
- un effet cataclysmique au plan national à la PJJ et plus largement dans le champ d'une protection de l'enfance fortement destabilisée par les réformes successives trop vite et mal menées.
- un effet catarthique de libération de la parole de l'encadrement (et pas seulement !) à tous les niveaux de la hiérarchie PJJ tenue ces dernières par une forme de caporalisation des esprits et d'empêchement de penser insidieusement imposés notamment aux cadres dits fonctionnels et entièrement soumis au bon vouloir du Prince. Le SPJJ-UNSA a ainsi diffusé au plan national un texte titre "Rompre l'isolement" qui suscite en retour des centaines de témoignages exprimant ce qu'il est désormais convenu de nommer de "la souffrance au travail" qui produit trois types d'effets :
- de la maladie (somatique ou psychique) dont le suicide constitue une forme d'acmé dans l'expression de la souffrance. Bien que les cancers, AVC, dépressions... portées à notre connaissance soient à considérer avec attention. Il serait ainsi utile d'étudier les rapports produits par les médecins en charge de la prévention dans les juridictions
- des départs largement encouragés ou suscités sur le modèle managérial fort performant de FRANCE TELECOM...
- de la résignation. Ce qui est bien le pire effet dans notre champ d'intervention ou l'action éducative a besoin d'invernants motivés, impliqués et fortement équilibrés pour "faire autorité" avec lesquels il aurait été bien plus judicieux de "co-produire" et d'accompagner les changements. Mais le bon sens reste t-il la chose au monde la mieux partagée suivant le propos du fameux inventeur du cogito... au moins autant que la bêtise serai-je tenté d'avancer à cette heure matinale !
Rédigé par : Maxime ZENNOU | 12 octobre 2009 à 04:13
bonjour,
Directeur de projet à l'administration centrale de la PJJ, je suis chargé de suivre la mise en oeuvre de sa réforme territoriale. A ce titre, éminemment concerné par la conduite du changement et sa communication, j'ai rédigé la réflexion qui suit en juillet 2009, dans un cadre de formation personnelle, et ressens aujourd'hui le besoin de la partager : libre de parole et d'esprit,j'appelle de mes voeux la refondation d'un projet partagé pour la PJJ, avec des personnels engagés et fiers de leur mission, prêts à discuter des méthodes de l'impératif éducatif d'aujourd'hui.
Réformes à la Protection Judiciaire de la Jeunesse :
quand la recherche de l’efficacité croise la quête du sens.
Héritière de l’Education surveillée créée pour mettre en œuvre l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, la Protection judiciaire de la jeunesse a vu ce texte fondateur modifié à plus de trente reprises, et est régulièrement critiquée sur son efficacité, notamment à l’occasion des campagnes d’opinion concernant la sécurité ou la violence des jeunes.
Particulièrement interrogée depuis une dizaine d’années quant à ses méthodes, son organisation et son administration, elle a engagé des réformes structurées dans un premier Projet Stratégique National 2004-2007, et aborde la période actuelle, qui voit se cumuler la Révision Générale des Politiques Publiques, la réforme de l’Etat, celle de la carte judiciaire et la refonte de l’ordonnance de 1945, avec un second PSN 2008-2011.
Un an après la finalisation du projet, les professionnels sont inquiets, les cadres déboussolés, les partenaires et interlocuteurs défiants.
Nous faisons l’hypothèse d’une double erreur d’appréciation :
- minimiser l’ampleur du changement en le réduisant à une simple évolution imposée par des évènements extérieurs, et à ce titre nier la menace ressentie sur l’identité même de l’institution
- installer un manque de communication sur le sujet, le changement est décidé et il s’agit de le transmettre dans une logique linéaire, celle qui suppose que l’étude de la cible est réalisée au bénéfice de celui qui a l’initiative de presser la gâchette. [1]
Le changement n’aboutira pourtant qu’en mixant fabrique de sens et chaîne d’appropriation.
Une accélération des réformes
Le premier PSN a été élaboré dans une période où l’évolution du regard porté sur la jeunesse en difficulté a fait peser sur la PJJ une attente particulièrement forte et une exigence de résultats rapides sur tous les plans.
