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Un livre récent signalé par un lecteur …
Le lien entre l’évolution du secteur social et médico-social et la réforme de l’État occupe, depuis longtemps, une partie des chroniques de ce blog. C’est pourquoi j’ai vite répondu au conseil d’un lecteur fidèle de ce blog (merci Pierre !) de lire un livre, paru en février 2009, édité par la Revue Fiduciaire. Le titre original m’a séduit : « La division par zéro, essai de gestion et de management public ». Son auteur, Jean-Pierre Weiss, ancien directeur d’administration centrale, a fait une longue carrière dans plusieurs ministères, enseigne la gestion et le management à l’ENA.
L’ouvrage propose des formes renouvelées de direction et de gestion dans l’administration, conciliant valeurs du service public et devoir d’efficience de la production administrative. Il répond ainsi à des questions posées dans l’action sociale ou médico-sociale.
… dont le titre étrange est finalement peu porteur
L’écriture abuse de formules, parfois lapidaires, venues d’exposés par powerpoint : présentations rapides, illustrées avec des anecdotes, limitant parfois la communication d’une pensée. Le titre prometteur, « la division par zéro », est plus une figure de style qu’une vraie réflexion, l’auteur expliquant que « la division par zéro » étant impossible en mathématique, toute division oblige un scientifique à vérifier qu’elle est possible ; ainsi le titre serait censé illustrer un état d’esprit de nécessaire vérification d’hypothèses, de recherche du raisonnement juste. C’est un peu « capilo-tracté » et dommage car l’expression suggérait d’autres contenus.
… d’un contenu riche dans de multiples dimensions
Le contenu apporte de nombreuses clés de lecture à tout responsable d’organisation :
La première partie s’intitule « Comprendre ». Elle comporte une revue assez banale :
- Sur les représentations à propos de l’administration et des fonctionnaires. 12 affirmations (du type « les fonctionnaires travaillent peu » ou « il y a trop de fonctionnaires ») donnent lieu à une réponse concrète et chiffrée (dans le premier cas, une moyenne de travail hebdomadaire inférieure de 2 à 4 heures à la durée légale de travail, dans le deuxième cas, l’affirmation d’un État vivant avec un nombre de fonctionnaires au-dessus de ses moyens).
- Sur les valeurs du service public et également l’idéal bureaucratique de l’organisation de l’administration : division du travail fixée et officialisée, une hiérarchie clairement définie, un systèmes de règles stables et explicites, la séparation des droits et moyens personnels et des droits et moyens officiels.
- Sur les différences nécessaires entre entreprises et administrations : valeurs, recherche du profit, précision des objectifs de performance, la dépendance d’un agent à plusieurs mandants (une spécificité de l’administration), le rapport au risque.
- Sur les matières premières dans l’administration (droit, ressources humaines, budget, temps, relations sociales, contrôles, etc. etc.).
- Sur les réformes en cours avec les 4 piliers des dernières années : la loi organique sur les lois de finances (LOLF) la revue générale des politiques publiques (RGPP : 166 mesures dont 63 % relatives aux organisations, 21 % aux politiques, et 16 % aux mesures budgétaires), la réduction des effectifs, la réforme du statut de la fonction publique.
La deuxième partie s’intitule « Agir ». Elle est très intéressante, tant du point de vue des modes de direction pour tout responsable (en communication, direction des hommes, gestion du temps, des conflits,…) que de la réflexion sur les modes d’organisation eux-mêmes. J-P. Weiss part de 4 modèles d’organisation et de management : le modèle « bureaucratique », le modèle « qualité-usagers », le modèle « projet », le modèle « pilotage du changement ». Il fait le choix, tout en soutenant les modèles « projet » et « pilotage du changement », de prôner une adaptation aux situations et une utilisation, selon les enjeux, de l’un ou l’autre de ces 4 modèles. La construction est pensée, elle est également pratique, c’est très intéressant, notamment quand il évoque des possibles pilotages par la mesure ou l’évaluation, allant jusqu’à évoquer des supports et des indicateurs. Dans l’exemple de la loi de finances 2008, organisée conformément à la LOLF en 34 missions, 132 programmes, 605 actions, j’ai apprécié l’idée des indicateurs de résultat les plus simples possibles, c’est-à-dire les plus lisibles.
Ce dernier thème est repris dans la troisième partie de l’ouvrage intitulée « Prévoir ». L’évaluation des politiques publiques semble être une des solutions recherchée depuis longtemps, et finalement pas encore aboutie. Pour l’auteur, la solution est à trouver du côté du Parlement, bien au-delà des offices parlementaires déjà mis en place. J-P Weiss propose d’engager l’administration dans une démarche de management stratégique à 3 composantes :
- La construction préalable de l’adhésion des acteurs,
- La qualification des objectifs stratégiques,
- Leur quantification.
L’aspect positif de la réforme de l’État
La lecture de cet ouvrage apporte des réponses pratiques à l’engagement dans une réforme de l’État par le management, en expliquant que celui-ci peut être porteur de sens, de valeur, et d’efficacité. Les hypothèses retenues rationnellement par l’auteur sont structurées autour d’une organisation stratégique et scientifique qui donnerait une place aux acteurs de terrain, pas divers biais, tant de responsabilisation que de concertation. A noter, l’auteur reste prudent sur l’avancée effective de la réforme de l’État par cette voie.
L’aspect négatif de la réforme de l’État
L’auteur évoque peu les dimensions négatives de cette même réforme. Ainsi, le recours à la mise en concurrence, dans la délégation à des organismes semi-publics ou privés de missions autrefois assurées par les services publics, est peu relevé, et notamment dans sa dimension négative : cette délégation se réalise sans l’assurance que l’État reste garant et stratégiquement impliqué dans la définition de politiques et l’évaluation des réalisations. Rappelons que dans le secteur social et médico-social, la grande crainte est surtout que cette mise en concurrence des opérateurs comporte 2 écueils :
- que les opérateurs ne soient plus que des prestataires, ne pouvant plus apporter d’expertise et de réflexion dans la lecture des besoins et des stratégies,
- que le choix des délégations, dans un système concurrentiel, et le contrôle de leur mise en œuvre se réalisent sur des critères comptables réducteurs, systématiquement vus à la baisse et sans discernement.
L’oubli de 2 champs de la fonction publique
L’utilité du livre me semble précisément ses manques : il prône une organisation managériale structurée et rationnelle. Je note toutefois un autre manque : l’État, dans l’ouvrage, c’est les ministères, avec les administrations centrales et déconcentrées. Or l’action publique comprend de nombreux autres niveaux, européens certes, mais aussi locaux à travers l’action des collectivités locales. N’oublions pas que la fonction publique, par exemple, comprend maintenant la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière. De ce point de vue, l’auteur n’explore pas les pistes concrètes qui devraient être mises en place par un État animateur et garant. Néanmoins, je conseille à tous la lecture de cet ouvrage avant d’aborder (ce sera l’occasion de ma seconde chronique de la semaine prochaine) les modalités possibles de réforme de l’État avec ses applications dans les domaines sociaux et médico-sociaux.
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