Je me suis donc intéressé à
l’étude en question parue fin 2007 : « La
société de défiance, comment le modèle social français s’autodétruit ».
Elle est reprise dans un ouvrage édité par les Éditions ENS Rue d’Ulm. Ses
auteurs, Yann Algann (économiste et
chercheur, enseignant à Sciences Po)
et Pierre Cahuc (Economiste et spécialiste du
travail), sont des membres du
Centre pour la Recherche Économique et ses applications (CEFREMAP), dirigé par
l’économiste Daniel Cohen. L’ouvrage a obtenu le prix du livre d’économie 2008.
L’ouvrage est certes un peu ancien
(deux ans) mais néanmoins pose de nombreuses interrogations, et je l’ai
parcouru avec délices. Je vous le recommande, il est toujours d’actualité.
…
avec des constats de base…
- 52 % des Français déclarent que « pour arriver au sommet, il est
nécessaire d’être corrompu » (sur 15 pays cités, la France est en 4ème
position pour la prédominance de cette position),
- 54 % des Français déclarent « ne pas avoir confiance »
dans la justice, 20 % disent même « aucune
confiance » (sur 21 pays cités, la France est en 3ème
position pour la prédominance de cette position),
- 24 % des Français estiment
d’avoir « aucune confiance »
dans le parlement (sur 24 pays cités, la France est en 5ème position
pour la prédominance de cette position),
- 25 % des Français estiment
d’avoir « aucune confiance »
dans les syndicats (sur 24 pays cités, la France est en 5ème
position pour la prédominance de cette position),
- Seulement 21 % des Français
déclarent « qu’il est possible de
faire confiance aux autres » (sur 25 pays, la France se situe presque
à la dernière place)
- etc., etc.
L’étude constate une installation
durable chez les Français d’un sentiment de déculpabilisation à l’égard des
comportements incivils. Là aussi, le France se signale par sa situation extrême
par rapport aux autres pays. Quelques thèmes de ce sentiment envers l’incivilité :
- Seulement 35 % des Français
trouvent « injustifiable de réclamer
indûment des aides publiques » (la France est ainsi, sur 25 pays, au
dernier rang),
- Seulement 55 % des Français
déclarent trouver « injustifiable
d’acheter un bien dont on sait qu’il a été volé » (la France est
ainsi, sur 25 pays, à l’avant-dernier rang),
- Seulement 55 % des Français
déclarent trouver « injustifiable
d’accepter un pot-de-vin dans l’exercice de ses fonctions » (sur 25
pays, la France est encore au dernier rang),
- etc., etc.
…
et une analyse
Nous sont proposés des
constats :
- le renversement des attitudes
vers plus de défiance et d’incivilité se situe, en France, autour de la Seconde
Guerre mondiale,
- la montée d’un système de
protection sociale à la fois corporatiste et étatiste est totalement parallèle
à la montée des sentiments de défiance,
- l’augmentation de la peur du
marché est parallèle à la montée des réglementations, mais également de l’acceptation
de certains niveaux de corruptions.
Une
démonstration qui interroge…
L’ouvrage propose, pour sortir du
cercle pernicieux ancré dans nos mentalités françaises, d’aller vers une
redistribution plus universaliste, une meilleure régulation de la concurrence,
la sécurisation des parcours professionnels, l’activation du dialogue social,
etc. Pour ma part, je trouve que la démonstration du livre est trop « téléphonée » : l’énoncé
d’une hypothèse (notre forme de modèle social, étatiste et corporatiste, est
porteuse d’une progression de la défiance et de l’incivilité) est suivi d’une
démonstration de l’exacte concomitance entre la progression de ce modèle et
celle des sentiments de défiance et d’incivilité… Or la démonstration ne prouve
rien à mon sens : concomitance ne veut en effet pas dire qu’il y a
relation de cause à effet.
Néanmoins, les faits sont
troublants… il existe ainsi en France une conjonction :
- Une rhétorique « solidariste » et un
sentiment de supériorité de notre modèle social s’expriment en permanence,
- Notre pays, à travers des
systèmes de services et prestations gérés, non par une seule institution (État
et/ou collectivités locales), mais par des corps intermédiaires en lien étroit
avec les statuts professionnels et les modalités d’affiliation, semblerait
protéger certains « privilèges »
aux dépens de catégories déclassées (jeunes, femmes, immigrés, chômeurs),
- La « confiance en l’autre », ou dans des institutions de
protection, est très faible (plus que dans d’autres pays),
- La banalisation d’actes
d’incivilité, voire leur justification, sont plus développées que dans les
autres pays.
… et qui ouvre des
interrogations pour les institutions sociales et médico-sociales
Précisément, cette conjonction est
particulièrement présente dans les institutions sociales et
médico-sociales : rhétorique (ce que j’appelle les « discours à vertu incantatoire »), gestion plurielle d’un
système privilégiant les institutions installées au détriment des institutions
les plus fragiles (voire au détriment des populations/usagers qui sont les plus
déclassés), faible confiance dans les mécanismes et institutions de régulation
et de contrôle, justification de tout, y compris les dysfonctionnements parfois
criants.
Et si nous en faisions un
florilège, non pour affaiblir notre dispositif d’action sociale et
médico-sociale, mais pour le transformer ?
Daniel GACOIN
Je vous conseille cette conférence passionnante de Yann Algan sur le même thème et en 15 minutes ! http://www.les-ernest.fr/yann_algan
Rédigé par : Gt_driver | 16 janvier 2010 à 15:59