Le 23 juin, s’est tenue à Paris une réunion animée par l’ANESM avec tous les cabinets candidats à l’habilitation pour l’évaluation externe. Cette réunion a été un franc succès puisque 400 personnes y assistaient, avec de nombreuses informations, des éclaircissements, des questions nombreuses… Je ne pouvais y assister, mais était représenté par une personne de mon cabinet.
… avec des contenus importants
Si je résume les informations évoquées, je les classerai tout d’abord en 4 champs :
- Pour les personnes qui doutaient de l’avancée effective des démarches d’évaluation, la réponse est claire : les habilitations des cabinets vont être effectives, avec une première liste d’environ 130 cabinets (diffusée le 29 juin sur le site de l’ANESM puis le 15 juillet au bulletin officiel, suivie régulièrement par des listes complémentaires). L’action à terme de ces évaluateurs est affirmée dans les dates butoirs indiquées dans le projet de loi HPST, mais la prise en compte effective dans les budgets des ESMS de ces dépenses opposables et supplémentaires n’est pas confirmée.
- Pour le positionnement de l’évaluation externe, là où certains pouvaient craindre des démarches de type certification, contrôle, les réponses sont claires : l’évaluation externe a pour mission de procéder à un regard, avec des préconisations, sur les modalités et progressions d’une amélioration continue de la qualité, c’est un jugement porté sur une dynamique de l’établissement et un mode de management par la qualité, ce sont les établissements qui déclenchent les évaluations et sont destinataires du rapport.
- Concernant la qualité des évaluateurs, les retours sont très interrogeants : les cabinets qui se sont exprimés sont majoritairement des cabinets issus du secteur sanitaire, habitués à des démarches qualité, ou d’accréditation ou de certification. De fait, la culture qui s’est exprimée est en écart avec l’esprit de l’évaluation comme amélioration de la qualité, avec la crainte de voir des cabinets appliquer une grille (leur référentiel) sans prendre en compte les réalités, références, recommandations (ANESM, des milieux professionnels) spécifiques du secteur social ou médico-social,
- Concernant le contrôle des cabinets, 2 nouvelles importantes ont été officialisées. L’habilitation tout d’abord : sur les 430 cabinets ou fédérations ou entrepreneurs individuels qui ont déposé un dossier de demande d’habilitation, 156 ne sont pas à ce stade retenus (dossier incomplet), 150 font apparaître une difficulté, soit un objet social peu en lien avec le secteur et l’évaluation, soit une taille très faible, qui pose une difficulté au directeur de l’ANESM, Monsieur Charlanne. Pour ce dernier, un évaluateur qui n’aurait qu’un intervenant, même à temps plein montrerait une insuffisance en termes de compétences pluridisciplinaires (est évoqué par le directeur de l’ANESM, l’absence de médecin qui lui semble indispensable pour intervenir en évaluation dans les EHPAD). Autre nouvelle : chaque rapport d’évaluation est destiné à l’établissement qui a sollicité l’évaluation, mais les évaluateurs devront rendre compte, à travers une fiche signalétique synthétique, du résultat et de la méthode engagée ; ces fiches qui seront traitées statistiquement par l’ANESM.
… des questions nombreuses, dont certaines en suspens
- Si j’élimine toutes les questions exotiques, elles ont été présentes, c’est le fond de la relation de prestataire entre l’ESMS et le cabinet évaluateur qui a été largement commenté et questionné : une relation qui peut devenir conflictuelle (et qui nécessite de mesurer toutes les possibles contestations et leur implication judiciaire : il y a du souci à se faire, même si l’ANESM indique sa disponibilité pour tous les cas d’espèce).
- Les modalités d’habilitation, déjà évoquées dans ce blog, restent problématiques : le directeur de l’ANESM pense indispensable la présence de médecins pour les évaluations des EHPAD, mais n’évoque pas de disciplines éducatives, sociales ou paramédicales ou pédagogiques pour les autres types d’établissement. Pourquoi une exigence ici (médecin dans les EHPAD) et pas là (éducateur, etc. pour les autres établissements) ? Je m’interroge sur la signification : une technicité nécessaire dans certains champs (le médical), pas de technicité dans d’autres… sauf la connaissance des recommandations de l’ANESM (!!)