De grandes institutions extérieures ont posé sur elle un jugement critique :
- un rapport d’enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs soulignait en juin 2002 « les difficultés d’une petite administration à mener les multiples tâches qui lui sont assignées et les pesanteurs d’une gestion terriblement bureaucratique ». [2]
- puis un rapport de la Cour des Comptes en juillet 2003, après avoir relevé nombre de faiblesses, d’incohérences, d’insuffisances et d’anomalies, observait que « tant le cadre juridique que l’environnement administratif dans lequel s’insère la PJJ, donnent l’impression que celle-ci et, plus globalement la justice des mineurs, sont largement abandonnées à elles-mêmes. » [3]
Des programmes nouveaux et lourds ont été mis à la charge de la direction, les moyens et les méthodes ont dû émerger en même temps que le travail s’accomplissait.
Au-delà de l’objectif de qualité qui dut présider à l’ensemble des tâches au quotidien, la PJJ fit porter l’essentiel des axes de travail de son projet 2004-2007 vers la modernisation de sa gestion et la professionnalisation de son administration.
Le second PSN, élaboré pour la période 2008-2011, se concentre sur les missions de l’institution et l’adaptation des méthodes éducatives aux évolutions du cadre normatif et du public pris en charge. Il répond aux observations formulées à l’égard de la justice des mineurs : moderniser l’organisation et les méthodes de travail pour être plus lisible, plus rapide, de meilleure qualité et plus proche des besoins des mineurs pris en charge et des attentes des citoyens. Il coïncide avec le mouvement engagé de révision générale des politiques publiques, qui voit l’intervention de l’Etat se concentrer sur ses missions prioritaires, tant pour des raisons économiques que d’efficacité.
La démarche projet étant engagée depuis quatre ans, ce second PSN n’a pas été accompagné d’une communication particulière, et la notion de changement n’a pas été mise en avant, alors même que l’institution est bouleversée dans son organisation territoriale, ses modes de gestion, et son orientation.
Tout se passe alors comme si la direction pensait que les professionnels allaient naturellement s’adapter à des transformations évidentes, pensées pour renforcer l’institution alors qu’elles sont en train de l’affaiblir en provoquant ressentiment, démotivation et confusion, au moment où elle a besoin de la créativité et de l’engagement de chacun.
Un changement de paradigme
Aux origines de l’Education surveillée, on trouve le mythe fondateur [4] si bien exprimé dans l’exposé des motifs de l’ordonnance de 1945 : « la France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. » Le choix de société ainsi affirmé proclame le droit à l’éducation pour les jeunes déviants, l’institution créée pour mettre en œuvre ce projet se sépare de la tutelle de l’administration pénitentiaire, et la réforme statutaire engagée dès les premières années prétend recruter des hommes et des femmes d’élite, mieux reconnus que les instituteurs de l’époque. Le statut de 1956 des éducateurs de l’éducation surveillée installe un corps qui aboutit au grade de directeur hors classe, il ne sera modifié qu’en 1992, en même temps que l’institution change de nom, avec la séparation du corps des éducateurs de celui des directeurs, qui s’ouvre alors au recrutement externe et à une formation initiale.[5] 80 % des directeurs territoriaux en place aujourd’hui sont issus du corps des éducateurs, présenté pendant des décennies comme légitime et suffisant à lui seul à garantir l’orientation éducative de l’institution.
Placée à la croisée de l’autorité judiciaire et de l’autorité administrative, la PJJ a toujours laissé une large place aux initiatives locales des éducateurs. Il lui en est resté une culture de « l’automissionnement » [6] fondée sur une revendication de l’autonomie de l’acte éducatif, une tradition de l’expérimentation à la base et une crainte de voir la profession instrumentalisée au service de politiques répressives.
Même chez les éducateurs recrutés plus récemment sur la base d’un niveau universitaire plus élevé, la conception du métier est peu théorisée. Elle semble s’appuyer davantage sur des valeurs morales que sur des références aux sciences humaines, et nous pouvons être frappés par la persistance, dans le discours des éducateurs, de références aux valeurs humanistes fondatrices de la profession : altruisme, engagement personnel, intérêt pour les relations humaines, en particulier avec les jeunes. [7]
Impossible de ne pas reconnaître dans cette esquisse « l’organisation militante » [8] décrite par François Rousseau, qui fonctionne selon le triptyque suivant : « un mythe auquel des tribus qui se reconnaissent par la pratique de gestes rituels donnent du sens ». Le mythe est le domaine du projet, de l’intention poursuivie, la tribu celui des hommes et des femmes impliqués dans ce projet, et les rites forment les activités pratiquées régulièrement et qui permettent de se reconnaître.
