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Une annonce brutale…
La presse, les
associations, la personne concernée se sont émus dernièrement de la décision
annoncée tout à trac par le Gouvernement de suppression de l’instance mise en
place en 2000 : le Défenseur des
Enfants, chargé de répondre aux
réclamations individuelles d’enfants (ou de leur représentants ou
d’institutions) estimant que des droits d’un mineur sont insuffisamment respectés.
Il a aussi la mission de faire des propositions de réformes concernant les
enfants et les adolescents et d’assurer
la promotion des droits et de la Convention internationale des droits de
l’enfant. La fonction a été assurée par deux femmes, Claire Brisset,
de 2000 à 2006, puis Dominique Versini depuis cette date avec un mandat de 6
ans, d’où l’usage du terme de « Défenseure » des Enfants.
Les raisons de cette suppression : simplifier le nombre
d’instances de soutien des droits des personnes, les inclure dans une seule,
celle d’un futur défenseur des droits, dont les contours seraient plus larges
et les possibilités de décision plus précises et efficientes.
… qui peut avoir une logique…
De nombreuses instances reçoivent des réclamations individuelles pour
non-respect de droits ou pour développer une politique des droits :
instances judiciaires (tribunaux, hautes juridictions en France ou en
Europe), administratives (Conseil d’État,…), de médiation (Médiateur, Défenseur
des Enfants, conciliateurs dans les départements pour les usagers des ESMS, Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations
et pour l'Egalité, etc.), de proposition (Conseil National Consultatif
pour les Droits de l’Homme, Conseil National Consultatif pour les Droits des
Personnes Handicapées, Haut Conseil de la Famille, Commission pour la jeunesse, etc.).
Beaucoup d’instances générales ou ciblées (une thématique, un public cible), beaucoup de rapports ou recommandations, pas toujours des résultats probants... Si le principe de l’efficience et de l’efficacité prévaut, on peut penser que des pouvoirs plus importants à une seule autorité (l’ensemble des droits pour tous, et non seulement pour les enfants), que la sortie de l’émiettement des politiques (multiples approches, publics cibles divers), que l’ambition d’une plus grande cohérence entre les comités et autorités, sont des objectifs louables et pourraient apporter un plus.
… et qui nécessite de bien
réfléchir
Hélas, la décision annoncée la semaine dernière, par sa portée
symbolique, par ses conséquences politiques, par sa lisibilité, va à l’encontre
de ces objectifs et du principe lui-même. C’est pourquoi il me semble utile de
reprendre la réflexion avec une approche distanciée, dégagée de la passion
immédiate, à partir de quelques questions…
1. Pourquoi le Défenseur des Enfants
a-t-il été créé ?
En 1989, la France a signé la Convention
Internationale des Droits de l’Enfant. Adopté par 190 pays (à l’exception
notable des Etats-Unis et de la Somalie) appelés
pour l’occasion des « États parties », ce texte veut décliner la Déclaration
universelle des droits de l’homme dans une attention particulière à la
situation des enfants car « l'enfant, en raison de son manque de
maturité physique et intellectuelle, a besoin d'une protection spéciale et de
soins spéciaux, notamment d'une protection juridique appropriée, avant, comme
après la naissance », et plus globalement « l'enfance a droit à une aide et à une
assistance spéciales ».
La convention comprend
48 articles affirmant des droits (droit à la vie, à l’identité, aux
déplacements, à la santé, à la dignité, etc.), 4 articles sur les modalités de
mise en œuvre de la Convention (un comité des droits de l’enfant chargé du
suivi des mises en œuvre, un rapport régulier des États parties, etc.), 9
articles liés aux conditions de ratification et révision.
À noter, la France a ratifié le texte, mais en
émettant des réserves : les dispositions du texte ne sauraient s’opposer à
la législation française relative à l’interruption de grossesse, l’article 30
sur le droit « d'avoir sa propre vie
culturelle, de professer et de pratiquer sa propre religion ou d'employer sa
propre langue en commun avec les autres membres de son groupe » ne
peut être respecté intégralement, l’article 40 sur les garanties des enfants à
l’égard de procédures pénales (pour les faits regardant le tribunal de police
ou les procédures criminelles) sera appliqué avec des exceptions possibles.
Dans la foulée des premiers rapports de la France,
il a paru indispensable en 2000 de se donner plus de moyens pour la mise en
application de la Convention, d’où la création d’une fonction de Défenseur des
enfants, avec les 3 champs de mission décrits plus haut. Cette disposition
permettait en outre à notre pays de confirmer son engagement autour d’un public
cible, les enfants, avec la nécessité d’une politique spécifique (ciblage et
discrimination positive obligent, pour être efficient).
2. Quelle efficacité a cette
fonction et quelles sont les raisons de cette efficacité ou inefficacité ?
Chacun aura perçu une activité réelle, souvent en
termes de prise de position, des 2 Défenseures des Enfants successives.
Pourtant, leur efficacité reste à démontrer.
