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Les lecteurs attentifs des Actualités Sociales Hebdomadaires ou de Travail Social Actualités (les deux hebdomadaires de référence en action sociale et médico-sociale) n’auront pas manqué de lire des propos polémiques sur le projet de loi présenté au Parlement de réforme de l’adoption. Les mots sont souvent forts, « un projet pour faire du chiffre », « un projet qui est un leurre et un danger », visant à soutenir une demande d’amendement du projet « pour qu'au moins il ne soit pas nocif ».
Ce projet mérite t-il une telle opprobre ?
Commençons par rappeler l’histoire du projet de loi :
- Une réalité en place depuis de nombreuses années, après une loi de 1996 et des adaptations régulières (dont une dernière en 2005) : des adoptions d’enfants en France ou à l’étranger sont réalisables à travers des procédures (contraignantes quand on reste dans la légalité), mais il existe un déséquilibre entre le nombre de familles demandeuses (près de 30 000) et le nombre d’enfants adoptés (4 000 environ). Des contournements illégaux existent pour les adoptions internationales (non-respect des procédures AFA, Agence française de l’adoption, et des OAA, organismes autorisés pour l'adoption), régulièrement dénoncés, rarement sanctionnés.
- Une chute des adoptions constatée en 2007 : baisse de 20,5 % des enfants adoptés en France par rapport à 2006 (- 24 % par rapport à 2005) tant au niveau interne qu’international.
- Un rapport demandé par le président de la République à J-M. Colombani, l’ancien directeur du Monde, lui-même père de 5 enfants dont 2 adoptés, publié en mars 2008 : ce rapport téléchargeable sur le site de la Documentation Française est officiellement consacré à l’adoption internationale. Il critique la situation en place et propose de modifier l’organisation pour permettre un nouveau développement des adoptions (plan d’action gouvernemental de 2 ans, avec création d’une autorité centrale coordonnant l’action de l’AFA et des OAA). Il propose en outre une nouvelle procédure / préparation des familles demandeuses (4 sessions de préparation à l’adoption, un seuil de 45 ans entre l’enfant et le plus jeune du couple accueillant). Il termine enfin par une incursion sur l’adoption des enfants français (constatant que seuls 800 enfants abandonnés ou nés sous X sont adoptés chaque année), préconisant d’encourager à côté de l’adoption plénière, comme aujourd’hui, une adoption simple (maintien des liens avec les parents biologiques, qui ne seraient pas obligés d’écrire une déclaration judiciaire d’abandon).
- Les réactions ne se font pas attendre : le gouvernement s’engage à déposer un (des) projet (s) de loi… les associations développant du lobbying pro adoption poussent… d’autres associations freinent (voir l’interview de la Présidente d’Enfance et Familles d’Adoption d’avril 2008 : « on ne va pas inventer des enfants adoptables »).
- Le projet de loi annoncé en août 2008 par le Ministère des affaires étrangères rejoint les propositions du Ministère du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité : aménager les procédures d’agrément internes à la France, développer l’adoption internationale. En attendant un comité interministériel pour l’adoption est créé en janvier 2009, un site gouvernemental est ouvert et disponible.
- Le projet de loi pour l’adoption (voir son téléchargement) comprend trois volets. Le premier concerne la France : pour faciliter l’adoption, il s’agit d’aller plus loin que les situations actuelles en rendant plus aisés les constats de délaissement par les familles biologiques (constats d’absence de contact dans l’année pouvant être fait par l’ASE ou les services sociaux, comme aujourd’hui, mais également par le Parquet), avec étude de la situation chaque année. Le deuxième volet concerne les procédures d’agrément pour des adoptions : l’agrément des familles pour une adoption est délivré par le Conseil général pour une durée de cinq ans, avec obligation pour les personnes de confirmer chaque année leur demande, l’agrément étant automatiquement retiré en cas de non confirmation. Le troisième volet concerne l’international : élargissement des capacités d’action de l’AFA (désormais habilitée à agir dans tous les pays alors qu’elle devait jusqu’alors limiter son action aux pays signataires de la convention de La Haye sur l’adoption internationale de 1993).