Il y a risque de crise dès que l’on observe des désajustements entre ces trois pôles ; or, la période du premier PSN a été marquée par une forte progression du système de gestion et d’administration de la PJJ, dans un contexte où la nécessité de rendre compte de l’activité à des tiers de plus en plus nombreux et exigeants a produit des outils de gestion qui tendent à mettre en évidence uniquement les aspects observables de l’organisation mais pas de rendre compte de ses orientations et finalités : les travaux de Michel Berry [9] sur les instruments de gestion montrent qu’ils ont une fâcheuse tendance à borner l’horizon décisionnel au sein de l’organisation en l’enfermant dans un cadre restreint par quelques principes, critères et indicateurs.
Nous sommes passés d’un système, artisanal et peu formel, où les décisions étaient prises sur le lieu de l’action, à un espace institutionnel où les situations de gestion et de l’activité sont devenues distinctes, avec la sphère des décisions stratégiques et celle de production des activités ; la modernisation a trop dissocié la machinerie concrète (le contrôle de gestion, les tableaux de bord, les systèmes d’information) du travail sur le sens (sommes-nous utiles? pour qui ?).
Les outils ont été promus sans expliciter à quoi ils allaient servir, ils se sont succédé à une cadence accélérée, sans pouvoir être appropriés, et leur prévalence laisse croire que l’on ne s’intéresse pas aux relations humaines, aux modes de commandement et d’expression de la responsabilité et de la liberté de chacun.
Un déficit d’appropriation
Dès lors, le changement en cours renvoie à la recherche du sens, les efforts habituels de conduite de changement dans le secteur public ne suffisent pas. L’enjeu consiste à redécouvrir au cœur des services développés par la PJJ leur finalité, celle qui se rapporte au projet sociétal de l’institution, pour réaffirmer sa primauté : après intégration de la logique gestionnaire, il convient de rechercher une nouvelle combinaison pour rassembler les agents autour du dessein et enrayer le mécanisme de dislocation du projet initial.
Au regard de l’histoire de la PJJ, et de son identification à une organisation militante, la priorité doit être de clarifier le sens de l’action et les valeurs qui la sous-tendent.
Le risque existe de résumer la réforme de l’organisation territoriale à un enjeu organisationnel, susceptible de prendre le pas sur la mission éducative, le déficit d’explication doit impérativement être comblé, sous peine de caricaturer une réforme qui comporte de réelles opportunités pour la PJJ. [10]
Les conditions dans lesquelles le projet a été diffusé et mis en œuvre alimentent un climat anxiogène au sein de la PJJ mais aussi des inquiétudes ou des réactions de la part des principaux partenaires : c’est ainsi que beaucoup d’interlocuteurs ont regretté de n’avoir eu connaissance des réformes que par le biais d’une interview du directeur de la PJJ dans un hebdomadaire spécialisé [11], paru avant même le séminaire national des directeurs territoriaux réuni pour finaliser le PSN.
Un an après, l’information sur le sens, les délais, l’ampleur et les conditions de cette réforme demeure assez largement perçue comme insuffisante, alors même que sa mise en œuvre apparaît comme rapide. Le sentiment d’une réforme « à marche forcée » et descendante domine.
On retrouve ainsi une approche du lien entre communication et changement, [12] lorsque celle-ci est requise comme un instrument visant à servir celui-là : le changement est décidé, et il s’agit, pour la direction, de le communiquer dans un style « monologue », alors que la communication peut être perçue, non pas comme servant le changement, mais plutôt comme en étant un co-créateur.
La première année suivant la validation du second PSN, on peut dire que la communication sur le changement a consisté à exprimer une rationalité dont la volonté s’est diffusée de manière unilatérale et descendante, dans un discours de « conviction dogmatique », justifié par des contraintes extérieures contre lesquelles la PJJ ne pouvait rien.