Certes, un dispositif est en place pour recevoir et
instruire les plaintes : d’après le rapport d’activité 2008 (lire le
rapport en cliquant sur le présent lien), 1 758 dossiers ont été traités,
38 % ayant donné lieu non à une instruction, mais à une réorientation, soit une
réalité d’instruction de 1 020 dossiers sur un an (50 % pour des situations de
séparation parentale), c’est maigre…
Cette activité est compensée par une intervention
importante de communication (des correspondants territoriaux), de réflexion,
notamment avec des instances gouvernementales, parlementaires, européennes. De
ce point de vue, le bilan est beaucoup plus conséquent, sans qu’il soit
possible d’attribuer l’avancée des travaux législatifs ou autres de ces
instances à l’intervention décisive de la Défenseure des Enfants. Je renvoie
chacun à la lecture du rapport 2008.
Mais surtout, le résultat
global de la progression des droits de l’enfant reste problématique, non dans
l’ensemble, mais sur des questions particulières. Le Comité des Experts sur les
Droits de l’Enfant à l’ONU
a d’ailleurs fortement épinglé la France en mai 2009 (lire le rapport en cliquant sur le présent lien) en se servant d’ailleurs d’un rapport
initial de la Défenseure des Enfants (cliquer ici pour le consulter) de
décembre 2008. Si le Comité a été flatté de la présence forte de la délégation
française pour répondre aux questions (contrairement à la désinvolture de
2004), il relève de nombreux points problématiques : observations et
recommandations de 2004 non pris en comptes, interrogation sur les suspicions
et examens pour les mineurs isolés étrangers (dont la question des tests osseux
et des possibles tests ADN), trop grande insistance sur une dialectique
droits/devoirs dans le milieu scolaire, faible développement des droits dans
les DOM-TOM (dont Guyane et Mayotte), faible avancée dans une politique
spécifique pour l’enfance et ses droits, mineurs non accompagnés par la
justice, violences possibles de fonctionnaires et policiers, écoute
insuffisante des enfants dans les procédures judiciaires, importance
d’adoptions internationales en provenance de pays n’ayant pas ratifié la
Convention et insuffisance de garanties de l’intérêt des enfants dans ce cadre,
faible attention à certaines minorités, etc. Je m’arrête là car la liste est
longue…
Ma conclusion : l’efficacité de la fonction de Défenseur des Enfants, même si sa parole est utile, n’est pas démontrée, surtout si on met cette appréciation en parallèle avec son budget : 2 428 000 euros (!!).
3. Est-il judicieux de supprimer cette
instance ?
La suppression de cette instance,
diluée dans une fonction plus large, est problématique. Elle donne un signal
symbolique fort de non-investissement dans une politique spécifique pour
l’enfance et dans une fonction, 4 mois après le rapport du Comité des experts
de l’ONU épinglant la France pour ses retards quant à une politique spécifique,
mais notant parmi les points positifs… l’action du Défenseur des Enfants
précisément.
Par ailleurs, la France n’a pas conscience du
message qu’elle envoie, au moment où 35 Défenseurs des Enfants européens
doivent se réunir, le 20 novembre prochain à Paris, sous la présidence de
Dominique Versini, à la période où sera également fêté le 20ème
anniversaire de l’adoption de la Convention internationale.
Le besoin d’une plus grande
efficacité/rationalisation des diverses autorités et commissions peut
s’entendre, mais reste problématique dans sa communication au moment où des
sommes considérables sont engagées dans des actions (pour le secteur bancaire,
pour la vaccin anti-grippe A - 1 milliard d’euros !- etc.) dont
l’efficacité n’est pas démontrée.
La faible efficacité de la fonction, si elle peut
être interrogée, ne peut lui être imputée seule, elle regarde aussi la
faiblesse d’une politique d’ensemble qui risque de s’amplifier avec la
disparition / dilution de la fonction.
4. Quel rôle donner à des
instances, quelles qu’elles soient, dans l’avenir ?
Dans tous les cas de figure, il convient de dépasser le symbolique
pour poser les questions politiques. Que veut la France en matière de politique
spécifique pour l’enfance ? Poursuivre un mouvement engagé en 1989 ?
L’abandonner ? Si elle veut le poursuivre, il est nécessaire de renforcer
un rôle de Défenseur des Enfants (fût-ce dans une administration plus large)
avec :
1. Une centralisation de toutes les interventions pour des
réclamations sur les droits des enfants (celle du Médiateur, de la HALDE, des
conciliateurs dans les départements, etc.),
2. Un renforcement de la communication sur la Convention
Internationale des droits de l’enfant et sa mise en application,
3. Un traitement effectif, avec un pouvoir transversal respecté, de tous
les points (santé, justice, minorités, discriminations, situation de certains
DOM/TOM, etc.) épinglés dans le rapport ONU, traitement pour lequel un plan de
travail, un engagement dans un calendrier et des résultats lisibles, devrait
être communiqué avec des objectifs de résultats sous la coordination du
Défenseur spécifique des Enfants.
Peu importe une éventuelle réorganisation (maintien de la fonction
actuelle ou position de second dans une nouvelle instance), du moment que cette
politique existe. Elle passe par une réaffirmation lisible… et il est temps d’y
(re)venir.
Daniel GACOIN
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