A l’heure de la mise en place définitive du Revenu de Solidarité Active le 1er juin 2009, je propose de lire un résumé des enjeux et questions soulevées par le RSA sur le site la Vie des Idées. Mais j’attire également votre attention sur la parution, le 21 mai dernier, d’un décret (1er ministre, haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté) sur les indicateurs de mesure de la pauvreté. Cela peut paraître surréaliste (pourquoi mesurer ? pourquoi tout simplement ne pas vouloir diminuer la pauvreté ?).
… à inscrire dans une construction plus large
En réalité, il convient de se rappeler l’histoire progressive de cette question :
- En 1987, le rapport Wrezinscki sur la pauvreté et la précarité au Conseil Économique et Social propose une nouvelle approche liée au cumul des facteurs d’exclusion,
- En 1988, l’instauration du RMI propose un premier outil de grande ampleur,
- En 1998, une loi contre les exclusions voit le jour avec une politique multidimensionnelle d’accès aux droits, et des engagements de moyens,
- En 2003, malgré cette loi, la pauvreté (pourtant en baisse de 12 à 5,9 % de la population entre 1970 et 1999) augmente à nouveau : en 2003, elle atteint le taux de 6,3 %,
- En 2005, Martin Hirsch anime la Commission "Familles, vulnérabilité, pauvreté", très ouverte, et propose un rapport (« Au possible nous sommes tenus ») avec 15 résolutions (approche multidimensionnelle), dont un objectif de réduction à zéro de la pauvreté des enfants et la volonté de combiner revenus du travail et revenus de la solidarité (le futur « revenu de solidarité active » : RSA),
- En 2006, Martin Hirsch publie dans le Monde : « Contre la misère, osons ! » (voir mon billet de l’époque). Il y demande des objectifs chiffrés dans la politique contre la pauvreté (assortis de sanctions éventuelles), dans une approche multidimensionnelle, et la création du RSA. Il crée dans la foulée l’Agence Nouvelle des Solidarités Actives, que j’ai soutenue alors,
- En 2007, il accepte le poste de Haut Commissaire au sein du gouvernement, afin de réussir le RSA et la lutte contre la pauvreté,
- En Novembre 2007, le Président de la République prend l’engagement de réduire d’un tiers la pauvreté en France d’ici 2012,
- En mai 2008, Martin Hisrch propose de publier chaque année l’état de la réalisation des objectifs de réduction de la pauvreté, en s’engageant à publier les indicateurs de base de mesure de cette réduction. Il les publie précisément maintenant, un an après, en les regroupant autour de 11 objectifs ( multidimensionnels) pour diminuer la pauvreté, un rapport devant être publié chaque année en novembre sur la réalisation des objectifs autour de ces indicateurs. Le premier des rapports devrait être publié en novembre2009.
Un constat : un décret à isoler d’autres démarches plus brouillonnes
La constance de Martin Hisrch semble éviter que l’ambition annoncée soit du même niveau que le reste des nombreuses annonces gouvernementales (dans tous les champs, dans toutes les directions, à tous moments). Je me réfère, pour cette appréciation à l’excellent ouvrage « Les réformes ratées du Président Sarkozy », de P. Cahuc et A. Zylberberg, dont je conseille d’autant plus la lecture que ses auteurs ne sont pas suspects d’antisarkozisme ou d’antilibéralisme. Ils y évoquent une méthode, installée maintenant, de la pratique gouvernementale : manœuvre d’étouffement (annonces de mesures tous azimuts, les meilleures masquant parfois les moins préparées ou les plus néfastes), puis manœuvre de conciliation si nécessaire (achat de la paix sociale dès lors qu’une réforme est mal engagée).
La construction des indicateurs autour des 11 objectifs
Le premier objectif est la lutte contre la pauvreté monétaire et les inégalités. Sa réalisation se mesurera à travers :
- Les taux de pauvreté monétaire (proportion de personnes vivant dans des ménages dont le niveau de vie, par personne, est inférieur à 60 % du revenu médian de la population, ou à 50 % ou à 40 %, ou égal au seuil de 60 % dans le long terme),
- L’intensité de la pauvreté monétaire (écart, en pourcentage du seuil de pauvreté, entre le niveau de vie médian de la population pauvre et le seuil de pauvreté, lui-même à 60 % de la médiane du niveau de vie général),
- La persistance de la pauvreté (proportion d’individus ayant un niveau de vie inférieur à 60 % du revenu médian pendant au moins 2 années sur les 3 années précédentes),
- La part de dépenses pré-engagées dans le revenu des ménages du 1er quintile de niveau de vie (moyenne de la part des dépenses contractuelles difficilement renégociables à court terme - loyer, cantines, crédits, etc.-) dans le revenu des ménages les plus modestes.
Le deuxième objectif est la lutte contre le cumul des difficultés de conditions de vie. Sa réalisation se mesurera par :
- Le taux de difficultés de conditions de vie (proportion de ménages subissant au moins huit carences ou difficultés de conditions de vie parmi vingt-sept types de difficultés prédéfinies).
Le troisième objectif est la lutte contre la pauvreté des enfants (voir la résolution de 2005 : zéro pauvreté pour les enfants). Sa réalisation se mesurera par :
- Le taux de pauvreté monétaire ancré dans le temps des moins de 18 ans (proportion vivant avec un revenu par personne inférieur à 60 % du niveau de vie médian des moins de 18 ans, proportion vivant avec un revenu au seuil de 60 %),
- La proportion d'adolescents ayant au moins deux dents cariées non soignées selon les catégories sociales (établi en fin de 3ème).