Il a fallu que s’expriment un certain nombre de résistances et de difficultés, et pour la première fois aux plus hauts degrés de la chaîne hiérarchique, pour qu’émerge une approche dialogique, supposant que tous les acteurs contribuent à la co-construction de l’organisation : la direction fixe des objectifs et délègue aux parties concernées la construction des représentations de l’organisation devenue ainsi apprenante. Le dialogue permet le partage afin de cerner les problèmes, la confrontation pour en assurer une compréhension mutuelle et enfin, l’invention permettant d’instaurer une solution nouvelle au problème identifié.
Le changement n’est plus alors considéré comme planifié mais au contraire comme émergent.
Dans cette approche, il ne s’agit plus de communiquer le changement, mais de communiquer pour changer, [13] car, de même que le changement ne se décrète pas, il ne s’explique pas, ne s’argumente pas : le grand ennemi du changement est le rapport de force.
L’approche communicationnelle permet de concevoir le processus de changement organisationnel sous la forme d’une « chaîne d’appropriation » [14] parcourant l’espace et le temps, dont les maillons sont constitués par une succession d’appropriations et d’actions.
Ce concept met en scène un individu à la fois acteur, agissant rationnellement au sein d’un système contraignant, et sujet, capable d’émotions et libre de ses décisions indépendamment de contraintes structurelles identifiables.
Seul l’enchaînement des débats, des appropriations et des résistances fait évoluer la manière dont le projet est mis en œuvre, tout en le transformant lui-même en ajustant les objectifs, les moyens à investir, ou les manières de faire.
C’est le mouvement qui a été engagé au plus haut niveau des instances de direction de la PJJ, qu’il convient de poursuivre tout au long de la chaîne hiérarchique si l’on veut que l’appropriation du projet atteigne l’acteur principal de la mise en ouvre de la mission : l’éducateur.
Marc BRZEGOWY
Juillet 2009
[1] Claude Duterme La communication interne en entreprise
L’approche de Palo Alto et l’analyse des organisations 2007
[2] Délinquance des mineurs. La république en quête de respect.
Les rapports du Sénat n° 340 2001-2002
[3] La Protection judiciaire de la jeunesse. Rapport au Président de la République
Cour des Comptes juillet 2003
[4] Eugène Enriquez L’organisation en analyse 1992
[5] Jacques Bourquin, Marc Brzégowy Retour vers le futur
Les cahiers dynamiques Revue de la PJJ n°18 avril 2001
[6] Cour des Comptes op. cit.
[7] Véronique Freund Les chemins de la Protection judiciaire de la jeunesse 1996
[8] François Rousseau Gérer et militer
Thèse de doctorat de l’Ecole Polytechnique en Economie et Sciences sociales, septembre 2004
[9] Michel Berry Une technologie invisible ? L’impact des instruments de gestion
sur l’évolution de systèmes humains Centre de Recherche en gestion Paris 1983
[10] Comité d’Enquête sur le Coût et le Rendement des Services Publics
La réorganisation territoriale de la PJJ - Rapport provisoire février 2009
[11] Bulletin Actualités Sociales Hebdomadaires - Numéro 2548 du 07/03/2008
[12] Nicole Giroux et Yvonne Giordano - Les deux conceptions de la communication de changement Revue française de gestion, septembre-octobre 1998
[13] Jean-Marc Le Gall L’apprentissage communicationnel
Revue française de gestion, septembre-octobre 2000
[14] Mickaël Gléonnec Communication et changement organisationnel :
le concept de chaîne d’appropriation
Conférence internationale en sciences de l’information et de la communication, juin 2003
Bibliographie générale :
M. Crozier et E. Friedberg L’acteur et le système 1977
R. Sainsaulieu L’identité au travail 1985
H. Mintzberg Le management Voyage au centre des organisations 1990
E. Enriquez L’organisation en analyse 1992
A. Mucchielli Psychologie de la communication 1995
Approche systémique et communicationnelle des organisations 1998
Thierry Do Espirito La communication de changement 2006
Rédigé par : Marc BRZEGOWY | 17 octobre 2009 à 18:11