- J’ai également été particulièrement interloqué par l’interrogation du directeur de l’ANESM à propos des petits cabinets (un seul ETP) : à mon avis, il peut y avoir des compétences bien plus importantes chez ces derniers, quand ils présentent une expérience du secteur et une connaissance actualisée de ses enjeux, que chez des gros cabinets venant du sanitaire et faisant appliquer des grilles types, standardisées, par des consultants juniors sans expérience de terrain. Je l’indique donc tout de suite, cette position me semble abusive en soi, sauf si elle était déclinée dans des critères clairs, communément admis, explicites, rationnellement examinés. J’y reviendrai évidemment… mais sur le fond, il existe des critères de compétences dans le décret, qui ne sont pas examinés pour les habilitations, pourtant le directeur de l’ANESM annonce d’autres critères, hors décret, discutables, donc qui devront être discutés. Pour ma part, j’y suis prêt.
- Par ailleurs, la fascination pour les EHPAD (45 % des 35 000 structures concernées par l’évaluation externe) a été très présente dans les propos de cette journée : ceux de cabinets très avides d’avoir une place dans ce marché d’activité, ceux du directeur de l’ANESM. Nul doute que des enjeux forts existent pour les EHPAD, mais n’oublions pas les autres structures…
- J’ai été rassuré par les positions claires de l’ANESM (malgré une petite hésitation rattrapée dans l’après-midi) sur les garanties d’indépendance, d’objectivité, et d’absence de conflit d’intérêt demandées aux évaluateurs.
- Enfin, je reste fasciné, et inquiet, par « l’usine à gaz » qui s’annonce, par l’énorme motivation de cabinets extérieurs au secteur, sûrs de méthodes ou contenus standards, prêts à investir ce nouveau marché. Et du coup, je pense important de se tenir à la méthodologie avancée pour toute évaluation : une réelle étude documentaire, la production de critères et indicateurs adaptés, un travail de terrain (5 à 6 jours), etc. Si elle est respectée, les éventuelles dérives peuvent être corrigées. A chaque direction d’ESMS de savoir poser des exigences de méthodes, pour entrer ensuite dans un dialogue serein sur les contenus.
PS : je remercie Monsieur Charlanne d’avoir, par ses allusions répétées, indiqué qu’il prête attention aux réflexions qui circulent dans les blogs, comme celles que je diffuse ici.
Voici un petit texte que j'avais écris il y a quelques années :
La logique de la « problématique » a eu de beaux jours. Cette manière de travailler venait après une période où le travail éducatif se caractérisait par l’importance de l’engagement personnel. Seulement il apparaissait que la bonne volonté de chacun ne suffisait pas et qu’il fallait « techniciser » la profession. Jeune éducateur, on me demandait de commencer mes synthèses par la problématique de l’enfant. Il s’agissait pour l’équipe éducative de concevoir une représentation des difficultés rencontrées par l’enfant. Dès lors, des stratégies d’actions pouvaient êtres construites pour répondre au mieux à ce que nous imaginions de ses problèmes.
Mais cette manière de travailler à laissé apparaître ses limites lorsqu’on s’est aperçu que les droits les plus élémentaires des personnes qui fréquentaient ces établissements n’étaient pas toujours respectés. Ainsi, il est devenu de moins en moins défendable que la seule instance de décision soit la synthèse. La parole des usagers y était soumise à la bonne volonté des éducateurs et lorsqu’il y avait désaccord, la famille, l’enfant ne pouvait pas véritablement faire valoir son point de vue par elle-même. Nous pouvions débattre longtemps de la problématique d’un enfant, en déconnectant la question de la qualité de son accueil de nos réflexions ou alors en n’ayant pas recueilli les préoccupations des parents et enfants. Ainsi cet enfant confié à un établissement médico-social et à qui l’équipe répondait à la mère qui voulait savoir si son enfant allait continuer à bénéficier d’un suivi orthophonique : « chère madame, nous avons une prise en charge institutionnelle globale ».
Evidemment, la plupart des éducateurs ne se comportaient pas de cette manière et cherchaient à intégrer au mieux les besoins des usagers, mais cette attitude était possible. Enfin, quelques affaires médiatisée « cheval pour tous… » ont jetées une ombre sur le travail éducatif et le législateur s’est dit qu’il fallait mieux garantir les droits élémentaires des personnes accueillies
Quelques lois (2 janvier 2002, 12 février 2005) ont fait apparaître la notion de bénéficiaire et font passer de la logique de la problématique à celle du besoin. Dès lors, ce n’est plus la représentation des professionnels qui prime, mais les besoins exprimés par les bénéficiaires.
L’action éducative devient contractuelle et se fonde sur le projet personnalisé qui intègre à part égale les préoccupations des professionnels, du bénéficiaire et de ses représentants (parents tuteurs). Cette évolution qui débute seulement est, il faut le dire, une véritable amélioration pour les personnes accueillies.