Le quatrième objectif est la lutte contre la pauvreté des jeunes. Sa réalisation se mesurera par :
- Le taux de pauvreté monétaire ancré dans le temps des 18-24 ans (proportion vivant avec un revenu par personne inférieur à 60 % du niveau de vie médian des 18-24 ans, proportion vivant avec un revenu au seuil de 60 %).
Le cinquième objectif est la lutte contre la pauvreté des personnes âgées. Sa réalisation se mesurera à travers :
- Le taux de pauvreté monétaire ancré dans le temps des 65 ans et plus (proportion vivant avec un revenu par personne inférieur à 60 % du niveau de vie médian des 65 ans et plus, proportion vivant avec un revenu au seuil de 60 %),
- Le taux de pauvreté monétaire relatif à la proportion des femmes de 75 ans et plus au seuil de 60 % du revenu médian équivalent des femmes de 75 ans et plus.
Le sixième objectif est la lutte contre la pauvreté des personnes qui ont un emploi. Sa réalisation se mesurera à travers :
- Le taux de travailleurs pauvres (proportion des personnes ayant un emploi plus de la moitié de l'année et vivant dans un ménage pauvre par rapport à l'ensemble de la population en emploi),
- La part des personnes en sous-emploi (proportion, parmi les personnes ayant un emploi, des personnes à temps partiel souhaitant travailler plus et disponibles pour le faire ainsi que celles travaillant involontairement moins que d'habitude),
- Le nombre moyen de semaines rémunérées dans l’année au sein des salariés ayant travaillé dans l'année.
Le septième objectif vise à favoriser l’accès à l’emploi. Sa réalisation se mesurera à travers :
- La proportion de personnes de moins de 60 ans vivant dans un ménage où il n’y a pas d’actif occupé,
- Le taux d'emploi des 55-59 ans (moyenne des taux pour les 5 âges concernés),
- Le taux d'emploi des 60-64 ans (moyenne des taux pour les 5 âges concernés),
- La part des jeunes en emploi ou en formation (proportion des 16 à 25 ans en emploi ou en formation parmi l'ensemble des 16-25 ans),
- Le taux d'activité des femmes (proportion de femmes de 15 à 64 ans travaillant ou demandeuses d'emploi, parmi l'ensemble des femmes de cette tranche d'âge).
Le huitième objectif vise à favoriser l'accès au logement et le maintien dans le logement. Sa réalisation se mesurera à travers :
- La proportion de personnes désignées prioritaires par les commissions de médiation « droit au logement opposable » et n’ayant pas refusé l'offre, effectivement relogées,
- - La proportion de demandes de logement social non satisfaites après un an pour les ménages à bas niveaux de vie (inférieurs aux trois premiers déciles de niveau de vie) inscrits sur des fichiers d'organismes d'habitations à loyer modéré,
- Le taux d'effort médian en matière de logement des bénéficiaires de l'allocation logement (part, dans l'ensemble de ses ressources, de la dépense en logement d'un ménage bénéficiant de l'aide au logement).
Le neuvième objectif vise à favoriser l'accès à l'éducation et à la formation. Sa réalisation se mesurera à travers :
- Le taux de sortants du système scolaire avec faible niveau d'études (les 18-24 ans ne possédant aucun diplôme égal ou supérieur au CAP),
- Les écarts dans le taux de sortants du système scolaire à faible niveau d'études selon les catégories sociales,
- La part de jeunes de CM2 ne maîtrisant pas les connaissances de base (français et en mathématiques),
- La proportion des jeunes présentant des difficultés importantes en lecture ou de très faibles capacités de lecture parmi les jeunes convoqués à 17 ans à la journée d'appel de préparation de la défense,
- Le taux d’accès à la formation continue (proportion de personnes de 15 à 64 ans ayant terminé leurs études initiales et de niveau inférieur ou égal au BEP-CAP, ayant suivi une action de formation continue au cours des trois derniers mois).
Le dixième objectif vise à favoriser l'accès aux soins. Sa réalisation se mesurera par :
- Le taux de renoncement aux soins pour des raisons financières des bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire et des bénéficiaires de complémentaire santé privée (calculé à partir d’une enquête de type sondage),
- Le taux d'effort des ménages du premier décile de revenu pour les dépenses de santé restant à leur charge après remboursement des organismes d'assurance maladie complémentaire (montant moyen restant à la charge de ces ménages par rapport à leur revenu moyen par unité de consommation),
- La part de bénéficiaires de la couverture maladie universelle parmi les bilans de santé gratuits.
Le onzième objectif est la lutte contre l’exclusion bancaire. Sa réalisation se mesurera par :
- Le nombre de ménages surendettés (selon le code de la consommation : "dont la situation est caractérisée par l'impossibilité manifeste pour le débiteur de bonne foi de faire face à l'ensemble de ses dettes non professionnelles exigibles et à échoir"),
- La part des redépôts (part des dossiers déposés une nouvelle fois parmi l'ensemble des dossiers déposés une année donnée à la commission de surendettement de la Banque de France),
- Le taux de bancarisation (proportion de personnes ayant accès aux services bancaires par rapport à l'ensemble de la population).
Que faut-il en penser ?
Je suis ravi de voir une telle avancée dans les mesures effectives, même si je note que ATD Quart-Monde a trouvé un choix d’indicateurs trop complaisant, même si je regrette l’absence de mesure de la solitude et de la souffrance, en sus de ces indicateurs de pauvreté. J’attend avec impatience la réalité des chiffres qui seront produits, année après année par la DREES (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques) et j’attends de M. Hirsch le respect de ses engagements (une sanction en cas d’inefficacité).
Mais je m’interroge, est-il nécessaire de prêter tant d’attention à des indicateurs d’évaluation, alors que tant de sommes et de moyens manquent encore dans l’engagement contre la pauvreté, et même pour le RSA ?
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