Rappelons les thèses des partisans de cette loi…
- Il convient de faire face à la baisse des adoptions internationales (les pays d’origine proposent moins d’enfants à adopter car ils privilégient leur adoption nationale),
- Il faut réduire le temps des procédures d’acquisition du statut de pupille de l’Etat, qui permet à l’enfant de pouvoir être adopté. Or, le temps administratif n’est pas le temps de l’enfant (pour rappel un enfant reste en moyenne 6 ans à l’Aide Sociale à l’Enfance avant d’être adopté). Le Parquet pourra donc intervenir, en accélérant les procédures à partir des évaluations du service d’aide sociale à l’enfance qui devra désormais se prononcer chaque année sur l’éventuel délaissement des enfants dont il a la charge,
- L’ouverture plus grande au constat du délaissement par les familles biologiques est une mesure qui vise l’intérêt de l’enfant. Il ne s'agit pas de punir les parents mais de s'occuper de l'enfant. C'est l'enfant qui compte dans son besoin de stabilité et d'affection. Si sa famille biologique ne peut le lui apporter, volontairement ou non, il vaut mieux pour lui qu'il soit adopté. Et plus le temps passe, plus les chances pour un enfant d’être adopté diminuent.
- Les garanties aux familles adoptantes viennent compenser les manques (préparation, agrément exigeant, demande de confirmation de son projet tous les ans, suivi et accompagnement, etc.).
… ajoutons les thèses des adversaires
- Est en train de prédominer une approche de l’adoption comme nouvelle tendance de l’économie de marché (voir le site d’Enfance et Familles d’adoption et l’argumentaire de Septembre 2008)
- L’argumentation positive du projet de loi passe sous silence les manques : insuffisante préparation des candidats à l’adoption, faible accompagnement après l’adoption,
- Les pratiques et critères pour l’évaluation du délaissement sont encore à élaborer afin de garantir une égalité de traitement de ces situations sur tout le territoire : au-delà des statistiques rétablies (très, très peu d’enfants placés à l’Aide Sociale à l’Enfance peuvent faire partie des enfants adoptables et non 20 % des 130 000 mineurs évoqués dans les différents statistiques), P. Verdier nous appelle à « une éthique de l’adoption » (Feuille de route Quart Monde n°384 - mai 2009) compte-tenu des faibles repères en matière d'évaluation du délaissement.
- Le projet de loi favorisera une recherche de classification entre « bons et mauvais parents ». Ce sera le résultat d’une « politique qui veut faire croire qu'il y aurait une réserve d'enfants adoptables pour les 29 000 couples en attente », dit ainsi la présidente de l’Association Le Fil d’Ariane qui fédère des parents d’enfants placés, toujours très virulente, mais exprimant un point de vue qu’il faut entendre (voir les ASH du 12 juin 2009).
- Plus globalement, l’absence de référence à une vision objective des situations de délaissement, la politique volontariste des services publics pour ouvrir les vannes de l’adoption font craindre le pire en termes de respect du droit des familles biologiques.
… et ajoutons nos recommandations
- Ce projet comporte des points inquiétants, mais il existe, c’est important, d’autant plus qu’il relie les adoptions en France et les adoptions internationales. Une occasion pour relever le niveau d’exigence pour ces dernières.
- Il me semble important d’éviter les invectives : d’un côté des parents en manque affectif qui ne penseraient qu’à le combler au mépris de l’intérêt de l’enfant, de l’autre des parents dangereux, qu’il conviendraient d’éloigner de leur enfant. La réalité humaine de chacun me semble à reconnaître, à ne pas opposer.
- Il me semble nécessaire de s’en tenir au droit de l’enfant : "des liens familiaux stables dans le respect dû à sa personne et dans l’optique de son développement", en faisant d’abord en sorte que soient explorées toutes les possibilités d'évolution avec la famille biologique, que toute solution d’aide à cette famille ait été engagée avant d’envisager un délaissement et une adoption de leur enfant, que des traces soient toujours gardées pour que l’adopté puisse accéder à l’intégralité de son histoire quand il en exprimera le souhait. Le droit de la famille biologique est le deuxième champ en matière d’action, s’il est compris comme un ensemble articulé de droits et de devoirs. Mais surtout, je souhaite qu’en toute circonstance soient nommés un travailleur social référent stable pour chaque enfant (chargé de suivre son parcours, d’évaluer son intérêt et de présenter ses conclusions devant un magistrat avant toute décision) et une personne (un avocat si possible) chargé d’écouter et de faire entendre la parole de l’enfant. Ceci devrait être une condition de toute adoption, même internationale.
- Il me semble nécessaire de prêter une attention humaine, accompagnante auprès des familles demandeuses, sans les entretenir dans des illusions (« il y aurait un stock d’enfants adoptables qui sera bientôt levé grâce à cette loi »), sans les soutenir dans un discours de droit (« j’ai droit à ») alors que l’adoption ne peut être fondée (la plupart des familles ayant adopté le dit tous les jours) que sur l’accueil et le don.
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