Ainsi la loi du 2 janvier 2002 affirme dans son 2°article : « L’action sociale et médico-sociale, tend à promouvoir // l’autonomie et la protection des personnes// Elle repose sur une évaluation continue des besoins et attentes des membres de tous les groupes sociaux… » La dialectique entre le repérage des besoins et l’évaluation des réponses apportées est inscrite dans la loi et oblige les établissements à questionner les bénéficiaires, les représentants légaux et les professionnels pour cerner ces fameux besoins. L’avantage est d’ailleurs partagé car si les usagers peuvent voir ainsi leur situation s’améliorer, les institutions ont aussi beaucoup à gagner. Elles ont enfin un outil fiable pour faire ressortir leurs propres besoins. Elles peuvent se présenter au devant de leurs financeurs avec des éléments chiffrés, précis faisant ressortir leur action, ainsi que leurs propres besoins : « 80% des familles de nos bénéficiaires réclament un ascenseur pour changer de niveau, elles déclarent toutes qu’il y a un danger à passer par les escaliers »
Toutefois, cette évolution verra rapidement ses limites dans la mesure où les personnes qui fréquentent des établissements éducatifs, n’y viennent pas pour combler un quelconque besoin. Allez demander à un ado placé dans un centre éducatif ce qu’il a à faire de son confort, sa demande, c’est, le plus souvent, de rencontrer quelqu’un.
Car la demande, ce n’est pas les besoins ! Il ne faut pas confondre ! Les besoins sont de l’ordre du matériel, du confort. La demande se situe à un autre niveau, plus intime comme la recherche d’une autorité, adressée à soi et qui contienne vraiment. Ce travail, salutaire sur les besoins des usagers, ne pourra avoir un véritable avenir que s’il s’associe à une réflexion sur la demande des « bénéficiaires ».
Pour une fois, il faudrait éviter de réfléchir en réaction, en opposition avec la période précédente, et chercher à intégrer ce qui existe pour le compléter. Il est parfaitement légitime de mettre en avant les besoins des usagers, à condition de ne pas être dupe, de bien savoir que ce n’est pas ça qu’ils demandent. Une ado fugueuse, qui fera son projet ? Il faudra lui demander : « Alors, comment trouve-tu ta chambre ? Est-elle confortable ? … »
Ces questions sont importantes, mais qui peut croire qu’elles soient centrales pour elle ? Sa demande, c’est, peut être, que quelqu’un se fasse authentiquement et très sincèrement du souci pour elle lorsqu’elle est en fugue. Et cette personne ce peut être un éducateur, le cuisiner, la femme de ménage… le directeur, cela ne se décrète pas !
Evidemment, il serait parfaitement cynique de la loger dans un taudis sous prétexte qu’elle fugue et que sa demande ne se situe pas la! Son bien être, son confort, doivent rester des préoccupations premières. De même, les éducateurs doivent énoncer leur projet en matière d’intégration sociale, pour elle. Mais la question centrale de cette jeune fille, la difficulté à vivre qui la conduit à être placée dans un établissement éducatif et non dans un internat scolaire, ne peut être éludée. En plus de ses besoins, elle a une demande.
La demande, a pour principale caractéristique de ne pas être explicite, de rester obscure. Un enfant qui pourrait énoncer le plus clairement du monde sa difficulté, n’a pas besoin d’être placé en institut éducatif. Le plus souvent, il arrive en se plaignant, avec pas mal de besoins et une demande confuse, qui ne pourra s’élaborer que dans l’après coup. Pour reprendre l’exemple de cette jeune fille, ce ne peut être qu’après un long compagnonnage qu’il est possible de repérer, ensemble, ce qui était important pour elle lors de son placement. Du reste, à ce moment là cela n’a plus vraiment d’importance pour elle car elle est passée à autre chose.
L’éducatif est totalement étranger à la notion de contrat, c’est un pari. On espère que pour cet enfant confié à tel ou tel établissement, « ça va coller ». C’est à dire qu’il y trouvera des personnes avec lesquelles il pourra établir une relation d’une autre nature que celles qu’il avait connues jusqu'à présent. On espère que de cette nouveauté, il pourra établir un nouveau rapport au monde, plus apaisé et plus vivant. Lorsqu’on ouvre un CER, on fait le pari que les jeunes trouveront là un autre type de relations, plus structurantes, moins mortifères. Mais rien ne garantit que la demande de ces ados trouvera là une réponse même partielle !
Concrètement cela veut dire qu’il est difficile de tout mettre dans un projet. L’autorité, en particulier ne s’écrit pas, elle ne se décrète pas. Elle aussi relève de l’alchimie de la relation éducative et ne peut être décidée comme l’une des conditions d’un accueil : ici on est autoritaire ! Ce serait le meilleur moyen d’obtenir une résistance forcenée à toute tentative d’autorité ! C’est d’ailleurs un peu ce qui s’est passé lors de la création des centres éducatifs fermés.
Miser sur la demande, cela relève de la chasse aux papillons comme le chantait Brassens, on part et on espère que ça aura lieu… Rien n’est donc plus éloigné de la notion de projet, lui-même émanation de la démarche évaluative. Pour lier l’un à l’autre, il faut être habitué des paradoxes. L’un n’exclue pas l’autre. Il faut arriver à penser des projets personnalisés, tout en ayant à l’esprit la question de la demande des bénéficiaires. L’un relève de l’institutionnel et l’autre de la relation éducative. L’un s’évalue au travers des projets personnalisés et du projet d’établissement, l’autre peut être réajustée lors de séances d’analyse de la pratique. L’un ne doit pas exclure l’autre au risque de la perte du sens, et l’autre ne doit pas exclure le premier au risque de la perte de toute crédibilité..
En effet, le risque réside dans le caractère extrêmement séduisant du projet et de la mise sous le boisseau de toute démarche dissidente. La demande et le besoin sont indissolublement liés dans la recherche d’une action éducative. Il nous reste encore à en prendre conscience.
Rédigé par : jean marie vauchez | 24 juin 2009 à 22:30
L'article a mal vieilli, mais il illustre bien mon propos:
Les établissements éducatifs nécessitent une bonne connaissance du terrain et surtout de l'action éducative pour être évalués. Si un médecin est sans doute nécessaire pour prétendre évaluer un EHPAD, il faut tout aussi nécessairement des éducateurs pour pouvoir mener à bien l'évaluation d'un établissement éducatif (MECS, IME, ITEP....)
La balle est dans le camp des directeurs des ESMS.
Rédigé par : jean marie vauchez | 24 juin 2009 à 22:52
Dans les tous cas, n'oubliez pas aussi qu'il faut un manager.
en effet, dans les missions d'un directeur il doit mettre en place une organisation permettant la prise en compte des besoins/demandes/souhaits de la personne accueillie. Il doit veiller au respect des droits et des devoirs de chacun. Selon la logique développée, le directeur ne peut qu'être évalué par un pair donc un manager...
Ensuite, il faut un personnel médical pour pouvoir aller voir ce qui se passe réellement dans les infirmeries.
MOn dieu ! à ce rythme, l'évaluation se fera par combein de personne ?
N'oublions pas, que le cabinet qui évalue en externe est choisi par le directeur (ou DG ou Association). C'est donc à celui qui choisit que revient la responsablité de sélectionner en prenant en compte certaines règles éthiques et pratiques. Cela fait partie des actions qu'il prend tous les jours.
En dehors de préalables indispensables, l'évaluation concerne bien la dynamique de l'établissement. Il faudra obtenir certaines garanties sur ce point. Il ne s'agit pas d'évaluer comme une inspection de la DDASS.
POur conclure, j'ai parcouru la liste des organismes habilités.
Tout d'abord Félicitations à Daniel GACOIN dont le cabinet est retenu (donc il a un médecin dans son équipe pour évaluer les EHPAD)
et c'est dommage que cette liste ne présente pas plus les organismes et surtout qu'elle ne soit pas imprimable !
Rédigé par : alexandre HAUSKNOST | 02 juillet 2009 à 14:21
Bonsoir
je suis habilité par l'ANESM, j'ai un statut juridique d'auto entrepeneur et j'ai réalisé 3 évaluations externes dans un secteur que je connaissais pas, le service à la personne. J'ai dirigé une MAS, deux foyers de l'enfance, un ésat, un ime et une direction qualité d'un grand centre hospitalier. Lors des évaluations externes j'ai baucoup appris des auxiliaires de vie, des personnes agées qui vivent à domicile dans des conditions précaires. Je viens de lire vos textes, je partage pour l'essentiel votre point de vue, la méthodologie d'analyse sous forme d'audit est nécessaire mais les rencontres avec les professionnels et les usagers sont essentiels. On ne codifie pas la vie que dans des grilles mais aussi et surtout dans le hasard des rencontres. Bien à vous
Rédigé par : Daniel Brandého | 31 octobre 2011 à 21:38